Les relations entre les Musulmans et les Juifs français sont toujours tendues
Le nouveau livre d'Ethan B. Katz explore les problèmes politiques complexes liés à des questions de diversité culturelle et de religion

LONDRES – Equipés de fusils AK-47, en cette matinée couverte à Paris le 7 janvier 2015, deux frères ayant des liens avec al-Qaïda au Yémen, Saïd et Cherif Kouachi, sont entrés dans les bureaux du magazine satirique Charlie Hebdo et ont assassiné 12 personnes.
Deux jours plus tard, un supermarché casher dans la banlieue parisienne a été le théâtre d’un autre bain de sang lorsque Amedy Coulibaly a assassiné quatre autres personnes.
Les deux attaques ont été dépeintes comme des représailles pour les caricatures publiées dans le magazine et plus particulièrement contre le blasphème de l’islam. Mais de toute évidence, les sentiments antisémites enracinés dans les esprits étaient à l’ordre du jour également.
Onze mois plus tard, le 13 novembre, 130 personnes ont été tuées dans divers endroits de Paris dans une attaque terroriste menée par un Etat soi-disant islamique qui a coordonné l’ensemble de l’opération depuis Bruxelles, en temps réel, grâce à la technologie des smartphones.
Tandis que la panique a continué à se répandre dans de nombreuses villes européennes, après ces attaques spectaculaires, la plupart des observateurs ont posé trois questions : pourquoi les terroristes islamistes ont commis ces atrocités barbares sur le sol français, ces derniers temps ? Pourquoi les relations entre les Juifs et les Musulmans en France sont actuellement au point de rupture ? Et comment fonctionne exactement la relation d’Israël avec la France – à la fois historiquement et actuellement – dans ce choc des civilisations à multiples facettes ?
« La crise dans les relations entre les Musulmans et les Juifs de France existe depuis plus d’une décennie », a déclaré Ethan B. Katz, professeur d’histoire à l’université de Cincinnati et un expert sur les relations sociales entre les deux groupes. Katz a récemment publié « The Burdens of Brotherhood: Jews and Muslims from North Africa To France » [« Les fardeaux de la fraternité : Juifs et Musulmans de l’Afrique du Nord à la France »].
« Il y a eu beaucoup de rapports à propos de cette crise en France depuis l’an 2000 », a déclaré Katz. « Mais, il n’y a pas beaucoup de gens qui semblent avoir une bonne compréhension ou qui ont une perspective historique sur cette crise ».
L’historien estime que les deux grands attentats terroristes à Paris au cours de la dernière année ne sont pas si surprenants.
« Je ne veux pas ignorer la crise actuelle, parce que je pense qu’elle est importante. L’EI est nouveau. Mais l’augmentation du djihad à l’échelle mondiale au 21e siècle ne l’est pas », a déclaré Katz.
Une analyse simple des événements à Paris l’année dernière, de façon prévisible, a tendance à donner des réponses simples. Beaucoup à gauche, par exemple, ont fait valoir que la participation de la France dans le bombardement de la Syrie, de l’Irak, et au Mali au cours de ces dernières années a coûté à l’Etat français sa sécurité, qu’il a précédemment prise pour acquise.
Cet argument, a expliqué Katz, est trop réducteur et unidimensionnel pour disséquer correctement un sujet lié à des forces complexes de l’histoire française. La vision simpliste ne tient pas compte de la politique d’intégration désastreuse qui a eu lieu entre les Juifs, les Musulmans et le grand État français tandis que l’impérialisme français au Moyen-Orient et d’Afrique du Nord s’effondrait après la Seconde Guerre mondiale.
Ceci est un sujet que Katz explore avec beaucoup d’aplomb dans son dernier livre. Le récit est une analyse convaincante sur la relation complexe – et souvent tendue – entre les juifs et les musulmans vis-à-vis de la France de la fin du 19e siècle à nos jours.
« La relation est historiquement comme un triangle », a expliqué Katz. « Dans un coin, vous avez les Juifs, dans un autre, les Musulmans et puis vous avez l’État français ».
