L’improbable mue de l’incubateur agritech de Sderot – si près de la guerre à Gaza
NatureGrowth a créé un espace de coworking gratuit suite au chaos post-7 octobre, véritable havre de paix ouverts aux soldats, policiers, réservistes et civils
Dans les semaines qui ont suivi l’offensive du Hamas du 7 octobre, sous les pluies de roquettes qui s’abattaient sur Sderot, une improbable oasis s’est offerte, à deux pas du chaos, aux policiers, soldats et correspondants de presse étrangers : l’incubateur de technologies agricoles NatureGrowth.
Bien avant l’offensive du Hamas, les fondateurs de NatureGrowth – le directeur d’exploitation Ben Friedman et le PDG Oren Heiman – avaient prévu d’ouvrir leur entreprise le 15 octobre.
Ils avaient installé leurs bureaux dans le centre de Sderot, avec l’objectif d’en faire un centre mondial des technologies agricoles dans cette zone frontalière de Gaza. Ils étaient prêts à apporter leur soutien en matière de gestion et d’activité de laboratoire, et même sous forme de bureaux, à de prometteuses start-ups de technologie agricole spécialisées dans la sécurité alimentaire et le changement climatique.
Une semaine avant l’ouverture de leur incubateur, Friedman et Heiman se sont du jour au lendemain retrouvés au cœur d’une zone de guerre, sans personne pour venir travailler.
Le 7 octobre, lorsque des milliers de terroristes du Hamas ont envahi le sud d’Israël, pour y assassiner 1 200 civils et faire 252 otages aujourd’hui séquestrés dans la bande de Gaza, une centaine d’hommes armés du Hamas ont parcouru la ville de Sderot, tirant sur les gens, dans la rue ou chez eux.
Le poste de police, situé à quelques minutes à pied du bâtiment de NatureGrowth, a été réduit en ruines à l’issue d’un combat acharné de plus de 24 heures entre les forces de l’ordre israéliennes et des hommes armés retranchés à l’intérieur. Au final, 70 personnes au moins ont perdu la vie et, dans les jours qui ont suivi l’attaque, les tirs de roquettes ont continué de pleuvoir, occasionnant d’importants dégâts à des maisons.
Loin de se laisser décourager, NatureGrowth a changé d’orientation et lancé l’initiative SafeSpace, grâce à des dons de Bank Hapoalim et de la Crown Family Foundation de Chicago.
« [Notre idée était d’] offrir un endroit à ceux qui ont besoin de quelques heures de calme », expliquait Friedman au Times of Israel début mai.
Friedman et Heiman ont mis à profit les deux premières semaines de la guerre pour meubler le premier étage de leurs bureaux de façon à en faire un espace de coworking ouvert au public. Ils sont parvenus à en faire une cafétéria ensoleillée avec une cuisine équipée et une connexion Wi-Fi haut débit, que jouxtent des espaces de bureau et des salles de réunion avec tout le nécessaire.
« Quand nous avons ouvert l’endroit, c’était beaucoup plus bruyant », se souvient Friedman, en parcourant du regard cet espace calme et tranquille. « Il y avait beaucoup d’alertes rouges [aux roquettes]. Nous avons été touchés deux fois. »
Le climatiseur a été touché par des éclats de roquette à plusieurs reprises, tout comme les vitres. Tout ce qui devait être remplacé l’a été rapidement. Les morceaux de missiles intercepteurs du Dôme de fer ou de roquettes Qassam du Hamas sont exposés dans une vitrine, à la cafétéria, à la vue de tous.
Au début, SafeSpace a surtout servi aux soldats et policiers, dans la mesure où 90 % des 27 000 habitants de Sderot avaient quitté la ville dans les jours suivant le massacre du 7 octobre. Ils ont commencé à revenir en nombre fin février.
Friedman plaisante en disant que jusqu’à la réouverture des entreprises, fin janvier, le SafeSpace de NatureGrowth a servi « le café de tout Sderot ».
Les soldats – pour l’essentiel des réservistes avec des responsabilités en dehors de leurs obligations militaires – ont profité du Wi-Fi pour travailler.
D’autres ont profité de cet espace pour s’évader, dans le calme et la propreté, de l’école qui leur servait de lieu de vie. Friedman et Heiman ont fini par investir dans un plus petit réfrigérateur afin d’installer une machine à laver et un sèche-linge pour les soldats.
A quelques encablures du mois d’avril, le nombre de soldats et de policiers a diminué et la vie à Sderot a commencé à reprendre son cours normal. Aujourd’hui, ce sont surtout des ONG qui viennent, car ils ont installé des bureaux au plus près du front, comme c’est le cas de Frères d’armes et Hitorerut, ou d’organisations spécialisées dans les questions civiles, comme Atid Laotef ou Venatata.
Le SafeSpace de NatureGrowth est également le haut-lieu d’événements communautaires, avec un large éventail d’activités quotidiennes. Le 7 mai, par exemple, SafeSpace a organisé un atelier de la section locale du syndicat des enseignants et accueilli une présentation pour les soldats du corps de renseignement de Tsahal d’un surintendant de police de Dimona qui s’est battu au kibboutz Reïm le 7 octobre.
Friedman ajoute que des groupes de touristes font une halte au SafeSpace, en chemin vers ou de retour des kibboutzim situés à la frontière de Gaza.
Les fondateurs de NatureGrowth ont l’intention de garder SafeSpace ouvert jusqu’à la fin 2024 mais ils n’ont aucunement abandonné l’idée de faire de cette zone frontalière de Gaza un haut-lieu de la technologie agricole mondiale.
« Notre objectif est, dans les 10 prochaines années, d’investir dans 80 entreprises en lien avec l’agriculture – principalement dans le domaine de la sécurité alimentaire et du changement climatique », explique Friedman.
Il évoque les « Dix Commandements » de l’entreprise, qui se trouvent bien en vue dans tout le bâtiment. Cela passe par la promotion de la ville de Sderot et de ses environs, de l’écosystème israélien dans son ensemble et de la coopération avec les voisins d’Israël pour faire progresser et connaître la technologie agricole du Moyen-Orient.
« L’idée est tout simplement de donner de l’espoir et d’être un migdal – un phare – pour se représenter l’après-guerre, sans jugement », conclut-il. « Si vous voulez venir, vous venez. C’est sans obligation. »
Canaan Lidor a contribué à cet article.