Les Juifs américains de TikTok se préparent à l’interdiction de la plateforme par décision de la Cour suprême
Les créateurs de contenus juif rendent hommage à la plate-forme, qui pourrait être interdite aux États-Unis dès dimanche ; d'autres lui reprochent de diffuser des contenus antisémites viraux
JTA — Comme tant d’autres personnes durant la pandémie, Asher Lovy est devenu accro à TikTok. A force de regarder des vidéos sur la plateforme de réseaux sociaux, il a fini par demander au responsable des réseaux sociaux de son organisation de créer un compte.
Aujourd’hui, le groupe de Lovy, Zaakah, compte près de 9 000 abonnés sur la plate-forme – un nombre dérisoire par rapport aux comptes les plus suivis, dont le nombre d’abonnés se compte alors par millions. Mais cela a eu un puissant effet de levier pour Zaakah, organisation spécialisée dans l’aide aux victimes d’abus sexuels au sein de la communauté orthodoxe et d’autres confessions juives.
Grâce à TikTok, l’organisation est parvenue à toucher un public bien plus jeune que sa cible d’origine, des personnes qui ont un besoin urgent d’aide pour se mettre à l’abri ou lutter contre les abus, et non intenter des actions en justice des dizaines d’années après les faits. C’est par exemple passé par des actions de sensibilisation aux abus survenus sur la plate-forme elle-même, comme dans le cas de « Our Unique Family », qui a permis à un homme de la région de Houston, qui se faisait passer pour un juif hassidique, de faire défiler ses neuf enfants adoptifs, qu’il aurait abusés, devant la caméra.
« Si Zaakah est ce qu’elle est aujourd’hui – toute cette attention, ce nouveau statut, le fait que nous soyons devenus une organisation qui compte et dont on parle au même titre que d’autres grandes organisations de défense de victimes -, c’est à TikTok qu’elle le doit au final, » explique Lovy dans une interview.
Aujourd’hui, la Cour suprême a confirmé l’interdiction de l’application appartenant à des Chinois pour des raisons de sécurité intérieure, sauf à être revendue. Cette interdiction pourrait entrer en vigueur dès dimanche, mais certains estiment que le président élu Donald Trump pourrait l’annuler à l’issue de son investiture, lundi. Malgré tout, les utilisateurs de TikTok font le nécessaire pour préserver leur présence en ligne en cas de fermeture effective.
Zaakah estime que cette interdiction va considérablement la gêner dans sa mission d’aide aux victimes d’abus.
« L’algorithme a fait en sorte que nos vidéos arrivent entre les mains de celles et ceux qui en avaient besoin et nous a permis de construire facilement sur TikTok une communauté de victimes et de bénévoles sans avoir à dépenser de l’argent pour en faire la promotion », explique l’organisation par voie de communiqué. « Malheureusement, tout cela est sur le point de se terminer. »
Les contenus juifs sur TikTok, sérieux ou non, se sont considérablement développés depuis le lancement de l’application, en 2016, entre Lily Ebert, centenaire et rescapée de la Shoah, le Miami Boys Choir, groupe de chant orthodoxe, sans oublier les commentaires du Talmud d’un influenceur ou encore le journal intime d’une adolescente juive new-yorkaise, en 1945.
Tous ont trouvé une nouvelle vie ou un nouveau souffle grâce à l’algorithme unique et puissant de cette plateforme vidéo, â même de rendre virales les vidéos de créateurs sans grande audience.
Face à cette interdiction, la réaction des créateurs est tout sauf aisée. Miriam Ezagui, TikTokeuse populaire dont le contenu axé sur la parentalité juive et la promotion d’un mode de vie religieux pratiquant lui vaut plus de 2,3 millions d’abonnés, annonce qu’elle poursuivra son activité sur YouTube, où elle a commencé à tester des vidéos plus longues. Mais elle est partagée.
« TikTok a été ma toute première plateforme », dit-elle. « Je me sens très attachée à cette application. Même si c’est parfois une relation d’amour teintée de haine. »
Imaginer les réseaux sociaux sans TikTok laisse augurer un paysage plus fracturé et décentralisé. Zaakah tente de gagner en visibilité sur Instagram et YouTube mais « les deux sont nuls », estime Lovy. « Cela va nous porter préjudice pour ce qui est de la diffusion de notre message à de nouveaux publics. » Jessica Lucie Plummer, créatrice de contenu juive dont le compte TikTok compte plus de 18 000 abonnés, a dit à son public qu’elle se tournerait vers Instagram – où elle compte actuellement moins de 700 abonnés.
« Je voulais inspirer les autres à retrouver leur judaïsme et montrer que les Juifs orthodoxes sont des gens comme les autres », a écrit Sophia Hunt, une autre créatrice juive populaire connue sous le nom de Sophiathejew, dans son message d’adieu à ses 430 000 abonnés. Elle a rendu hommage à TikTok pour l’avoir aidée à lancer sa ligne de vêtements modestes.
@sophiathejew
« Si je quitte TikTok », a écrit Hunt sur une autre plateforme, « je veux laisser une trace. »
Tout n’a pas été positif sur cette application. Parmi les nombreuses tendances devenues virales sur TikTok, on trouve en effet un antisémitisme ouvert, à commencer par une résurgence de la « Lettre à l’Amérique » d’Oussama ben Laden ou des théories complotistes laissant entendre que de riches Juifs auraient tout manigancé, des feux de forêt de Los Angeles à l’interdiction de TikTok elle-même.
« Nous savons tous que ceci est le fait d’Israël, qui contrôle le gouvernement des États-Unis via un lobbying agressif », a expliqué la commentatrice d’extrême droite Candace Owens à propos de cette interdiction, en diffusant à l’appui de ses propos une vidéo du ministre des Affaires de la diaspora israélienne, Amichai Chikli, disant faire en sorte que TikTok lutte contre « l’antisémitisme ».
Le principal lobbyiste de TikTok en Israël a démissionné l’an dernier en raison de ce qu’il a qualifié de parti pris anti-Israël et ce, alors même que deux milliardaires juifs, Arthur Dantchik et Jeffrey Yass, détiennent des participations dans la société mère ByteDance, et que Dantchik est très impliqué dans des causes pro-israéliennes de droite.

L’an dernier, le projet de loi visant à interdire l’application avait été soutenu par les Jewish Federations of North America, qui, avec l’Anti-Defamation League, reprochaient à TikTok de laisser se répandre des contenus antisémites et anti-Israël. (Le compte X de droite LibsOfTikTok, très lié à des personnalités dans l’orbite de Trump et fortement critiqué pour la promotion de contenus anti-LGBTQ provenant de l’application, est également géré par un juif orthodoxe.)
Mais les créateurs juifs de TikTok ne sont pas certains que l’interdiction permettra de résoudre ces problèmes. L’approche d’Ezagui contre l’antisémitisme sur TikTok, explique-t-elle, consiste à lui opposer des contenus positifs sur le judaïsme – et des centaines de milliers de non-Juifs y ont été sensibles.
« Je crois fermement qu’il n’y a pas de « remède » à l’antisémitisme », explique-t-elle. « Et je ne crois pas que le fait qu’une application de réseaux sociaux ne soit plus là change quoi que ce soit au monde qui est le nôtre. »
Lost Tribe, qui s’efforce de sensibiliser au numérique un jeune public juif, résumait vendredi l’état d’esprit de nombreux créateurs de contenus juifs sur son compte TikTok.
« Nous allons faire ce que nous faisons depuis des générations, nous le peuple juif », a déclaré le groupe, « c’est-à-dire persévérer, trouver le moyen de rester connectés et de communiquer ».
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