Levin et Saar dévoilent un paquet de réformes judiciaires de grande envergure
Toutes ces réformes n'entreraient en vigueur qu'au cours de la prochaine législature de la Knesset, c'est-à-dire après les prochaines élections législatives
Le ministre de la Justice, Yariv Levin, et le ministre des Affaires étrangères, Gideon Saar, ont dévoilé ce jeudi un ensemble de réformes judiciaires de grande envergure, qui modifieraient légèrement la composition de la commission de sélection des juges, qui établirait un mécanisme formel pour l’adoption de Lois fondamentales quasi-constitutionnelles distinctes de la loi ordinaire, qui interdirait le contrôle judiciaire des Lois fondamentales, à l’exception de celles relatives aux droits de vote, et qui exigerait une majorité de tous les juges de la Haute Cour avant de pouvoir invalider une loi de la Knesset. Toutefois, ces modifications ne s’appliqueraient pas à certaines mesures qui ont déclenché des manifestations anti-gouvernement de masse en 2023.
Les dirigeants de l’opposition se sont abstenus de commenter immédiatement la proposition, qui semble être une version édulcorée de la précédente tentative de Levin de réformer le système judiciaire, tandis que d’autres se sont empressés de clouer au pilori le paquet pour avoir « politisé » le système judiciaire.
Contrairement à la première version de la refonte, les mesures dévoilées jeudi renforceraient le pouvoir de l’opposition de bloquer les nominations judiciaires au sein de la commission de sélection des juges, qui joue un rôle essentiel. Cependant, le nouveau plan permet également à la commission elle-même de devenir plus politisée en réduisant l’influence des professionnels de la justice.
Cette nouvelle proposition de révision constitue la dernière tentative de Levin pour limiter le pouvoir du système judiciaire, une campagne qu’il a lancée lors de son entrée en fonction en 2023 avec un programme qui aurait presque entièrement assujetti le pouvoir judiciaire au gouvernement. Cette initiative n’a été interrompue qu’au dernier moment en raison des réactions négatives et des protestations de masse de l’opinion publique. La démarche a été abandonnée à la suite de la catastrophe du 7 octobre 2023, mais Levin a tenté de la relancer ces derniers mois.
Toutes ces réformes n’entreraient en vigueur qu’au cours de la prochaine législature de la Knesset, c’est-à-dire après les prochaines élections législatives.
Un vote sera organisé la semaine prochaine pour élire un nouveau président de la Cour suprême. Le président par intérim de la Cour suprême, Isaac Amit, sera probablement désigné comme prochain président de la Cour, malgré l’opposition farouche de Levin à sa nomination.
Les ministres ont déclaré que le paquet de réformes avait été conçu par eux deux, avec la collaboration de l’ancien ministre Yizhar Shaï, qui était membre de l’ancien parti de Benny Gantz, Hosen L’Yisrael, et le général de brigade (Rés.) Dedi Simchi, et décrivent l’accord comme « un amendement historique » qui a nécessité un an et demi de travail.
Saar, qui a été ministre de la Justice dans le dernier gouvernement, a critiqué avec véhémence les propositions initiales de refonte du système judiciaire présentées par Levin, estimant qu’elles donnaient à l’exécutif trop de pouvoir sur le pouvoir judiciaire, tout en soutenant les réformes du système. Il a insisté jeudi sur le fait que le nouveau paquet qu’il avait conçu avec Levin garantissait qu’une coalition gouvernementale aurait besoin de l’accord de l’opposition pour procéder à des nominations judiciaires.
Selon les réformes proposées, le nombre de membres de la commission de sélection des juges restera le même, à savoir neuf. Le nombre de membres de la coalition au sein de la commission restera à trois, le nombre de représentants de l’opposition restera à un, et le nombre de juges de la Cour suprême restera également à trois.
Les deux représentants de l’Association du barreau israélien (IBA) seront toutefois retirés au profit d’avocats ayant une expérience en matière de contentieux. L’un d’entre eux sera choisi par la coalition et l’autre par l’opposition.
Les nominations judiciaires dans les juridictions inférieures se feront à la majorité simple des cinq voix de la commission, qui devra comprendre un membre de la coalition, un membre de l’opposition et un juge de la Cour suprême.
Les nominations à la Cour suprême se feront également à la majorité de cinq voix et devront inclure un membre de la coalition et un membre de l’opposition.
Cet arrangement signifie, selon la déclaration commune de Levin et Saar, que les représentants de la Cour suprême n’auront pas de droit de veto sur les nominations de cette Cour. Dans le même temps, soulignent les deux ministres, un juge de la Cour suprême ne pourra pas être nommé uniquement par des représentants de la coalition, ou par les seuls représentants du pouvoir judiciaire et de l’opposition.
Dans le cadre de la refonte, les Lois fondamentales ne pourront traiter que des questions essentielles relatives à l’identité juive et démocratique de l’État, aux droits de l’homme et à certains aspects de l’administration.
La réglementation des Lois fondamentales sera différente de celle des lois ordinaires, ce qui renforcera leur statut constitutionnel. Les ministres ont précisé qu’il ne serait pas possible de modifier les Lois fondamentales « soudainement » ou en fonction des besoins de la coalition. Toutefois, ils n’ont pas indiqué exactement le processus d’adoption des Lois fondamentales.
Réactions
Bien qu’il soit loin d’être parfait, le paquet de réformes judiciaires proposé jeudi par Levin et Saar est un compromis acceptable, a estimé le ministre de la Sécurité nationale, Itamar Ben Gvir.
