Les ministres soutiennent un texte autorisant la police à espionner les ordinateurs d’éventuels suspects
Le projet de loi soutenu par Otzma Yehudit a été rédigé de façon à empêcher les forces de l'ordre d'utiliser des logiciels-espions contre les politiciens soupçonnés de corruption
Le gouvernement a apporté son soutien, dimanche, à un projet de loi parrainé par le député Zvika Fogel, élu sous l’étiquette du parti d’extrême-droite Otzma Yehudit, qui autorise la police à espionner les ordinateurs d’éventuels suspects à l’aide de mandats secrets – tout en assurant, en revanche, la protection de la vie privée des politiciens soupçonnés de corruption qui se seront pas concernés par cette mesure.
Selon le projet de loi, les juges des Cours de district disposeront dorénavant de l’autorité nécessaire, sur demande des hauts-responsables de la police, pour émettre des mandats secrets concernant la surveillance et l’examen d’un ordinateur appartenant à un éventuel suspect s’il y a une raison de croire « qu’une telle recherche est indispensable pour la détection d’un crime grave, qu’elle est nécessaire à des fins d’enquête ou de prévention, ou pour détecter et arrêter un individu auteur d’un crime grave – et s’il s’avère que l’objectif poursuivi par cette recherche sera mis en péril si elle doit se dérouler de manière ouverte ».
L’approbation qui a été donnée par la commission des Lois signifie que le gouvernement apportera son soutien à ces textes lorsqu’ils seront présentés devant la Knesset. Ils seront soumis à trois lectures devant les députés avant d’être définitivement adoptés.
Les ordonnances, qui dureront 30 jours, ne seront accordées que si le délit commis est passible d’une peine de dix ans de prison et plus, et la Cour sera en droit d’ordonner de nouvelles limitations sur les données ainsi collectées.
Dans une déclaration qui a salué l’approbation du projet de loi par la commission de haut-rang, le président d’Otzma Yehudit, Itamar Ben Gvir, ministre de la Sécurité nationale, a accusé la procureure-générale Gali Baharav-Miara d’empêcher la police « d’utiliser ces outils essentiels pour éradiquer la criminalité », tandis que Fogel a qualifié la législation « d’outil essentiel dans la lutte contre la criminalité et le terrorisme ».
La police peut actuellement mettre des téléphones sur écoute et examiner les données en transit, y compris les appels téléphoniques et les messages de type texto. Ce qu’elle ne peut pas faire actuellement, c’est extraire des données préexistantes – ou « au repos » – des ordinateurs ou des appareils mobiles, explique Tehilla Shwartz Altshuler, experte en protection de la vie privée et chargée de recherche à l’Institut israélien pour la démocratie.
Un rapport établi par le ministère de la Justice, qui avait été rendu public à la fin de l’année 2022, avait largement rejeté les accusations qui avaient laissé entendre que les forces de l’ordre avaient illégalement utilisé des logiciels espions pour pirater les téléphones de dizaines de citoyens israéliens. Il avait révélé que les policiers avaient agi conformément à la loi dans une grande mesure et qu’aucune utilisation de logiciels espions n’avait été faite en l’absence de supervision judiciaire.
Le rapport avait néanmoins noté que la police avait outrepassé à plusieurs reprises les limites des cyber-mandats reçus pour pirater les téléphones, et qu’elle avait ainsi obtenu des informations qui n’auraient jamais dû être mises à sa disposition.
Depuis, l’usage de spywares, par les forces de l’ordre, a été largement gelé – les députés, de leur côté, œuvrant à mettre en place un cadre légal entourant cette utilisation. Pour sa part, le ministère de la Justice a travaillé sur son propre projet de loi qui rouvrirait la porte à l’usage de cette technologie à des fins d’enquête.
Sauf les enquêtes pour corruption
Les membres du cabinet ont fait toutefois part de leur opposition à tout texte de loi qui autoriserait l’usage de ces logiciels pour espionner les politiciens mis en cause dans des dossiers pour corruption présumée – une demande qui a empêché, jusqu’à présent, l’adoption d’une loi sur ce sujet bien précis.
