Mais où est passé l’argent de l’armée ?
Comment l’armée israélienne a-t-elle pu se mettre dans cette débâcle financière ? Pourquoi cela arrive-t-il chaque année ?
Haviv Rettig Gur est l'analyste du Times of Israël
Depuis le début de ce mois, les vols d’entraînement de l’armée et d’entraînement des brigades de réserve ont été annulés. Le ministre de la Défense Moshe Yaalon a averti ces dernières semaines que le déploiement d’éléments du bouclier antimissile de défense d’Israël, un atout stratégique clé dans toute guerre future avec l’Iran, sera retardé.
N’ayant plus de fonds au milieu de l’année fiscale, l’une des armées la plus sophistiquée et puissante du monde est maintenant gelée sur place et marchande avec les commissions de la Knesset et les ministères pour obtenir un autre milliard ou plus de shekels des contribuables pour rester à flots.
Chaque année, l’armée fait irruption à la Knesset pour solliciter de l’argent, les prévient des graves pénuries en matière d’entraînement et de matériel auxquelles elle fait face, et informe les législateurs de la tempête imminente à nos frontières qui menace l’existence fragile de l’Etat juif.
La théâtralité de ces batailles budgétaires, menées avec une régularité presque d’horloger depuis des décennies (le mois de juin dernier, par exemple, a vu les mêmes arguments développés et la même formation annulée), a conduit de nombreux experts, législateurs et citoyens à se moquer de l’armée qui crie au loup et tout le monde commence à questionner sa capacité à faire ses comptes.
Mais ces batailles budgétaires ont des conséquences bien pires que l’érosion de la confiance du public dans la responsabilité financière de l’armée. Les changements constants, imprévus dans le budget – généralement, les militaires se plaignent d’un manque à gagner, citent un chiffre, et reçoivent exactement la moitié de la somme demandée, c’est là que le Premier ministre intervient inévitablement et rééquilibre la donne – font qu’il est presque impossible de procéder à une planification à long terme de la commande de l’armée israélienne.
L’armée israélienne est censée fonctionner selon un « Tarash », un acronyme de style militaire pour Tochnit rav-shnatit, ou « plan pluriannuel ». Mais l’establishment de la défense n’a même pas pris la peine d’écrire un tel plan depuis au moins 2011, lorsque le dernier Tarash a été rejeté après que le gouvernement ait diminué le budget de la défense (entre autres budgets) pour financer les dépenses sociales qui ont augmenté à la suite des manifestations pour les droits sociaux de cet été là.
Ce passage aux questions sociales – y compris, par exemple, la décision coûteuse d’abaisser l’âge de la scolarité obligatoire gratuite de cinq à trois ans – a appauvri le ministère de la Défense d’environ 7 milliards de shekels (2 milliards de dollars) en 2014, qu’il ne devrait l’être selon les recommandations de 2008 de la commission Brodet sur le budget de la défense, le dernier effort majeur externe du gouvernement pour évaluer les besoins budgétaires de l’établissement de la défense.
Pendant ce temps, alors que les budgets de l’armée diminuent à cause de l’évolution des priorités, ses besoins financiers ne font que croître.
« Il y a une tension intégrée », explique le député Zeev Elkin (Likud), président de la commission des affaires étrangères et de la défense de la Knesset, le principal corps civil qui supervise la défense.
« Nous sommes un pays où les menaces sécuritaires évoluent mais ne disparaissent pas. Dans le même temps, les armées du monde entier sont de plus en plus intelligentes, technologiques, et de plus en plus chères. Les menaces croissantes et les armées intelligentes augmentent les coûts de la défense », indique-t-il, ajoutant: « Nous sommes également l’un des pays occidentaux les plus dynamiques où la population augmente, si ce n’est le plus rapide. Le budget national est en grande partie consacré à la défense, l’éducation, les infrastructures et la santé – et chaque partie se développe simultanément ».
Dans un pays dirigé par des politiciens élus, les priorités changent. Et le manque de planification à long terme signifie que l’armée est constamment en mode rattrapage pour garantir les budgets nécessaires à son fonctionnement.
Avoir leur part du gâteau
Mais les changements de priorités du gouvernement ne sont pas les plus grands fardeaux du budget de l’armée israélienne. Le ministère de la Défense termine encore la plupart des années fiscales avec un budget plus important que l’année précédente. La dépense la plus importante qui ronge le budget de l’armée israélienne est le coût croissant des dépenses de main-d’œuvre, principalement les pensions, à hauteur de quelque 7 milliards de shekels en 2014, le résultat de l’insistance de longue date de l’armée sur le maintien de son propre système de retraite dans le cadre du budget du ministère de la Défense.
Le budget de l’armée représente moins de la moitié du coût du ministère de la Défense.
Les officiers entrants cotisent sur des fonds de pension d’employeur séparés du budget de la défense. Il faudra de nombreuses années avant que le dernier des officiers dont les pensions sont financées par le budget de la défense prenne sa retraite.