« Ce qui est frappant historiquement dans ce triangle est combien de fois les Juifs et les Musulmans sont liés les uns aux autres ».
Le livre de Katz est une lecture essentielle pour ceux qui cherchent à comprendre les problèmes politiques complexes – liés à des questions de race, de la diversité culturelle et de la religion – qui continuent à affliger la Cinquième République aujourd’hui.
Au cours du récit nous rencontrons des Juifs et des Musulmans de la France et de ses colonies au cours du siècle dernier et demi. Ils partagent des visions politiques communes et divergentes, des traditions culinaires et musicales.
Le récit de Katz affirme que les Juifs et les Musulmans ont peut-être passé une partie considérable de l’Histoire française en opposition constante. Cependant, souligne-t-il, ils ont également combattu côte à côte en tant que soldats pendant la guerre, forgé des amitiés fortes, vécu paisiblement dans les mêmes quartiers, et sont même devenus amants parfois.
« Je veux sortir de l’idée que les Juifs de France sont dans une catégorie et que les Musulmans sont dans une autre [catégorie] », a expliqué Katz.
La principale raison d’être de cette ouvrage, a expliqué l’historien, est de demander : « quels étaient les principales dynamiques qui ont façonné les interactions des Musulmans et des Juifs dans le domaine de la co-existence et des conflits, plutôt que de continuer à se poser la question : sont-ils bons ou mauvais ? ».
Alors que le récit de Katz tente de comprendre la relation entre les Juifs et les Musulmans en France, des facteurs internationaux ont eu une influence considérable aussi.
Plus particulièrement, la fondation de l’Etat d’Israël ; la décolonisation en Afrique du Nord après la Seconde Guerre mondiale ; et la guerre d’Algérie de 1954 à 1962.
Katz énumère également un certain nombre d’autres époques historiques importantes : le décret de Crémieux, qui a fait des Juifs en Algérie des citoyens français en 1870, une indication claire que les Juifs d’Algérie sont privilégiés par rapport aux Musulmans et aux autres Juifs d’Afrique du Nord dans leur relation avec l’Etat français.
Il cite également les années 1930, lorsque l’extrême droite en France a sans cesse tenté de monter les Juifs et les Musulmans les uns contre les autres, et la Seconde Guerre mondiale, lorsque le régime de Vichy était au pouvoir en France, où les Juifs ont connu une persécution extrême et la trahison de la part de l’Etat français.
Il examine la fin de l’Algérie française en 1962, lorsque l’Etat français a rendu incroyablement difficile pour les Musulmans algériens le maintien de leur statut européen et conserver leur citoyenneté française. Dans le même temps, l’Etat a garanti aux Juifs algériens ces mêmes droits.
Et que dire de la relation de la France avec Israël ? Comment s’intègre-t-elle à la thèse de Katz.
Il affirme qu’il y a trois phases distinctes : entre 1948 et 1967, quand la France est devenue le plus grand allié et le fournisseur d’armes d’Israël ; au cours de la Guerre des Six Jours en 1967, lorsque la France avait placé un embargo sur les armes sur les deux parties, et qui par la suite est devenue pro-arabe ; et la première décennie du 21e siècle, quand il y a eu un nouveau changement dans la relation.
« Pendant cette période – d’abord sous Chirac, puis sous Sarkozy – la France a commencé à revenir en arrière vers une position plus pro-israélienne », a déclaré Katz.
« Cette relation changeante de la France dans le Moyen-Orient est un domaine de concurrence pour les Juifs et les Musulmans et elle continue à jouer un rôle jusqu’à nos jours comme une source de tension ».
En tant qu’historien, Katz a déclaré qu’il essaie de ne pas poser de jugements moraux ou de valeur dans son travail et qu’il veut toujours conserver un sens de l’équilibre. Cependant, à l’exception de la France de Vichy, il prétend que le pendule des préjugés de l’Etat français a clairement basculé vers la communauté musulmane.
Katz a déclaré que l’Etat français post-guerre d’Algérie a remarquablement bien réussi à intégrer la plupart des immigrants juifs. Pour les Musulmans, toutefois, la transition n’a pas été pas si facile.
