Malgré la guerre, des Israéliens s’efforcent de renouer avec une certaine routine
Pour Denis Charbit, politologue de l'Université libre d'Israël, cette "résilience israélienne" est "la revanche par excellence"
Cent jours après les attaques sans précédent du Hamas palestinien en Israël qui ont déclenché la guerre, l’ambiance à Ashkelon serait celle d’une station balnéaire s’il n’y avait pas les détonations dans la bande de Gaza proche de cette ville méditerranéenne du sud du pays.
« La victoire, c’est le retour à la routine. Et une certaine routine est revenue », assure Effi Hajaj, 55 ans, qui a rouvert son échoppe sur le front de mer, fermée après le déclenchement des hostilités le 7 octobre.
Derrière cette apparence de normalité demeure le traumatisme des attaques menées en plein Shabbat par le mouvement islamiste palestinien, qui ont fait voler en éclats le sentiment de sécurité des Israéliens. Quelque 1 140 personnes, en majorité des civils, ont été tuées dans les attaques, selon un décompte de l’AFP établi à partir du bilan israélien.
Dans les médias et sur les murs des villes apparaissent les visages des otages enlevés en Israël le 7 octobre (dont 132 restent retenus dans la bande de Gaza) et ceux des soldats tués au combat, près de 190 depuis le début de l’opération terrestre le 27 octobre. Quelque 360 000 réservistes ont été rappelés.
Une mobilisation considérable pour ce pays de 9,3 millions d’habitants où le soutien à une poursuite de la guerre reste massif, toutes tendances politiques confondues, comme l’ont montré deux sondages récents de l’IDI (Israel Democracy Institute).
Sur le front de mer d’Ashkelon, à dix kilomètres du petit territoire, des habitués du bistrot d’Effi Hajaj sirotent leur café, des badauds se dirigent vers la longue plage de sable fin.
« Les gens sortent à nouveau. Il n’y a presque plus de missiles et ils n’ont plus peur des incursions de terroristes », dit le commerçant. Le 7 octobre, des hommes armés du Hamas avaient atteint les faubourgs d’Ashkelon.
Une fois les écoles et les commerces rouverts, l’immense majorité des habitants sont revenus.
La plupart des roquettes tirées depuis le 7 octobre, ont été interceptées par le système anti-missiles Dôme de fer, même si des blessés et des dégâts ont été signalés. A l’hôpital d’Ashkelon, 1 260 civils ont été soignés pour des blessures liées à la guerre, aux attaques du 7 octobre ou tirs de roquettes, selon sa porte-parole.
A Jérusalem, le marché couvert de Mahane Yehuda, baromètre de la ville, est bondé, notamment le vendredi avant le Shabbat. « C’est magnifique de voir les gens venir faire leurs courses (…) alors que tout était vide », s’enthousiasme Hanna Gabbay, 22 ans. « Le pays reste traumatisé (…) mais la vie est plus forte que tout, nous sommes obligés de continuer », ajoute-t-elle.
Pour Denis Charbit, politologue de l’Université libre d’Israël, cette « résilience israélienne » est « la revanche par excellence : être profondément ébranlé, mais triompher en affirmant une vitalité et un dynamisme exceptionnels ».
Autre signe d’un retour à une certaine normalité, les controverses politiques un temps tues au nom de l’union sacrée ont repris, notamment sur la réforme judiciaire qui avait divisé le pays.
« Nous devons continuer, aller de l’avant (…) mais où qu’on aille les conversations tournent autour des otages, autour des événements que nous avons vécus », explique à Ashkelon Marina Michaeli, agente immobilière de 54 ans : « Nous avons perdu notre joie de vivre. »
L’inquiétude pour les soldats, le sort des otages, et celui des déplacés sont les « trois choses qui font qu’on ne peut pas parler de retour à la normalité », estime Denis Charbit.
Radios et télévisions diffusent en quasi permanence des témoignages de familles de soldats tombés au combat. Les proches d’otages multiplient les actions. Le mot d’ordre « Bring them home now » (« Ramenez-les maintenant à la maison ») est omniprésent.
Aux intersections des rues, sont attachées des banderoles avec les photographies des otages, parfois accompagnées des mentions « A la maison » pour les 105 libérés à la faveur d’une trêve fin novembre. Parfois, c’est la mention rituelle « Que sa mémoire soit bénie » qui est inscrite…
Autre obstacle au retour à la normale, environ 200 000 Israéliens n’ont pas pu retourner chez eux.
Au nord, une bande de plusieurs kilomètres le long de la frontière avec le Liban a été évacuée en raison des affrontements quotidiens avec le Hezbollah, mouvement islamiste libanais pro-iranien, et la peur d’infiltrations et d’attaques contre les civils. Au sud, tout retour est pour le moment proscrit le long de la frontière avec Gaza.
Rares sont ceux qui sont revenus à Sdérot parmi les 35 000 habitants de cette ville située à deux kilomètres de la bande de Gaza, où les hommes du Hamas avaient tué au moins 40 personnes.
Les chats errent sur la petite place, quelques commerces tournent au ralenti. Seuls les chants des oiseaux et de rares voitures rompent le silence.
« Nous ne nous sentons pas en sécurité (…) mais nous n’avons qu’un seul pays et nulle part ailleurs où aller », résume Eti Bouhbout, une mère de famille de 46 ans.