« Les grandes lignes ne sont pas parfaites, mais nous pouvons nous en accommoder. Une refonte reposant sur un large consensus est le bon compromis, même s’il n’est pas parfait, et c’est pourquoi je soutiens les grandes lignes et que ce changement est le bienvenu », a déclaré Ben Gvir.
Félicitant Levin et Saar, Ben Gvir a réitéré son appel à licencier la procureure générale Gali Baharav-Miara, déclarant qu’il était « impératif de résoudre cette question de toute urgence ».
Le chef de l’opposition, Yaïr Lapid, a, pour sa part, déclaré qu’il ne s’exprimerait pas sur la question tant que Levin n’aurait pas montré qu’il est capable de se conformer aux ordres de la Cour.
« Je répondrai à Yariv Levin immédiatement une fois qu’il se sera conformé à l’ordre de la Cour et qu’il eut nommé un président de la Haute Cour de justice avant le 16 janvier », a déclaré Lapid.
Le mois dernier, la Cour avait ordonné à Levin d’organiser un vote au sein de la commission de sélection des juges pour désigner un nouveau président de la Cour suprême avant le 16 janvier.
Le député Gilad Kariv (Les Démocrates) s’est prononcé contre le paquet de réformes judiciaires présenté par les ministres de la Justice et des Affaires étrangères. Il a déclaré qu’il « semble être une politisation sévère de la commission de sélection des juges sans équilibre approprié » et qu’il ne prévoyait pas de protections suffisantes pour les droits de l’homme et les droits civiques.
Kariv a également insisté sur le fait qu’un accord sur une question aussi cruciale pour la société israélienne ne peut pas être élaboré par deux ministres seulement, « et ne peut pas être imposé au système politique, au système judiciaire et à l’ensemble du peuple, dans un contexte d’attaque sévère contre le système juridique et les gardiens [de l’État de droit] ».
Le président de l’IBA, Amit Becher, a été plus loin en qualifiant l’accord de Levin et Saar de « ruse du ministre de la Justice et non de “compromis” », mais plutôt de « proposition trompeuse et dangereuse visant à mettre en œuvre les principes du coup d’État, dont l’objectif principal était la politisation de l’élection des juges de la Cour suprême et l’augmentation du pouvoir du gouvernement sur le système judiciaire ».
Becher a ajouté que l’idée de remplacer les représentants de l’IBA qui siègent actuellement à la commission de sélection des juges par des avocats choisis par la Knesset – l’un par la coalition et l’autre par l’opposition – annulerait la « majorité professionnelle » des juristes siégeant à la commission et politiserait grandement le groupe d’experts.
Le parti d’opposition HaMahane HaMamlahti a déclaré qu’il examinait encore le vaste ensemble de réformes judiciaires et qu’il s’abstenait de tout commentaire immédiat sur ses mérites – bien qu’il appelle Levin à se conformer à une récente décision de justice portant sur cette question.
« Nous étudions les détails du [compromis] et ses implications. Demain, la faction HaMahane HaMamlahti se réunira pour une première discussion sur la question après avoir consulté des experts », a déclaré le parti dans un communiqué.
« Néanmoins, le ministre de la Justice doit permettre la nomination du président de la Cour suprême comme l’exige la décision de la Cour », a-t-il ajouté.
Suppression de l’élément du contrôle qualitatif
Le professeur Yuval Shany, chercheur principal à l’Institut israélien de la démocratie (IDI), a déclaré que la nouvelle proposition était « plus modérée » que l’initiative législative précédente de Levin, qui aurait essentiellement accordé au gouvernement et à la coalition un contrôle total sur le système judiciaire.
Il a néanmoins exprimé son inquiétude quant à plusieurs aspects des propositions, notamment les changements apportés à la commission de sélection des juges.
En supprimant l’implication des juges de la Cour suprême dans le processus de nomination à cette juridiction et en faisant en sorte que les deux avocats de la commission de sélection des juges soient choisis par la Knesset, cela signifie qu’aucun professionnel juridique indépendant ne doit être impliqué dans la sélection des juges de la plus haute juridiction d’Israël, a déclaré Shany.
Il a admis que le fait qu’un représentant de l’opposition doive désormais donner son accord à une nomination à la Cour suprême signifiait que la proposition évitait certains des problèmes posés par la réforme initiale.
Cependant, il a ajouté que la participation des trois juges de la Cour suprême à la commission était « presque dénuée de sens » et qu’elle supprimait un élément clé du contrôle de la qualité du système actuel, en vertu duquel les juristes indépendants ont un droit de veto sur les nominations à la plus haute juridiction israélienne.
Shany a également affirmé que le contrôle des politiciens sur les nominations à la Cour suprême pourrait conduire à la politisation de celles-ci, et créer une situation similaire à celle observée à la Cour suprême des États-Unis.
La politisation des nominations s’étendrait également aux nominations dans les juridictions inférieures, a soutenu Shany, puisque les juges pourraient être nommés par les votes des politiciens et les avocats par les seuls politiciens, sans l’apport d’un professionnel du droit indépendant comme c’est actuellement le cas.
Cela pourrait éroder l’indépendance judiciaire.
Shany a ajouté que des détails supplémentaires étaient nécessaires concernant les propositions réglementant la législation des Lois fondamentales et le contrôle judiciaire, déclarant que si les conditions d’adoption des Lois fondamentales sont trop laxistes, le refus du contrôle judiciaire sur ces lois pourrait être problématique.