« Les Musulmans n’ont pas été, pendant la majorité de l’Histoire de l’Algérie sous la France, en mesure d’atteindre la pleine citoyenneté française, d’aller à l’école française, apprendre à parler et à écrire le français, ou entreprendre des professions libérales ou qualifiées », a expliqué Katz.
« Les Juifs, en revanche, sont venus en France en parlant le français et avec des compétences : donc avec des possibilités de mobilité ascendante beaucoup plus élevées en raison de leur niveau d’éducation ».
Beaucoup de Juifs qui sont arrivés en France d’Algérie ont été classés comme des citoyens français aussi, a expliqué Katz. Cela signifie qu’ils pouvaient se prévaloir de la loi sur le rapatriement en 1961, qui garantissait également des possibilités de logements et d’emplois.
« Inversement, les Musulmans qui sont venus en France en provenance d’Algérie ont été écartés en tant que citoyens français, ils n’avaient pas le droit à ces mêmes avantages », a expliqué Katz.

La pauvreté, les mauvaises habitudes de quartier, et la criminalité sont des cycles dont il est très difficile de sortir pour certains groupes sociaux, une fois qu’ils sont entrés dedans, a précisé Katz.
Malheureusement, croit-il, cela a été le cas pour un grand nombre de Musulmans d’Afrique du Nord qui sont venus en France, où l’héritage lourd du colonialisme existe encore profondément.
Est-ce que Katz y voit un lien entre la récente flambée du djihadisme fondamentaliste en France avec ces préjudices économiques ?
« Il y a plusieurs chemins vers la radicalisation », a-t-il répondu, plutôt prudemment.
Cependant, l’image en France est très différente, a expliqué Katz.
« La plupart de ceux qui ont été impliqués dans des actes de terrorisme depuis 2012 ont été radicalisés tout en faisant de la prison et viennent de quartiers qui sont très pauvres », a-t-il répondu.
Katz estime que l’attitude militante que la France a adoptée ces dernières années pour se pencher vers une société laïque n’arrange pas les choses non plus.
L’idée que vous ne pouvez pas être totalement français, parce que vous portez un certain type de vêtement à l’école, ne semble pas en entrer dans les lignes des idées habituelles sur la laïcité française historique », a expliqué Katz.
« Et donc ce sécularisme militant que l’Etat français a imposé dans les espaces publics a rendu beaucoup plus facile de porter cette accusation contre les Musulmans et sur leur non-appartenance ».
Cela a également créé une vulnérabilité pour les Juifs dans certains contextes également, est-il convaincu.
« Parce que les Juifs s’identifient beaucoup plus publiquement avec Israël et leur propre religion en France au cours des dernières décennies, le sentiment d’appartenance à la France a également posé un véritable défi pour les Juifs aussi », a-t-il précisé.
Avant de terminer notre conversation, Katz a abordé l’avenir des relations entre Juifs et Musulmans et l’État français. Comme beaucoup, Katz a prédit que cela ne va que s’empirer, en particulier avec la crise actuelle des réfugiés syriens qui multiplie le nombre de citoyens apatrides qui errent à travers l’Europe – fuyant la guerre et la persécution – plus que pendant la Seconde Guerre mondiale.
Katz croit que la France doit faire en sorte que sa population musulmane se sente plus à l’aise au sein de l’État-nation afin d’améliorer la situation.
« Le petit nombre de réfugiés que la France a accepté [d’accueillir] dans la crise des réfugiés syriens reflète clairement la profondeur de la crise avec sa population musulmane », a affirmé Katz.
« Malheureusement, cette attitude négative continuera à exacerber les tensions dans un avenir prévisible », a-t-il ajouté.
L’expert prétend qu’il existe une attitude profondément négative envers les musulmans qui se répand à travers la France, qui refuse de prendre tout type de leadership européen face à la crise des réfugiés.
« La France est censée être un pays qui se considère comme le créateur des droits de l’Homme moderne, en sortant de la révolution française. C’est vraiment un moment triste de son histoire », s’est ému Katz.
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