La pression est aiguë. La majorité des dépenses non militaires du ministère de la Défense sont « rigides », un terme du Trésor pour les fonds qui ne peuvent pas être diminués, comme les pensions et les engagements contractuels.
Comme la durée de vie s’allonge et les retraites augmentent – alors que le budget du ministère de la Défense continue d’être alloué chaque année comme un bloc d’argent pré-planifié, comme tout autre ministère – le résultat est une pression constante sur le budget du ministère de la Défense le plus souple : les opérations militaires.
« Le budget de la défense a besoin d’un changement structurel, qui à mon avis ne viendra pas des commissions externes, mais des ministères de la Défense et des Finances assis à la même table », selon le député Ofer Shelah (Yesh Atid), un député de la commission des affaires étrangères et de défense et de la commission paritaire sur le budget de la Défense.
Shelah est également un proche conseiller du chef de son parti, le ministre des Finances Yair Lapid, et est considéré comme un personnage clé dans la résolution de l’impasse actuelle.
Les deux ministères doivent « établir une équipe qui va s’asseoir et résoudre les problèmes structurels du budget de la Défense », a déclaré Shelah au Times of Israel. « L’équipe, dont les membres [auront le pouvoir de] de signer les chèques, devra apporter le budget global de la défense au budget de l’armée israélienne, créer plus de corrélation entre les deux » – c’est-à-dire, réduire la partie non militaire du budget du ministère de la Défense, la partie concernant le personnel.
Le député Yariv Levin (Likud), qui préside la commission mixte, est d’accord. « En fin de compte, le gouvernement doit résoudre la crise de financement immédiate, et il doit créer des plans à long terme. Voilà comment cela fonctionne : le gouvernement estime le budget et nous approuvons. Notre travail consiste à tendre un miroir pour leur permettre de voir l’urgence de cette situation ».
Mais si le gouvernement ne parvient pas à trouver une solution à la crise budgétaire, Levin promet, la Knesset aura une position beaucoup plus militante.
Il est exact que le budget de l’armée est en mauvais état, et chef d’état-major le Lt. Gen Benny Gantz ne ment pas quand il affirme que l’armée est désespérément à court de liquidités, malgré plusieurs augmentations budgétaires au cours des dernières années. Le ministère de la Défense obtiendra peut être une quantité toujours plus grande de shekels des contribuables, mais le budget disponible de l’armée dépendra de la croissance de la pension et des autres dépenses rigides.
La guerre manquante
Les arrêts des entrainements sont graves. Une armée de l’air qui ne vole pas pendant quelques semaines est gravement handicapée si elle est soudainement appelée à combattre.
Pourtant, la vidange du budget de formation n’était pas accidentelle. L’armée israélienne a délibérément dépensé tout son budget pour l’entrainement de 2014 entre janvier et mai. La raison : selon les meilleures évaluations du renseignement de l’armée, il devrait y avoir une guerre cet été.
C’est peut-être l’affaiblissement du Hamas à Gaza, l’instabilité en Egypte, les retombées de la Syrie, le Hezbollah sur la frontière du Golan, ou une poussée iranienne plus large dans la région. Quelle que soit la raison qui a conduit à l’estimation de l’armée – à la différence des dépenses accrues, l’évaluation elle-même n’est pas publique – l’effet était une augmentation dramatique du régime d’entrainement des divisions de combat de l’armée israélienne dans un effort d’être au meilleur de leur forme dans la préparation pour le conflit à venir.
On est seulement en juin ; l’évaluation de l’armée israélienne peut encore s’avérer prémonitoire et son dépassement de dépenses tout à fait justifié. Pourtant, que les évaluations de l’armée se révèlent exactes ou non – l’ennemi, bien sûr, a toujours son mot à dire dans sur de telles choses – on peut, peut-être, s’interroger sur le processus budgétaire qui permet des dépenses prodigues sans vérifier si le gouvernement et la Knesset approuveraient des fonds supplémentaires. C’est cette déconnexion bureaucratique, pas les préparatifs de l’armée israélienne, qui est préoccupante.
Shelah, Levin et Elkin partagent le sentiment que l’armée israélienne est à la fois l’auteure et la victime de la crise budgétaire, et que la solution réside dans la création d’un processus de planification systématique qui prendra les besoins uniques de l’armée en compte – les pics inattendus des dépenses en raison de conflit réel ou prévu, les besoins de retraite plus élevés en raison de ses besoins en main-d’œuvre spéciaux, etc.
L’armée israélienne veut avoir sa part du gâteau et la manger aussi. Elle veut exercer un contrôle sur le financement des retraites, tout en exigeant des augmentations budgétaires imprévues pour compenser la croissance de ces coûts. L’armée est également mal servie par un gouvernement qui n’a pas mis en place de système de budgétisation souple, nécessaire à une telle institution nationale vaste mais indispensable.
On espère qu’au regard de l’incertitude financière permanente de l’armée et la diminution forcée du niveau de préparation au combat des divisions militaires, il est de plus en plus évident aux hauts gradés et à leurs surveillants civils à la Knesset qu’il est peut-être temps de résoudre ce problème structurel une fois pour toutes.