Matzah shmoura pour Pessah : pourquoi est-elle si chère ?
Le niveau supérieur de vigilance et le processus de travail intensif requis pour faire ces matzot à la main, sont majoritairement ce qui explique son prix élevé

NEW YORK (JTA) – Elle coûte plus au kilo que le filet de bœuf. Elle peut être brûlée ou avoir le goût de carton. Elle est si délicate qu’elle se brise souvent dans la boîte, la rendant très désagréable à utiliser pour le rituel de Pessah.
Et pourtant chaque année, les juifs de Brooklyn à Bnei Brak font la queue pour donner leur argent difficilement gagné pour des boîtes et des boîtes de cette matzah.
Ce n’est pas votre boîte habituelle de matzah. Nous parlons, bien sûr, de la matzah shmoura faite à la main : les matzot rondes artisanales sont considérées comme particulièrement spéciales parce que ses ingrédients sont « gardés » contre le levain, ou hametz, pas seulement le temps que le blé soit moulu en farine, mais depuis avant même la récolte du blé. « Shmoura » est le mot hébreu pour « gardé ».
Le niveau supérieur de vigilance, et le processus de travail intensif requis pour faire ces matzahs à la main, sont majoritairement ce qui explique son prix élevé : entre 40 et 80 dollars pour un seul kilo.
« Le nombre d’heures de travail, entre moi et mon équipe, est incomparable », a déclaré Yisroel Bass, qui gère une ferme à Goshen, New York, qui produit une matzah shmoura bio (68 dollars le kilo de schmoura classique, 74 dollars pour celle à base d’épeautre).

« Louer une boulangerie coûte beaucoup d’argent, l’espace et l’équipe. Le matériel casse tous les ans. Chaque ferme a ses dépenses, et les fermes bio finissent par avoir plus de frais. Nous ne pouvons pas acheter d’engrais synthétiques ; nous avons du fumier, a déclaré Bass à JTA. Et, que Dieu nous en préserve, j’ai une mauvaise année et le rabbin vient et dit que la farine n’est pas bonne, j’ai juste dépensé beaucoup de temps et d’argent pour un produit que personne ne veut. Le prix doit refléter cela. »
Malgré son prix – et, diront certains, son goût – il y a un marché florissant pour la matzah shmoura faite à la main (il existe également des shmoura faite à la machine, qui sont moins chères et habituellement carrées, mais examinées plus attentivement que la matzah classique). Beaucoup de juifs observants n’utiliseront rien d’autres que la matzah shmoura faite à la main pour leur table de seder. Certains ne mangeront jamais autre chose que de la matzah shmoura pendant Pessah.
Les mêmes juifs qui allument de chères ménorahs à l’huile d’olive pendant Hanoukka plutôt que des bougies en cire ou achètent des itrogs pour Soukkot dépenseront plus d’argent avant Pessah pour acheter de la matzah shmoura faite à la main. (La pratique d’aller toujours plus loin porte le nom de « matzah hiddur », magnifier le commandement.)
« Pour le consommateur, c’est une opportunité d’acheter la seule nourriture sacrée que nous avons aujourd’hui dans notre foi », a déclaré le rabbin Shmuel Herzfeld de la synagogue Ohev Sholom à Washington, D.C. « C’est un compromis. Acheter moins de viande et plus matzah shmoura. »
Mitchell Weitzman, un avocat de Baltimore, dit que la matzah shmoura a une valeur sentimentale.
« Il y a tout simplement un sentiment d’authenticité à avoir de la matzah shmoura sur la table, a déclaré Weitzman. C’est un sentiment plus qu’autre chose – certainement plus que de servir des Fruit Loops [céréales pour enfants] spécial Pessah le lendemain matin. »

