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L’incroyable fait divers méconnu qui a accompagné la sortie du film Rabbi Jacob

18 octobre 1973, Danielle Cravenne, pro-Palestinienne, femme de l'attaché de presse juif du film, a été tuée en tentant de détourner un avion – elle voulait faire annuler la sortie

Extrait du film "Les aventures de Rabbi Jacob", sorti en 1973. (Crédit : PROD DB / FIMS POMEREU / DR)
Extrait du film "Les aventures de Rabbi Jacob", sorti en 1973. (Crédit : PROD DB / FIMS POMEREU / DR)

Rediffusé au début du mois sur France 2, le film « Les aventures de Rabbi Jacob » de Gérard Oury avec Louis de Funès a rassemblé 4 millions de téléspectateurs, pour une part d’audience de 26,5 %.

L’œuvre narre l’histoire de Victor Pivert, industriel bourgeois et antisémite, incarné par Louis de Funès. Contraint de se faire passer pour un rabbin orthodoxe après s’être retrouvé mêlé aux affres d’une révolution d’un pays arabe, le personnage fait face à une série d’aventures burlesques devenues cultes.

Sorti en salles le 18 octobre 1973, en pleine guerre de Yom Kippour, opposant Israël à l’Egypte et à la Syrie, le film a connu un vif succès, avec 7,3 millions d’entrées. Il a même été nommé Golden Globe du meilleur film en langue étrangère en 1975.

Cette sortie ne s’est pas faite sans encombre : un triste fait divers, resté relativement méconnu, l’a entachée. Le jour même de la sortie, Danielle Cravenne, la seconde épouse de l’attachée de presse du film, le publicitaire Georges Cravenne, a été tuée en tentant de détourner un Boeing 727-228 assurant la liaison Paris-Nice.

Les acteurs Louis de Funes et Henri Guybet dans la comédie culte « Les Aventures de Rabbi Jacob ». (Crédit photo : capture d’écran « Les Aventures de Rabbi Jacob » de Gérard Oury – 1973)

Celle-ci, pro-Palestinienne, estimait que le film était pro-Israélien et s’est lancée dans cet acte désespéré afin de tenter de faire annuler la sortie.

Armée d’une carabine 22 long rifle et d’un faux pistolet, après être parvenue à passer sans encombre les contrôles de sécurité quasi inexistants de l’aéroport d’Orly, elle réclame que l’avion se dirige vers Le Caire. Le pilote, arguant du fait que le réservoir n’a pas assez de kérosène, réussit à négocier une escale à Marseille. Elle a finalement été tuée lors de l’intervention de trois membres du GIPN (déguisés en steward et en mécanicien) à l’aéroport de Marignane, après l’évacuation des 110 passagers – seuls deux membres d’équipage étaient encore à bord. Touchée à la tête et à la poitrine, elle a succombé à ses blessures, lors de son transport à la clinique. Elle était âgée de 35 ans.

Décrite comme psychologiquement fragile, soignée auparavant pour dépression nerveuse, elle avait écrit au commandement de bord, qui a transmis le message à la tour de contrôle : « Je ne suis pas folle. Mais je ne suis pas d’accord avec le gouvernement. » Elle avait également menacé de faire écraser le Boeing sur l’usine militaire d’enrichissement de l’uranium de Pierrelatte (Drôme), tout en promettant ne vouloir « faire de mal à personne ».

« Convertie au judaïsme depuis son mariage, en 1968, bouleversée par la nouvelle guerre au Proche-Orient, scandalisée par la sortie d’un film qu’elle considérait comme inopportun, elle avait choisi, pour défendre une cause ô combien noble (elle voulait œuvrer pour un ‘rapprochement israélo-arabe’), un moyen trop courant et parfaitement odieux : le détournement d’avion avec prise d’otages », écrivait le 20 octobre 1973 le journal Le Monde. À l’époque, les détournements d’avions étaient en effet fréquents : selon le site aviation-safety.net, entre 1968 et 1975, 366 détournements d’avions civils ont été dénombrés à travers le monde, avec un pic en 1969 (86 détournements) – 22 ont été comptés en 1973. La mise en place de mesures de sécurité plus drastiques ont fini par raréfier le phénomène (aucun détournement en 2015 et 2017).

Le jour du détournement, une amie de Danielle Cravenne avait déclaré au journal Inter actualités : « Elle n’était pas du tout d’accord avec la sortie du film ‘Rabbi Jacob’ en ce moment, où il y a un conflit au Moyen Orient entre les Arabes et les Israéliens, et que ce film traite des rapports entre Arabes et Juifs. Elle trouvait ça un peu indécent. Elle a essayé de voir les différents producteurs de ce film et elle s’est heurtée à un mur et elle m’a dit ‘Je me suis heurtée au mur de l’argent’, c’est-à-dire que ces gens préfèrent leur argent à la vie des hommes qui sont là-bas. Le conflit israélo-arabe (…) a été le déclenchement de tout en elle : elle ne pouvait plus vivre d’une certaine façon, elle n’acceptait pas les minorités qui étaient persécutées, elle n’acceptait pas que les gens souffrent. C’était un peu une idéaliste. Je sais bien qu’à notre époque, ça ne se fait pas, on ne peut pas être idéaliste, faut vivre bien carré, faut vivre pour l’argent (…) »

Georges Cravenne à la cérémonie des Césars 2000. (Crédit : Georges Biard / Creative Commons Attribution-Share Alike 3.0 Unported)

Georges Cravenne, le mari de la pirate de l’air, promoteur du film qui est juif, accompagné des avocats Robert Badinter et Georges Kiejman, intentera un procès à l’Etat suite à la mort de sa femme, convaincu que son décès aurait pu être évité (si elle a mis en joue les policiers selon le préfet de police de l’époque, elle n’aurait tiré aucun coup de feu). Il sera débouté par la justice française.

L’homme a fondé la cérémonie des Césars trois ans après ce fait divers tragique. Il est décédé en 2009.

L’extrême gauche rend, encore aujourd’hui, de façon sporadique, hommage à la forcenée.

Avant même la sortie du film et la tentative de détournement, le film avait bien failli ne pas sortir. Gérard Oury avait notamment reçu des billets anonymes lui implorant de ne pas le sortir – a posteriori, il jugera que ces lettres, qu’il prenait pour une plaisanterie, étaient de Danielle Cravenne.

En janvier dernier, le compositeur Vladimir Cosma a déclaré à la radio Europe 1 : « J’ai assisté à une projection du film avant sa sortie, avec Gérard Oury et son ami le metteur en scène Henri Verneuil. À la fin de la projection, Verneuil a dit à Oury : ‘Tu es fou, on ne peut pas sortir un film comme ça, il va y avoir des émeutes, ils vont casser tous les cinémas.’ Il considérait que c’était impossible de sortir le film. »

Selon le musicien, si le fait divers est resté méconnu, c’est parce qu’ « on a voulu cacher cette histoire au public. Aujourd’hui, ça aurait été un scoop terrible ». « C’est incroyable que cette histoire folle ait été tenue secrète. Le film est sorti et contrairement à tout ce qu’on a pu dire, je n’ai jamais vu un démarrage aussi foudroyant », a-t-il ajouté.

Devenu l’un des plus grands classiques du cinéma français, « Les aventures de Rabbi Jacob » est ressorti l’an dernier dans une nouvelle restauration 4K. Un temps envisagé il y a quelques années, une suite du film, intitulée « Rabbi Jacqueline », n’est jamais entrée en tournage.

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