Le texte qui a été soutenu lundi par les ministres – qui rappelle une proposition de législation qui avait été faite par le gouvernement avant d’être gelée – limite l’utilisation des logiciels espions aux crimes passibles d’une peine de prison de dix ans et plus. Ce qui est susceptible d’apaiser les inquiétudes des politiciens, les délits pour corruption n’étant pas concernés par des condamnations aussi longues, fait remarquer Shwartz Altshuler, experte en protection de la vie privée et chargée de recherche à l’Institut israélien pour la démocratie.
Elle ajoute que les efforts visant à fournir à la police les outils nécessaires pour « porter atteinte à la vie privée des citoyens » devraient faire l’objet d’une proposition gouvernementale supervisée par le ministère de la Justice. Elle fait également remarquer que le projet de loi actuel est présenté sous la forme d’un projet de loi d’initiative parlementaire parce que le gouvernement n’a pas été en mesure de parvenir à un accord avec les fonctionnaires du ministère et avec la procureure-générale.
Enquête sur l’utilisation de logiciels-espions par la police
Au mois de septembre, le Bureau de la procureure-générale avait demandé à la Haute-cour de justice d’annuler la décision prise par le gouvernement concernant la création d’une commission d’enquête qui était chargée d’examiner l’utilisation illégale présumée de spywares par la police. Elle avait insisté sur le fait que la commission agissait en contradiction avec le droit.
La principale inquiétude de la cheffe du Bureau de la procureure-générale était que la commission soit utilisée comme plateforme pour discréditer la prise en charge de certains aspects de l’enquête criminelle ouverte contre le Premier ministre Benjamin Netanyahu, mis en examen pour corruption et dont le procès se déroule actuellement.
En réponse, le ministre de la Justice Yariv Levin avait accusé le Bureau de la procureure-générale de conflit d’intérêt dans cette affaire.
La commission avait été formée au mois d’août 2023, chargée d’examiner l’utilisation illégale de ces logiciels par les forces de l’ordre qui avaient ainsi espionné des citoyens israéliens et des responsables du gouvernement.
Des preuves secrètes
La Commission chargée de la sécurité nationale, à la Knesset, débat actuellement d’un autre projet de loi qui autorise la police à fouiller les ordinateurs des éventuels suspects -un texte qui est parrainé par Fogel, le président de la commission.
Ce projet de loi controversé vise à permettre aux juges des tribunaux de district d’imposer des restrictions à la liberté de déplacement et d’expression des citoyens sur la base de preuves tenues secrètes « dans le but de prévenir des dommages graves à la sécurité ou à la propriété individuelles ».
Selon les partisans du texte, il s’agit d’une mesure temporaire de deux ans qui est destinée à permettre aux forces de l’ordre de faire face à « une augmentation significative des activités du milieu du crime organisé en Israël », en particulier au sein de la communauté arabe.
Si la législation est adoptée, les tribunaux seraient autorisés à imposer des mesures basées sur des informations de renseignement recueillies auprès de la police – notamment sur la base « d’informations confidentielles de renseignement, de preuves visibles ou de tout autre matériel susceptible de déterminer qu’un individu est actif au sein d’une organisation criminelle ». Le niveau de menace posé par l’individu entrerait aussi en compte.
Le projet de loi permettrait à la police de s’écarter de la « règle de la preuve » en vigueur lors de la présentation de ses dossiers devant le tribunal. Ce qui, ont reconnu les auteurs du texte, est « un outil inhabituel en cela qu’une ordonnance judiciaire est utilisée pour violer les droits d’un individu – en raison toutefois d’inquiétudes face à des faits à venir et en l’absence de preuves incriminantes suffisantes concernant des actes dont l’individu a été reconnu pour responsable dans le passé ».
Parmi les possibilités offertes aux juges par la loi, la limitation du temps passé par un suspect à l’extérieur de son domicile, l’interdiction qui lui serait faite de se rendre dans certains lieux ou de communiquer avec certaines personnes, l’interdiction de conduire et l’interdiction de voyager à l’étranger.
De plus, la police serait autorisée à contrôler les résidences ou les véhicules des personnes soumises à de telles ordonnances, à accéder à leurs ordinateurs ou même à les soumettre à des fouilles corporelles.
Jeremy Sharon a contribué à cet article.