D’autres disent qu’ils aiment le goût et en mangent toute l’année, la stockant juste après Pessah quand le prix chute spectaculairement en raison de la réduction de la demande.
« Je garde une boîte de matzah shmoura dans le coffre de ma voiture », a dit Tali Aronsky, doyenne des relations publiques vivant en Israël. « Croustillante par tous les temps, et bonne en un instant. »
Les juifs religieux considèrent que la matzah shmoura cuite après midi le jour précédent Pessah, la « mizva matzot », est particulièrement méritoire à manger, et le prix de la matzah est fixé en fonction de cela. A la boulangerie Satmar, dans le quartier Williamsburg de Brooklyn, un kilo de matzah cuite la veille de Pessah coûte 120 dollars. La file de clients du magasin de la rue Rutledge serpente en général autour du pâté de maisons.
La boulangerie Satmar utilise nombre de critères rigoureux rares même dans le monde de la matzah shmoura. Elle récolte son blé en Arizona, où le climat sec aide à protéger des levées accidentelles (l’humidité accélère la levée).
Les fermiers de matzah du nord est récoltent typiquement leur blé en mai ou juin – autour de la fête de Shavouot (aussi appelée Hag HaBikourim, ce qui signifie fête des premiers fruits). Le blé est récolté après que les grains commencent à durcir mais avant qu’il ne germe de nouvelles pousses. Les superviseurs cashers surveillent le grain même quand il pousse pour s’assurer que le blé ne germe pas.
A partir du moment où il est récolté jusqu’à ce qu’il soit moulu des mois plus tard, le blé doit être gardé et stocké dans un environnement climatique contrôlé. Trop humide, il peut devenir du hametz. Trop sec, il échouera à cuire correctement. A la Yiddish Farm, dans l’état de New York, dit qu’elle utilise des ventilateurs et des ordinateurs surveillant le niveau d’humidité pour le maintenir au niveau désiré de 11 à 12 %.
Après que le blé ait été moulu en farine – là aussi sous surveillance rapprochée – le processus de cuisson peut commencer.
Une question de timing
Une fois que la farine est mélangée à l’eau pour faire la pâte, les boulangers n’ont que 18 minutes pour la transformer en matzah. Passé ce laps de temps, la matzah, comme Cendrillon après minuit, se transforme en hametz. A la boulangerie Satmar de Washington, l’horloge est réglée sur un compte à rebours de 15 minutes, pour être sûr.
Les boulangers utilisent de l’eau, puisée dans un puits, selon la tradition, après le coucher du soleil mais avant la tombée de la nuit, et la mélangent avec la farine pour faire la pâte. La pâte est portionnée, roulée en cercles plats, qui sont perforés de petits trous, enroulés sur des cylindres et poussée dans un four à bois et à charbon à 1 300° pendant environ 20 secondes. Après le refroidissement de la matzah, elle est inspectée pour sa qualité (les morceaux brûlés et cassés sont jetés ou vendus en solde) et emballée, 14 pour un kilogramme.
Entre chaque cycle de 15 minutes, chaque surface qui a été en contact avec la pâte doit être récurée ou remplacée. Si un morceau perdu dans le cycle précédent reste, la miette de plus de 18 minutes sera du hametz et infectera la pâte utilisée pour le prochain cycle.
Cela signifie que les mains doivent être lavées et inspectées, les rouleaux en bois sont jetés et remplacés, et les surfaces de travail sont recouvertes d’un nouveau papier. Tous les travailleurs qui touchent la pâte ou la matzah sont supposés observer la religion.

La boulangerie Satmar opère environ six mois par an, de Soukkot à Pessah, produisant environ 50 000 kilogrammes de matzah.
« Nous faisons un peu plus de 500 kilogrammes par jour, a déclaré le gérant, Burech Yida Spitzer. Nous emballons sous vide toutes les matzahs. Elle reste aussi fraîche d’octobre à Pessah. »
Toutes les matzahs shmoura faites à la main ne sont pas équivalentes. Il y a les classiques, celles à la farine complète ou celle à l’épeautre. Il y a des shmoura cuites par de jeunes femmes pieuses, les matzah Beis Rachel, chères parce que les boulangères sont considérées comme plus fiables religieusement que les travailleurs ordinaires engagés pour la matzah. Il y a la matzah cuite selon différentes interprétations académiques. Et, bien sûr, il y a les matzot cassées, comme l’une des trois matzot officielles du seder ou comme l’une des deux matzot utilisées au début de tous les repas de fêtes et de Shabbat, parce qu’elles ne sont pas entières. Chaque variation a un prix différent.
« Nous avons 15 sortes de matzot différentes, a dit Eli Hershkowitz, qui dirige la boulangerie Satmar. Elles sont toutes très croustillantes et cassables. La plupart des gens les achètent directement à la boulangerie, mais nous avons aussi un service de livraison et prenons des commandes par téléphone et fax. Je n’envoie qu’à vos propres risques. Si cela va jusqu’en Californie ou en Floride, cela ne se fera pas sans casse. »
Hershkowitz passe une partie du printemps à chercher du blé en Arizona et consacre une partie de l’été aux itrogs en Italie et au Maroc.
A ce niveau de prix, un nombre croissant d’acteurs sont apparus pour entrer sur le marché de la matzah shmoura. Des chaînes de supermarché à bas prix en Israël vendent maintenant de la matzah shmoura relativement bon marché, et certains consommateurs américains disent qu’ils ont trouvé de la matzah shmoura faite à la main dans leur Costco [chaîne de supermarché] pour aussi peu cher que 26 dollars le kilogramme.
Ber Braver, qui habite à Brooklyn, dit que ce n’est pas nécessairement une bonne chose.
« L’argent n’est rien, la spiritualité est tout », a écrit Braver sur Facebook en réponse à une question d’un journaliste de JTA.
« Que voulez-vous, nous devrions envoyer des matzot de Chine comme des iPhones d’Apple ? Non. Nous devons soutenir nos rabbins qui travaillent très dur pour produire ces matzot avec une yiras Shamayim [peur de Dieu] fervente. Ils sont saints et servent Dieu avec le plus grand sacrifice. »
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.

Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel