Les traumatismes du 7 octobre rapprochent les Israéliens d’un jour de deuil vieux de 2 000 ans
A l'occasion de Tisha BeAv, jour de jeûne dédié aux tragédies d'hier et d'aujourd'hui, des milliers de synagogues se préparent à se recueillir suite aux atrocités du Hamas
Adam Hajaj souffre encore de l’attaque du Hamas du 7 octobre dernier, lorsque des terroristes ont enlevé son cousin Rom Braslavski au festival de musique Supernova de Reim.
Samedi, à l’occasion du rassemblement hebdomadaire pour les otages à Tel Aviv, Hajaj a pris la parole devant des milliers de personnes pour évoquer la douleur de ses proches. Mais il a commencé en parlant d’événements survenus il y a de cela près de 2 000 ans, avec la destruction du Second Temple de Jérusalem. Dans le calendrier hébraïque, cette journée de jeûne et de deuil qui commence, cette année, ce lundi soir, correspond à la date de Tisha BeAv.
Nombreux sont ceux pour lesquels l’ampleur de la tragédie du 7 octobre et des craintes qu’elle a réveillées quant à la viabilité de l’État juif a rappelé Tisha BeAv, aujourd’hui perçu comme une mise en garde contre les divisions et haines stériles entre Juifs.
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Le lien entre Tisha BeAv et le 7 octobre sera vraisemblablement un des principaux thèmes du jour de deuil, cette année. Des milliers de synagogues de toutes sensibilités vont sans doute faire la part belle à des textes sur le 7 octobre dans leur cérémonie de Tisha BeAv, ce qui fait dire à certains que l’attaque pourrait bien faire son entrée dans la liturgie juive, aux côtés de tant d’autres catastrophes.
« Je veux vous parler de la destruction du Second Temple », a déclaré Hajaj au public qui se massait, samedi, juste après s’être présenté. Depuis le 7 octobre, il « semble beaucoup plus actuel et pertinent » de lire le Livre biblique des Lamentations, connu en hébreu sous le nom d’Eicha, a poursuivi Hajaj.
Ce livre, qui est lu dans les synagogues au moment de Tisha BeAv, parle de la destruction du Premier Temple par les Babyloniens. Celle-ci, tout comme la destruction du Second Temple par Rome des siècles plus tard, en 70 de notre ère, sont commémorées au moment de Tisha BeAv, sans oublier d’autres calamités plus anciennes encore.
« C’est l’unité, l’entraide, le courage ou une autre destruction, par la violence et la haine », a affirmé Hajaj en évoquant le choix qui s’offrait aux Israéliens à l’occasion de ce Tisha BeAv.
Les Israéliens sont nombreux à penser, comme Hajaj, que leur société est encore sous le choc du pogrom du 7 octobre au cours duquel le Hamas a assassiné 1 200 personnes et fait 251 otages, dont une centaine serait encore séquestrée à Gaza. Des milliers de soldats israéliens interviennent dans la bande de Gaza pour retrouver les otages et démanteler le Hamas, et des milliers d’autres se préparent à l’ouverture de nouveaux fronts, en raison d’une escalade des hostilités avec l’Iran et le Hezbollah.
« La prière, les cérémonies religieuses et la liturgie se sont imposées comme l’un des principaux moyens de faire face au 7 octobre », explique la rabbin Dalia Marx, maître de conférences en études juives à l’Université hébraïque à Jérusalem. « Des centaines de prières, de rites et de textes religieux de toutes confessions ont été écrits autour du 7 octobre, et c’est également le cas pour ce Tisha BeAv, sous la forme de kinot », poursuit-elle en utilisant le mot hébreu pour parler des lamentations.
Selon le rabbin David Stav, qui dirige le groupe rabbinique Tzohar, ce sont des dizaines de kinot qui se sont écrites à propos du 7 octobre au sein des seules communautés orthodoxes pour ce Tisha BeAv.
Pour Stav, on parlera du pogrom du 7 octobre au moment de Tisha BeAv, non en raison du nombre de victimes – le plus important de tous les massacres de Juifs depuis la Shoah –, mais parce que « une fois de plus, notre identité est liée à la douleur, à la mort et à la tragédie et que Tisha BeAv, dont le sens est très profond, est à la fois une prière et une occasion de pleurer et de préparer le changement », explique-t-il.
C’est notamment pour cela que le pogrom du 7 octobre « va entrer dans le canon du judaïsme », affirme Stav au Times of Israel, ajoutant que des milliers de synagogues orthodoxes et religieuses-sionistes auront cette année des kinot ou des écrits sur l’attaque.
