« Mort aux Juifs » scandé et autodafé lors de la fête nationale de la Pologne
Des centaines d'extrémiste de droite ont brûlé un texte historique de 1264 qui instaurait une série de privilèges pour les juifs établis au pays. Varsovie et Jérusalem ont condamné ces actes
JTA — Des nationalistes polonais ont – entre autres – scandé « Mort aux Juifs » alors qu’ils brûlaient un livre représentant un pacte historique protégeant les droits des Juifs du pays.
Les autorités polonaises ont condamné ces actes antisémites qui ont accompagné une récente marche d’extrême droite nationaliste dans la ville de Kalisz, une ville d’environ 100 000 habitants située à quelque 190 kilomètres au sud-ouest de Varsovie.
Dans le contexte de la fête nationale de l’Indépendance célébrée le 11 novembre dernier à travers le pays, quelques centaines de partisans d’extrême droite ont en effet lancé des slogans violemment antisémites et brûlé un texte historique de 1264 qui instaurait à l’époque une série de privilèges pour les juifs établis au pays. La Pologne avait regagné sa souveraineté en date du 11 novembre 1918.
Des vidéos – et les récits de témoins – publiés sur les réseaux sociaux montrent Wojciech Olszański, un activiste d’extrême-droite, mettre le feu à un livre à la couverture rouge qui symbolise le statut de Kalisz. Ce document, émis par le prince Bolesław le Pieux, avait régulé le statut légal des Juifs habitant la Pologne, leur offrant une certaine protection en pénalisant les attaques commises à leur encontre. Ce statut avait servi de fondation juridique déterminant les relations entre Juifs et non-Juifs de Pologne pendant des siècles.
La Pologne a été pendant des siècles l’une des terres européennes les plus accueillantes pour les Juifs, les rois leur offrant une protection après avoir fui les persécutions sur les terres allemandes.
La communauté juive de Pologne est devenue la plus grande d’Europe au 20e siècle, avec quelque 3,3 millions de Juifs vivant dans le pays à la veille de la Seconde Guerre mondiale. La plupart ont été assassinés par l’Allemagne nazie pendant la Shoah. Aujourd’hui, la communauté est très petite, se comptant par milliers.
Sur des images, Olszański verse du liquide inflammable sur le livre qui a été empalé sur un objet en métal. Il met le feu à l’ouvrage alors que la foule, autour de lui, applaudit et crie : « Mort aux Juifs ».
Certains ont également scandé le slogan « Non à Polin, oui à la Pologne » à cette occasion. « Polin » est à la fois le mot hébraïque pour désigner la Pologne et le nom du principal musée juif de Varsovie.
« C’est un événement qui est à la fois effrayant et important au niveau symbolique », a commenté Rafal Pankowski, chef du groupe de lutte contre le racisme en Pologne ‘Plus Jamais ça’. Il a comparé ce rassemblement aux autodafés qui avaient eu lieu pendant le nazisme, en Allemagne, et notamment lors de la Nuit de Cristal, en 1938. Le 83e anniversaire de ce pogrom déterminant a eu lieu mercredi dernier. « Cela fait plus de 25 ans que je surveille l’antisémitisme et je n’avais jamais vu ça », a confié Pankowski à la JTA.
« Ces images font froid dans le dos », a par ailleurs déclaré la coordinatrice de l’Union européenne dans la lutte contre l’antisémitisme Katharina Von Schnurbein dans un post, sur Twitter.
La manifestation a été condamnée deux jours plus tard sur Twitter par le ministère polonais des Affaires étrangères. Le jour de la fête nationale a été « utilisé pour propager la haine, l’antisémitisme et l’intolérance religieuse », a déploré le porte-parole du ministère, Lukasz Jasina.
De son côté, le ministre de l’Intérieur Mariusz Kaminski a souhaité « que les organisateurs de ce rassemblement honteux en subissent des conséquences devant la justice ».
Des représentants des églises et des communautés chrétiennes de Kalisz ont déploré ces incidents qui « remettent en question les valeurs humaines fondamentales et chrétiennes que sont le respect, le dialogue et la coopération ».
L’influente Église catholique de Pologne a fermement condamné le déferlement de haine.
Mgr Rafał Markowski, président du Comité pour le dialogue avec le judaïsme de la Conférence épiscopale polonaise, a déclaré que « de telles attitudes n’ont rien à voir avec le patriotisme ». « Ils sapent la dignité de nos frères et détruisent l’ordre social et la paix. Ils sont en contradiction directe avec l’Évangile et l’enseignement de l’Église », a dit Markowski.
Des représentants de l’épiscopat et de la présidence polonaise ont également condamné ces actes qui rappellent les heures sombres de la Seconde Guerre mondiale.
« La barbarie menée par un groupe de hooligans à Kalisz est contraire aux valeurs sur lesquelles repose la République de Pologne », a écrit dimanche le président polonais Andrzej Duda sur son compte Twitter. Notant la crise actuelle à la frontière de la Pologne avec la Biélorussie, Duda ajoute qu’il s’agit « même d’un acte de trahison ».
