Levin nomme tous les juges comme candidats à la présidence de la Cour Suprême
Le ministre de la Justice a dit que la Cour forçait la procédure de désignation d'un nouveau président ; ses opposants affirment qu'il cherche encore à retarder cette nomination
Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.
Dans une démonstration peu subtile de mécontentement et d’indignation, le ministre de la Justice Yariv Levin a nommé, dimanche soir, tous les juges siégeant actuellement à la Cour suprême au poste de président de la plus haute instance judiciaire israélienne. Il a appelé le grand public à soumettre des réserves sur chaque magistrat, une tactique apparemment réfléchie pour faire traîner encore davantage la procédure de désignation du nouveau président de la Cour suprême.
Il semble donc que la commission de sélection des juges – chargée de nommer le nouveau président de la Cour et qui est dirigée par Levin – devra maintenant délibérer sur chacun des douze magistrats en exercice et qu’elle devra s’atteler aux très nombreuses objections qui seront soumises, sans aucun doute, par les opposants au tribunal avant de pouvoir passer à un vote sur une nomination.
Levin a obstinément refusé de nommer un nouveau président à la tête de la Cour suprême depuis qu’Esther Hayut, l’occupante du poste, a pris sa retraite au mois d’octobre de l’année dernière. Un refus qui s’inscrit dans le cadre d’une initiative visant à renforcer l’influence des conservateurs au sein du tribunal. Le ministre a refusé d’organiser un nouveau vote à la présidence de la Cour suprême, la majorité des membres de la Commission de sélection étant favorable à la désignation d’Isaac Amit, un magistrat libéral, sur la base du principe d’ancienneté en vigueur depuis longtemps – un principe auquel Levin s’oppose.
Au début du mois, la Cour suprême, en sa qualité de Haute Cour de justice, a ordonné à Levin d’organiser ce vote, estimant que son autorité ministérielle n’était pas sans limites et que l’insistance qu’il place sur une unanimité nécessaire au sein de la Commission – il évoque également de manière répétée le contexte de la guerre en cours – lui octroyait un droit de veto hors-la-loi dans ce processus de prise de décision.
La date-limite pour le dépôt et la publication des noms des candidats au poste était dimanche. Il y aura ensuite une période d’évaluation de 45 jours avant qu’un vote puisse avoir lieu – même s’il semble que Levin essaiera de faire durer les délibérations au-delà du temps imparti.
Des sources proches de Levin ont laissé entendre que le processus de désignation commencerait avec le juge Khaled Kabub, qui est accusé de violations éthiques, et des polémiques présumées qui concernent d’autres juges pourraient également être évoquées, une initiative qui viserait apparemment à plonger la Cour dans l’embarras.
Dans sa lettre annonçant les candidats, Levin a dénoncé les décisions « coercitives » de la Cour qui, selon lui, contreviennent au besoin « d’unité et de responsabilité » qui prévaut en temps de guerre.
La députée Karine Elharrar, qui représente l’opposition au sein de la Commission de sélection des juges et l’Association du barreau israélien, dont deux membres siègent aussi au sein du panel, ont qualifié la décision de Levin de « scandaleuse » tout en insistant sur le fait que la tactique du ministre n’empêcherait pas la nomination d’un nouveau président.
Dans la lettre envoyée dimanche soir et présentant les noms des douze juges actuels à la Cour suprême, Levin a précisé que la loi permettait à tous les citoyens de soumettre à la Commission, dans les vingt jours suivant la publication des noms, leur avis concernant les aptitudes réelles des différents candidats à occuper ce poste de premier plan.
Il semble que Levin a bien l’intention de débattre en longueur les soumissions qui seront faites par le public concernant chaque candidat, retardant ainsi encore davantage la nomination d’un président.
Levin insiste sur le fait qu’en temps de guerre, le président de la Cour doit être choisi « avec un large consensus » – même si les initiatives qu’il a pu prendre pour éviter de devoir nommer Amit à la présidence de la Cour suprême sont antérieurs au conflit actuel et qu’elles entrent dans le cadre de son plan controversé de refonte radicale du système judiciaire, un projet qui avait dominé l’ordre du jour de la coalition avant le pogrom du 7 octobre.
Dans son jugement sur la requête qui mettait en cause la conduite du ministre, la Haute Cour a statué que ce dernier disposait d’une certaine marge de manœuvre concernant le moment du vote et la nécessité d’un consensus – mais que cette latitude n’était néanmoins pas illimitée et que les onze mois de vacance de la présidence avaient dépassé les limites de ce qui était légalement acceptable.
Peu avant la décision finale, Levin avait proposé de nommer le juge conservateur Yosef Elron à la présidence pour la dernière année de son mandat avant qu’il ne prenne sa retraite – une désignation qui contreviendrait au principe d’ancienneté, mis en place depuis la création de la Cour, qui autorise le magistrat le plus expérimenté à prendre la tête du tribunal de façon automatique. Un système qui a été conçu pour éviter la politisation de la présidence de la Cour.
Levin avait également proposé de nommer à la Cour l’un des deux universitaires de la ligne dure qui, idéologiquement, avaient été à l’origine du plan de refonte du système de la justice. Aucun d’entre eux n’était magistrat.
Deux propositions qui avaient été rejetées par le président par intérim de la Cour suprême, Uzi Vogelman, à la tête du bloc libéral au sein de la Commission.
« Les juges de la Cour suprême ont rejeté toutes les propositions de compromis que j’ai pu soumettre et ils ont obligé la Commission, par ordre du tribunal, à examiner cette question », a déploré Levin dans sa lettre adressée dimanche aux membres de la Commission de sélection.
« Tout cela a été fait dans l’idée qu’ils pourraient forcer la nomination de leur président par le biais d’un processus qui est entaché d’un grave conflit d’intérêts et qui s’avère être fondamentalement illégitime », a-t-il fulminé.
« Tous ceux qui tentent de s’emparer de force de cette couronne ne méritent pas la confiance du public et ils ne seront jamais considérés comme ayant été choisis légalement, de manière consensuelle », a-t-il poursuivi.
À la suite de l’ordonnance émise par le tribunal au début du mois, Levin avait promis de boycotter le nouveau président – ce qui aurait pour effet de gêner encore davantage le fonctionnement du système judiciaire.
Elharrar a critiqué le courrier écrit par Levin dans la soirée de dimanche.
« Le comportement du ministre Levin est honteux. C’est ainsi qu’un ministre qui se comporte de manière illégale trolle tout un pays », a-t-elle écrit sur X.
« Malgré tout, Levin ne peut pas échapper à ses responsabilités. Un président permanent de la Cour suprême sera nommé », a-t-elle ajouté.
Amit Becher, le président de l’Association du barreau israélien, a fait part d’un message similaire, qualifiant l’annonce de Levin de « scandaleuse ». Il a déclaré que le ministre s’était « égaré ».
« Cette annonce traduit un véritable mépris à l’égard de la décision de la Haute Cour et à l’égard des juges de la Cour. Son comportement laissera dans les mémoires le souvenir d’une honte éternelle », a-t-il dit.
« La véritable intention du ministre était et reste de contrecarrer le jugement qui a été rendu et de poursuivre sa tentative visant à détruire l’indépendance du système juridique et la démocratie », a-t-il conclu.