Ces nouvelles kinot devraient s’ajouter à celles du Livre biblique des Lamentations. Au-delà des énonciations de ce Livre, nombreuses sont les communautés juives qui lisent des kinot sur des tragédies plus récentes, comme par exemple les massacres perpétrés lors de la première croisade décrits dans « Plût à Dieu que ma tête fût comme un réservoir d’eau », kinah du poète du XIe siècle Kalonymus ben Yehuda lue dans les synagogues ashkénazes le jour de Tisha BeAv.
La canonisation des kinot demeure complexe et multifactorielle, explique Marx, qui est professeure en études juives. Ainsi, les kinot sur la Shoah, la catastrophe la plus meurtrière de toute l’histoire juive, n’ont pas été intégrées au canon, souligne-t-elle, en raison de l’opposition du monde haredi à toute forme de changement. « Il faut plusieurs facteurs, à commencer par le temps, pour qu’une kinah fasse son entrée dans le canon. Il est trop tôt pour dire si cela se produira avec le pogrom du 7
octobre », assure-t-elle.
Pour l’heure, il est « clair que le monde juif va vivre ce Tisha BeAv à travers le prisme du 7 octobre », insiste Marx.
Pour faire droit à ce sentiment partagé, Tzohar a publié une brochure de 24 pages riche de kinot liées au 7 octobre qui vont s’ajouter à la lecture à la synagogue des kinot canoniques de Tisha BeAv, principalement centrées sur la période entre les Croisades et l’Inquisition espagnole. D’autres organisations ont publié de nouveaux textes à l’occasion de ce Tisha BeAv.
Le président du Mouvement mondial Mizrahi, Yosef Zvi Rimon, a publié une « Kinah pour les événements des Épées de fer », nom donné par l’armée à la guerre contre le Hamas. Aux Etats-Unis, l’Orthodox Union a publié une « Lamentation de Tisha beAv pour le 7 octobre » qui évoque non seulement les massacres mais aussi le regain d’antisémitisme qui a suivi (« La haine persistante pour la nation éternelle ne fait que croître et nos ennemis complotent pour détruire et effacer toute trace d’Israël », note le texte).
L’une des kinot de la brochure de Tzohar s’intitule « La lamentation de Beeri ». Il s’agit là d’un poème du musicien Yagel Haroush, qui se termine par le vers : « Faisons pleuvoir sur Beeri en puisant dans nos larmes ». Une autre de ces kinot est un poème du XIe siècle sur Sion, œuvre du rabbin espagnol Yehuda Halevi.
« Impossible de lire ce poème avec ses riches descriptions des paysages israéliens sans penser à tous ces endroits, sur notre belle terre, dont les habitants ont dû être évacués », indique le livret.
Pour Tamar Biala, écrivaine et conférencière en études juives, il sera à l’évidence impossible de ne pas penser au pogrom du 7 octobre en ce Tisha BeAv, ce qui milite selon elle en faveur d’une intégration à la tradition juive. « Je ne m’imagine pas à la synagogue sans un mot, en des termes religieux, pour la douleur et les pertes induites par cet effroyable événement, dont les conséquences sont bien palpables », a-t-elle écrit sur son blog sur le Times of Israel.
Biala a demandé aux rescapés du massacre de deux kibboutzim, Liora Ayalon, de Kfar Aza, et Nurit Hirschfeld-Skupinsky, de Nahal Oz, d’écrire leurs kinot pour Tisha BeAv. Ces deux kinot renferment des critiques politiques : Hirschfeld-Skupinsky dit que personne n’a écouté les soldates d’observation chargées de la surveillance qui avaient alerté leurs supérieurs des préparatifs du Hamas, et Ayalon fustige des dirigeants qui « font passer leurs intérêts avant tout le reste ».
Il est possible que la brutalité du pogrom du 7 octobre, que de nombreux Israéliens reprochent au gouvernement et d’autres, aux manifestations antigouvernementales, nuise à son intégration au canon liturgique, explique Elazar Strum, présentateur d’émissions sur les traditions juives sur TOV, une chaîne d’information juive en ligne. « Tisha BeAv sera particulièrement important pour les Israéliens du fait du pogrom du 7 octobre, mais c’est probablement encore un peu trop brutal, un peu trop mouvant, pour comprendre exactement dans quelle mesure », poursuit-il.
Le pogrom et ses conséquences ont mis fin au sentiment que le monde juif « était entré dans une sorte d’âge d’or », affirme Stav. Avant le 7 octobre, il était « difficile de prendre la mesure des tragédies passées, sur le plan émotionnel notamment ». En l’espace de quelques heures, « le 7 octobre a tout changé », conclut-il.
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