Les Kurdes, victimes du rapprochement entre Damas et Ankara à Moscou ?
Quelles peuvent être les conséquences de cette réunion pour l'administration semie-autonome kurde soutenue par les États-Unis et sous la menace d'une opération terrestre d'Ankara ?
La première rencontre tripartite depuis 2011 qui a eu lieu mercredi à Moscou entre les ministres turc et syrien de la Défense pourrait placer les Kurdes face à un ultimatum, selon des analystes.
Quelles peuvent être les conséquences de cette réunion pour l’administration semie-autonome kurde soutenue par les États-Unis et sous la menace d’une opération terrestre d’Ankara depuis des mois ?
Quelles relations entre Turquie et Syrie ?
Avant le début du conflit en Syrie en 2011, Ankara était un partenaire politique et économique privilégié de Damas.
Mais la guerre, qui a débuté par des manifestations antigouvernementales avant de se transformer en conflit complexe, a considérablement tendu les relations.
Ankara s’est posé en soutien indéfectible de l’opposition politique ainsi que des groupes rebelles et accueille sur son sol près de quatre millions de réfugiés.
En 2021, un bref échange informel entre les ministres des Affaires étrangères des deux pays laissait présager un rapprochement.
Ankara et Damas avaient reconnu des contacts entre services de renseignement et en août, le ministre turc des Affaires étrangères Mevlut Cavusoglu avait appelé à la réconciliation entre le régime et l’opposition en Syrie.
M. Erdogan, qui a plusieurs fois qualifié M. Assad « d’assassin » ces dernières années, a évoqué en novembre une « possible » rencontre.
La Russie, selon les analystes, joue un rôle clé dans le rapprochement entre ses deux alliés, unis par un « ennemi » commun, à savoir les forces kurdes soutenues par Washington.
Pourquoi ce timing ?
Selon Moscou, des discussions trilatérales mercredi ont porté sur « les façons de résoudre la crise syrienne et la question des réfugiés » et « les efforts conjoints pour combattre les groupes extrémistes ».
Moscou et Damas ont souligné la nécessité de « poursuivre le dialogue ».
La rencontre au niveau ministériel est due aux « développements liés à l’opération militaire turque qui était prévue dans le nord (de la Syrie, ndlr) et a été empêchée par Moscou », a indiqué à l’AFP le directeur du Centre d’études stratégiques de Damas, Bassam Abou Abdallah.
Depuis le 20 novembre, Ankara a intensifié ses bombardements contre des positions kurdes dans le nord de la Syrie et menace de déclencher une offensive terrestre.
Ankara qualifie les combattants kurdes de « terroristes » et a lancé depuis 2016 trois offensives terrestres contre eux.
Les cycles de pourparlers menés par le gouvernement syrien avec l’administration semie-autonome kurde – qui contrôle de vastes zones dans le nord et l’est de la Syrie y compris les champs de pétrole les plus importants – ont échoué.
« Erdogan subit d’intenses pressions politiques pour mener une opération militaire en Syrie et relocaliser autant de Syriens que possible » dans leur pays avant les élections de juin, selon Nick Heras, chercheur au New Lines Institute.
« S’il recevait le feu vert d’Assad pour mener des opérations aériennes contre les Kurdes, une guerre s’ensuivrait », a-t-il ajouté.
La semaine dernière, Ankara avait indiqué être en contact avec Moscou pour obtenir « l’ouverture de l’espace aérien » syrien aux avions de guerre turcs.
Quel scénario pour les Kurdes ?
Pour les Kurdes, qui ont combattu le groupe État islamique (EI), les choix sont difficiles.
« L’objectif immédiat des trois pays est d’éliminer les Forces démocratiques syriennes (FDS, coalition armée menée par les Kurdes) », a déclaré à l’AFP Fabrice Balanche, maître de conférence à l’Université Lumière Lyon 2.
Selon lui, Ankara veut « éliminer la ‘menace kurde’ et tout simplement chasser la population kurde du Nord de la Syrie », tandis que pour Moscou « il s’agit d’éliminer un allié des États-Unis en Syrie, les FDS, et de renforcer ainsi son allié Bachar al-Assad ».
Pour Damas, « il s’agit de récupérer ce territoire et surtout ses richesses pétrolières »du nord-est du pays.
« Le régime a besoin que la Turquie neutralise les jihadistes d’Idleb », ajoute-t-il, en référence à Hayat Tahrir Al-Cham (HTS, ex-branche syrienne d’Al-Qaïda), qui contrôle environ la moitié de la province d’Idleb (nord-ouest).
Si les Kurdes refusent les conditions d’Ankara de se retirer dans une zone à 30 km de la frontière, la réunion tripartite constituera le précurseur à une « invasion turque ».
« L’offensive turque n’est qu’une question de temps. Erdogan a besoin d’une victoire contre les Kurdes en Syrie dans le cadre de sa campagne électorale », pour M. Balanche.