L’Etat va-t-il affaiblir les règles sur la pollution pour aider les entreprises?
Pour les activistes, les tentatives "d'équilibrage" entre les coûts économiques et les bénéfices sanitaires de limitation de la pollution nuiront gravement aux Israéliens
Sue Surkes est la journaliste spécialisée dans l'environnement du Times of Israel.
Les organisations environnementales se préparent à tenter de stopper ce qu’elles considèrent comme une tentative discrète du gouvernement de faire adopter des changements dans les réglementations environnementales qui bénéficieront aux entreprises et à l’industrie au détriment de la santé publique et de la nature, dans le cadre du projet de loi des Arrangements économiques qui accompagne le budget de l’Etat.
Les propositions, qui visent à trouver « un équilibre entre bénéfices environnementaux et coûts économiques », apparaissent sur la page 151 d’un document de 215 pages en ligne sur le site du ministère des Finances.
Le public était invité à réagir à ces propositions jusqu’au 10 juillet.
Mardi, les instances environnementales se sont rencontrées au cours d’une visioconférence organisée sur Zoom pour mettre en garde : Ainsi, selon elles, les changements figurant dans la propositions anéantiront des décennies de progrès réalisés pour la qualité de l’air, ils mettront en danger la santé publique à un moment où le coronavirus a mis en exergue les liens entre bien-être environnemental et public, et ils nuiront à la démocratie en affaiblissant l’autorité du ministère de la Protection environnementale et des conseils locaux, en plaçant une puissance et une autorité régulatoires excessives entre les mains du bureau du Premier ministre et les ministères des Finances et de l’Intérieur.
Au mois de décembre 2018, le gouvernement avait décidé de mettre en oeuvre les règles qui avaient été formulées par l’Organisation pour la coopération économique et le développement (OCDE) visant à réduire la bureaucratie et à simplifier les régulations gouvernementales existantes. Ces réformes étaient supposées être menées de manière transparente, en impliquant à la fois le public et une vaste gamme d’acteurs.
Une unité spéciale de régulations avait été établie par le bureau du Premier ministre pour déterminer les bonnes pratiques de réglementation à travers tout le gouvernement, pour localiser les redondances, examiner la supervision et la mise en oeuvre des directives et prôner des législations adéquates.
L’année dernière, au mois de juillet, le chef de l’unité, Amichai Fisher, avait écrit au ministère de la Protection environnementale en disant que ce dernier avait échoué à offrir une « large vision » permettant de créer un équilibre entre les intérêts environnementaux et les autres intérêts – comme ceux, par exemple, des régulateurs dans les autres ministères – quand il délivrait des permis pour des usines industrielles appelées à intégrer les infrastructures nationales.
Et la question avait été à nouveau posée de manière plus pressante au mois de septembre, lorsque les responsables comme les activistes travaillant dans la défense de l’environnement avaient accusé le Premier ministre de tenter de relâcher les directives de protection écologique pour aider l’industrie, mettant en péril par cela la santé publique – et l’environnement.
Il y a eu ensuite trois cycles électoraux, pendant lesquels la question des régulations n’avait plus vraiment été abordée. Jusqu’à présent.
Multiplicité de permis
Aujourd’hui, des instances différentes fournissent des permis distincts pour la pollution de l’air, la pollution marine, l’utilisation de substances toxiques et l’enregistrement des entreprises.
La durée est variable pour chaque permis – allant de un à trois ans pour l’usage de substances toxiques, jusqu’à cinq ans pour la pollution marine, jusqu’à sept ans pour la pollution de l’air et pouvant atteindre 15 ans pour l’enregistrement d’une entreprise.
Selon le gouvernement, le système actuel entraîne une incertitude pour les sociétés et entrave leur capacité à programmer de futurs investissements.
Sa solution est de combiner les quatre permis en un seul document – qui sera établi par un seul responsable – et qui ne devra pas être renouvelé pendant dix ans. Tout changement, au cours de ces dix années, deviendra difficile à réaliser.
Les décisions d’octroyer les permis seront basées sur le principe de la « gestion du risque environnemental » ainsi que sur la nécessité « d’encourager l’activité économique » avec pour objectif de créer « l’équilibre entre les bénéfices environnementaux et les coûts économiques », notent les propositions.
« Pas de consultation »
Suite à la discussion qui a eu lieu mardi sur Zoom, il s’avère qu’aucune organisation environnementale n’a été consultée sur le contenu des propositions et que les autorités locales ont, elles aussi, été apparemment tenues à l’écart.
Le gouvernement a l’intention de secourir le pays face au danger du coronavirus mais, ce faisant, il ignore le réchauffement climatique et la pollution qui a rendu les Israéliens plus vulnérables à la maladie, commente Maya Jacobs, de l’organisation Zalul.
Amit Bracha, directeur du groupe Adam Tveva VDin, accuse pour sa part le ministère des Finances de ne s’intéresser qu’aux coûts à court-terme liés aux performances industrielles. La loi sur l’air pur, qui devrait être suspendue, a permis de faire baisser la pollution et d’économiser 32 milliards de dollars en coûts indirects de santé dans le pays, explique-t-il.
Selon les termes de ces propositions, les usines ne seront dorénavant plus obligées de recourir à ce qui est appelé le principe de la « meilleure technologie disponible » (une technologie soumise à des remises à jour continues, approuvée par les députés ou par les régulateurs) et elles seront en droit de choisir la technologie qui, selon elles, leur correspond le mieux.
Le montant maximum des amendes distribuées pour d’éventuelles violations des règles seront divisées par deux.
Tous les intervenants ont âprement critiqué les propositions visant à affaiblir les autorités locales, en leur ôtant la possibilité d’octroyer des permis commerciaux (qui comprenaient des règles à respecter au niveau environnemental) aux usines considérées comme étant d’une « importance nationale ».
Pour Sarit Golan-Steinberg de la municipalité de Haïfa, dans le nord d’Israël, c’est une mauvaise chose que les permis commerciaux soient dorénavant émis par « un bureaucrate de Jérusalem ». Les locaux comprennent bien davantage le tissu de l’industrie locale et ils sont les plus à même d’être efficaces concernant l’application des régulations en vigueur, insiste-t-elle, ajoutant que cette neutralisation des règles n’a rien à voir avec la nécessité, cette fois bien réelle, de réduire la bureaucratie et les lourdeurs administratives.
Le directeur de Greenpeace Israel, Jonathan Aikhenbaum, a lié les efforts visant à glisser les propositions dans le projet de loi des Arrangements économiques à d’autres initiatives qu’il considère comme non-démocratiques – comme c’est le cas, selon lui, d’un autre projet de loi visant à permettre au gouvernement d’imposer des restrictions dues au coronavirus sans approbation préalable de la Knesset – un texte qui a été approuvé en première lecture devant le parlement lundi dernier.
Les permis pour les usines « d’importance nationale », selon Aikhenbaum, seraient confiés aux directeurs-généraux du bureau du Premier ministre, au ministère des Finances et au ministère de l’Intérieur.
« Ils disent que si une usine est considérée comme étant d’importance nationale, l’autorité locale n’a rien à dire », a-t-il déclaré.
« Dans d’autres pays, on renforce les ministères de l’Environnement. Cette réforme dit que la santé environnementale et que la santé publique n’entrent pas dans le cadre de l’intérêt national du pays et que ces ministères sont de seconde zone ».