Lors d’un iftar interconfessionnel à Jérusalem, la rupture du jeûne à l’ombre de la guerre
Les membres de l'Interfaith Encounter Association ont partagé un repas et trouvé des points communs par le biais de la religion pour envoyer un message de coexistence et d'unité
Alors que les convives sont assis à une table, attendant pendant encore quelques minutes la fin du ramadan et le moment où le jeûne sera rompu et où les premiers plats seront partagés, Nahid Sakis se vante de l’excellence de sa carpe farcie – une recette qu’elle a empruntée à ses voisins juifs.
« Elle est aussi bonne que celle des Ashkénazes », s’exclame cette musulmane pratiquante qui utilise le terme désignant les Juifs originaires d’Europe de l’Est. Sakis, qui habite la ville mixte de Jaffa où se côtoient Juifs et arabes, désigne du doigt le hijab qu’elle porte sur la tête et elle s’amuse : « Je n’ai pas toujours été un ninja. »
Elle est devenue pratiquante et elle a commencé à se couvrir les cheveux après la mort du directeur du lycée où, dans le passé, elle enseignait la littérature hébraïque à des élèves arabes, raconte-t-elle. Ce directeur était un homme juif qu’elle admirait beaucoup et sa mort a entraîné chez elle une crise existentielle qui l’a finalement amenée à réexaminer sa philosophie sur la vie, la foi et la mortalité. « S’il y a un paradis dans l’au-delà, pourquoi ne voudrais-je pas y aller ? », s’interroge-t-elle.
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Le parcours de vie de Sakis, à cheval entre le monde arabe et le monde juif, entre la laïcité et la piété religieuse, n’est pas exceptionnel parmi tous ceux qui sont venus participer à cet iftar du ramadan, dans la soirée de jeudi. La soirée a été organisée par l’Interfaith Encounter Association (IEA) à Musara, l’un des quartiers les plus anciens de la Jérusalem moderne.
Accueilli dans le charmant et tranquille jardin de la Mission luthérienne évangélique finnoise et parrainé par l’USAID, ce dîner de rupture du jeûne rassemble environ 80 musulmans, Juifs et chrétiens venus de tout le territoire israélien et de la Cisjordanie. Au menu, un plat casher festif inspiré de la maqlouba, un plat traditionnel palestinien à base de poulet et de riz, avec en entrée de l’eau et des dattes pour rompre le jeûne conformément à la coutume de l’islam.
Cette année, cet iftar interconfessionnel a une signification toute particulière dans un contexte de guerre à Gaza – une guerre qui avait été déclenchée par l’assaut meurtrier du groupe terroriste du Hamas dans le sud d’Israël, le 7 octobre 2023. Les hommes armés avaient tué près de 1 200 personnes et ils avaient kidnappé 253 personnes, prises en otage dans la bande de Gaza. L’événement s’est donné pour objectif de transmettre un message d’unité et de solidarité à une période marquée par le conflit et par une méfiance qui s’est installée entre les différents groupes ethniques et religieux en Terre sainte.
« Tout le monde avait une telle envie de voir un événement tel que celui-là », commente Caroline Frimmer, organisatrice de cet iftar, qui ajoute que de nombreuses personnes avaient fait part de leur désir d’assister au repas, avec une liste d’attente spécialement longue.
« Certains m’ont dit que lorsqu’ils sont arrivés, ce soir, ils ont eu le sentiment d’être dans un autre pays, dans un univers parallèle. Venir ici équivaut à faire une déclaration d’intention parce que nombreux sont ceux qui vont diront que ce n’est pas le moment de se rencontrer les uns les autres. Et nous, nous leur disons tout le contraire. C’est plus que jamais le moment de nous rencontrer », ajoute Fimmer avec fermeté.
Rassembler dans la guerre ou dans la paix
L’Interfaith Encounter Association est une organisation à but non-lucratif qui a été fondée en 2001, au début de la Seconde intifada. Sa mission : créer un mouvement pour la paix et pour la compréhension mutuelle parmi les citoyens israéliens de différentes religions – Juifs, musulmans, chrétiens, druzes et Baháí.
Son directeur, Yehuda Stolov, a créé l’organisation avec la conviction que des relations de paix entretenues sur le terrain sont indispensables à la mise en place d’une solution politique durable au conflit.
Aujourd’hui, l’organisation compte 40 branches locales, fortes d’une dizaine de membres chacune, notamment aux États-Unis et en Cisjordanie où des Israéliens rencontrent des Palestiniens. Les groupes échangent dans un mélange d’arabe, d’hébreu et d’anglais en fonction des circonstances et des membres.
