Les œuvres de Louise Bourgeois nous retournent les tripes – et le cerveau
Actuellement au Jewish Museum de New York, une expo provocante - et stimulante - présentant décapitations, castrations et sang menstruel, explore les tréfonds de la psyché humaine
NEW YORK – Aussi frappantes que soient les sculptures, vous remarquerez alors que vous parcourez « Louise Bourgeois: Freud’s Daughter » au deuxième étage du Jewish Museum de New York que dans de petits cadres – parfois en face d’œuvres massives et troublantes de techniques mixtes, parfois à côté d’œuvres plus compressées et fantaisistes – se trouvent des missives qui se situent à mi-chemin entre reportage et confession.
Ces 80 pièces, jamais vues auparavant aux États-Unis, sont des écrits psychanalytiques de Bourgeois – essentiellement des devoirs introspectifs donnés par son psy.
L’artiste d’origine française, décédée en 2010 à l’âge de 98 ans, a passé l’essentiel de sa carrière à New York. En 1951, elle est entrée en analyse avec le Dr Leonard Cammer, un géant de la psychiatrie américaine du milieu du siècle, puis avec le Dr Henry Lowenfeld, qu’elle a vu pendant 30 ans. Lowenfeld était un adepte de Sigmund Freud, donc, non, vous n’êtes pas fou si vous regardez quelques-unes des 40 pièces rassemblées dans cette nouvelle exposition et pensez : « Mon Dieu, c’est censé être le pénis de son père, n’est-ce pas ? »
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Bourgeois n’était pas juive, mais son mari, le professeur et collectionneur d’art Robert Goldwater l’était, et au moins un de ses fils vivants s’identifie comme tel. Freud, bien sûr, était juif. Cela a suffi au Jewish Museum, qui abrite une collection exceptionnelle de Judaica, ainsi que des galeries tournantes d’art historique et moderne – soit par des Juifs ou concernant l’expérience juive – dans le magnifique manoir de Warburg dans l’Upper East Side de Manhattan.
Et cela m’a également suffi.
L’exposition est désormais ouverte et le restera jusqu’au 12 septembre, et je la recommande comme destination estivale pour tous ceux qui recherchent quelque chose de décalé ou de dérangeant.
Je sais que ce n’est peut-être pas ce qui doit être dit sur le grand art, mais la vérité est qu’il ne s’agit pas simplement d’une exposition dans un musée, mais plutôt d’une maison d’horreurs.
Emmenez-y vos adolescents et regardez-les paniquer devant un énorme scrotum suspendu (c’est bien cela, non ?), à côté d’un tableau évoquant une poitrine et des os de mouton baignés de lumière rouge qui feraient trembler Dario Argento.
Les œuvres les plus célèbres de Bourgeois, ces araignées cauchemardesques et hérissées de pics, ne sont pas exposées – mais il y en a une petite cachée dans le coin de l’une des plus grandes des 40 pièces de l’exposition : « Passage Dangereux », de 1997. Alors que mes yeux parcouraient l’étrange collection d’objets à l’intérieur d’une énorme cage en métal, je grimaçais devant le sinistre spectacle mêlant faux membres, chaises en bois voltigeantes, globes de verre étranges remplis de choses ressemblant à des escargots et chaise électrique. C’est alors que j’ai haleté quand j’ai aperçu l’horrible arachnide si près de mon pied.
Sortez-moi d’ici, ai-je pensé.
Mais où étais-je exactement ? Le conservateur Philip Larratt-Smith, qui est en train de publier un livre des écrits psychanalytiques de Bourgeois avec Princeton University Press, essaie sûrement de recréer les angoisses de l’esprit de cette femme troublée.
Il me dit qu’elle s’est débattue avec les théories de Freud au fil des ans, et qu’elle était même connue pour faire des plaisanteries sur la psychanalyse, mais qu’elle a finalement semblé très dévouée au processus.
Le texte tout au long de l’exposition offre des détails sur les différentes phases qui sont au cœur du système de croyance de Freud (note : si cela fait un moment que vous n’avez pas lu Freud, c’est assez dingue !) Avec la conclusion qu’un artiste ne peut, ou peut-être ne devrait, jamais conquérir le complexe œdipien.
Alors qu’est-ce que cela signifie en termes d’art ? Cela signifie explorer des sujets cauchemardesques comme les décapitations et la castration, et des images qui évoquent le sang menstruel et les cordons ombilicaux. Non pas avec dégoût, mais plutôt d’un œil curieux – du moins, pour ma part.
J’ai été vraiment impressionné par une petite pièce de 1999 intitulée
« Tourment », dans laquelle une figurine noire est suspendue à une ficelle, sous une étrange potence évoquant une aire de jeux, face à une dalle de béton. En dessous, est gravée la phrase : « Pour défaire un tourment, il faut commencer quelque part ». Si je pouvais vous expliquer pourquoi cela m’a fait froid dans le dos, ce ne serait pas de l’art.
A proximité se trouvent quelques écrits de Bourgeois sur l’accouchement et la coupure du cordon ombilical. « Je suis le gaspillage / je suis la
coupure », écrit-elle, très probablement quelques instants après s’être réveillée d’un rêve troublant. Ailleurs se trouve l’un de ces « oreillers du mari » miteux, usés et effilochés, avec un trou vaginal cousu au centre, un tissu léger appliqué sur le dessus évoquant du placenta usé. Ça vous met mal à l’aise, mais cela va au-delà : le choc.
Avant que Bourgeois n’entre en psychanalyse freudienne, alors qu’elle s’occupait de sa mère mourante, elle a surpris une liaison entre son père et son tuteur, qui n’avait que quelques années de plus qu’elle (Bourgeois n’avait pas plus de 20 ou 21 ans à l’époque). Cet acte de violence psychologique s’est répercuté tout au long de sa longue vie. Le moins que nous puissions faire est de parcourir les galeries pour découvrir comment elle l’a géré, même si cela glisse sans équivoque vers un territoire déplaisant.
Comme me l’a rappelé Philip Larratt-Smith alors que je me dirigeais vers les ascenseurs, nous sortons tous d’une année pandémie et d’une période introspective. La retraite de Bourgeois dans sa propre psyché peut résonner avec chacun d’entre nous maintenant plus que jamais.
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