Les participants se retrouvent au moins une fois par mois pour évoquer des questions religieuses et découvrir les points communs et les différences entre les traditions des uns et des autres.
L’ONG s’est aventurée dans un nouveau territoire et elle organise aujourd’hui d’autres types d’activités – comme des échanges linguistiques réguliers entre femmes arabophones et hébréophones à Jérusalem.
Ce repas de l’iftar est une tradition de longue date au sein de l’IEA et il offre la chance aux membres de l’organisation, anciens et nouveaux, de se rencontrer et de créer des liens. Les organisateurs comme les participants reconnaissent qu’il a un sens particulier dans les conditions actuelles.
« Nous le considérons comme une graine, une semence de la réalité qui devrait exister sur le terrain », déclare Stolov, le fondateur de l’ONG. « Quand vous venez ici, vous voyez tout le monde assis aux mêmes tables et cela semble naturel. Et pour moi, c’est naturel ».
« Nous avons tous des préjugés, avec cette diabolisation les uns des autres parce que nous n’avons pas l’opportunité de nous rencontrer. Cette année, ces images ‘de l’autre’ sont encore grossies, exacerbées et elles se multiplient – c’est la raison pour laquelle il est tout particulièrement important de nous retrouver, de nous regarder dans les yeux et de nous souvenir que nous pouvons vivre les uns avec les autres », continue-t-il. « Pas besoin d’aimer tout le monde mais nous pouvons tous trouver des personnes avec lesquelles nous tisserons des liens. »
Pour Abier Abdalnabi, une musulmane qui réside à Jérusalem et qui est directrice de bureau à l’IEA, les événements survenus le 7 octobre et la guerre qui a suivi à Gaza ramènent à l’esprit les souvenirs des années tendues de la Seconde intifada.
« Je me mets à la place des otages et à la place des civils à Gaza. Cette situation est très dure à la fois pour les Arabes et pour les Juifs et c’est même pire au moment où certains, autour de nous, tentent d’attiser les tensions. Cet iftar peut nous redonner de l’espoir, » dit-elle. « Mais le principal, c’est de ne pas perdre notre foi. Si nous ne sommes pas convaincus que les choses peuvent s’améliorer, nous n’irons pas loin ».
D’autres font remarquer que les cicatrices laissées par les derniers cycles de violence ont pu avoir un rôle dans le maintien du calme dans la ville dans le contexte actuel de la guerre. A la surprise d’un grand nombre d’observateurs, cette année, le mois sacré musulman est sur le point de se terminer sans qu’il y ait eu d’éclat majeur de violence – à l’exception de la mort d’un adolescent de 13 ans qui a été tué par la police israélienne lors de la Seconde nuit du ramadan, alors qu’elle intervenait dans le camp de réfugiés de Shuafat, où des émeutes s’étaient déclarées. Les années précédentes, le ramadan avait été inévitablement – ou presque – marqué par des affrontements sanglants entre jeunes Palestiniens et policiers.
Teague Heelan est un ressortissant irlando-britannique qui vit à Jérusalem depuis plus d’une décennie. Il travaille dans la philanthropie et il est impliqué dans la vie de la communauté chrétienne locale. Il se souvient des lourdes tensions entre Juifs et Arabes au cours des précédents conflits – cela avait encore été le cas en 2021 – et il remarque que cette fois-ci, Jérusalem n’a pas été entraînée dans une spirale de violence. « C’est l’un des ramadans les plus tranquilles que je me rappelle avoir vécu ici », déclare-t-il.
« La différence a été viscérale depuis le premier jour de la guerre. Je n’ai assisté à aucun crachat, à aucune insulte, à aucune sorte de marque d’hostilité ; ça a été totalement le contraire », ajoute-t-il.
« Je vois des Juifs qui parlent avec des Arabes quand ils entrent dans la Vieille Ville, qu’ils vont au mur Occidental. On a l’impression que tout le monde tente de faire quelque chose pour montrer que tout ce qui arrive en ce moment doit rester en dehors de la sphère locale », note Heelan. « Les gens se demandent : ‘Pourquoi sombrer avec le navire ? Pourquoi mettre encore une fois Jérusalem dans le camp des perdants ?’, » poursuit-il.
La foi est souvent considérée comme l’un des points de friction principaux du conflit israélo-arabe mais les organisateurs de l’Iftar interconfessionnel sont formels : la religion peut servir d’outil de réconciliation.
« Nous entendons un si grand nombre de discours clivants souvent enrobés de religion », dit Frimer. « Grâce à cet événement, nous utilisons le langage, les traditions culinaires et la culture de la religion pour affirmer le contraire, pour montrer que tout ça peut rassembler les gens au lieu de les diviser ».
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