La police examine les images, a fait savoir l’agence de presse PAP.
Przyjechać do Kalisza, by na Głównym Rynku, wśród nienawistnych okrzyków spalić "Statut Kaliski" – świadectwo wielowiekowej tradycji tolerancji i otwartości, to jak napluć w twarz wszystkim kaliszanom. Gdzie były władze miasta? pic.twitter.com/uV4dsE7jX3
— Karolina Pawliczak (@KarolinaPawli15) November 11, 2021
Le ministre des Affaires étrangères Yair Lapid s’est lui félicité de la « condamnation sans équivoque » des autorités polonaises, déclarant que le peuple juif « s’attend à ce que le gouvernement polonais agisse sans compromis contre ceux qui ont pris part à cette manifestation choquante de haine ».
« L’horrible incident antisémite en Pologne rappelle à chaque Juif du monde la force de la haine qui existe dans le monde », a encore déclaré Lapid.
Ces dernières années, les célébrations de la fête de l’indépendance de la Pologne ont été éclipsées par des événements menés par des groupes d’extrême droite.
Le plus important jeudi était à Varsovie. Le maire avait tenté de l’interdire, en affirmant que la capitale n’était pas un endroit pour les « slogans fascistes ». Il avait le soutien de la justice pour l’interdiction, mais le gouvernement de droite polonais a donné à la marche le statut de cérémonie d’État, – le dernier exemple des nationalistes au pouvoir cherchant à s’attirer les faveurs des groupes extrémistes.
Ainsi, ont participé jeudi des dizaines de milliers de manifestants, et des slogans antisémites et anti-européens ont aussi fait leur apparition.
D’autres importants événements nationalistes ont eu lieu dans des villes polonaises majeures au cours de ces derniers jours. L’une des thématiques principales de ces défilés a été la crise actuelle des relations entre la Biélorussie et la Pologne.
Ces derniers jours, le dictateur biélorusse Alexander Loukachenko a encouragé des immigrants à traverser la frontière avec la Pologne et l’Union européenne – il chercherait à se venger de la Pologne et des autres pays qui ont accueilli des dissidents biélorusses.
Le gouvernement polonais de droite se refuse à laisser entrer ces immigrants avec, parmi eux, des demandeurs d’asile afghans.
Le président russe Vladimir Poutine a rejeté samedi les accusations selon lesquelles Moscou serait à l’origine de la crise migratoire en cours à la frontière entre le Bélarus et la Pologne, ou des milliers de migrants sont massés depuis des jours.
Balayant les voix occidentales affirmant que Moscou avait orchestré avec Minsk l’envoi de migrants à la frontière orientale de l’Union européenne, Vladimir Poutine a renvoyé la responsabilité à l’Occident et à ses stratégies au Moyen-Orient.
« Je veux que tout le monde le sache. Nous n’avons rien à voir là-dedans », a déclaré le président dans une interview télévisée. « Nous ne devons pas oublier d’où viennent ces crises impliquant des migrants… des pays occidentaux eux-mêmes, y compris de pays européens ».
Lors d’une rencontre à Moscou cette semaine, le chef de la diplomatie russe Sergueï Lavrov et son homologue bélarusse avaient déjà affirmé que les flux de migrants étaient provoqués par les interventions militaires occidentales au Moyen-Orient.
Vladimir Poutine a affirmé que les dirigeants européens devaient s’adresser directement au président bélarusse Alexandre Loukachenko pour résoudre cette crise, ce qu’ils rechignent à faire, depuis la contestation historique ayant suivi sa réélection en 2020.
« D’après ce que j’ai compris, Alexandre Loukachenko et (la chancelière allemande Angela) Merkel sont prêts à se parler », a indiqué M. Poutine.
Les migrants, majoritairement des Kurdes irakiens, sont coincés depuis des jours à la frontière orientale de l’Europe, dans le froid, vivotant dans des campements de fortune et brûlant du bois pour se réchauffer.
Selon le Bélarus, quelque 2 000 personnes sont sur place, dont des femmes enceintes et des enfants. Varsovie affirme pour sa part qu’il y a entre 3 000 et 4 000 migrants à la frontière, et que de nouvelles personnes arrivent quotidiennement.
Leur situation inquiète, les températures plongeant au fil des jours. La Pologne leur refuse l’entrée et accuse le Bélarus de les empêcher de quitter la zone.
Les autorités bélarusses ont pour leur part annoncé samedi la livraison d’aide aux migrants, dont des tentes, de l’eau, du bois de chauffage et un générateur, ce qui pourrait pérenniser ce site aux portes de l’UE.
Des migrants tentent de rallier l’Union européenne depuis le Bélarus depuis plusieurs mois, mais la situation a évolué lorsque, lundi, des centaines d’entre eux ont tenté de traverser en masse et se sont fait repousser par les gardes-frontières polonais.
Depuis, de nouvelles tentatives sporadiques de passer la frontière ont eu lieu. La police polonaise a indiqué samedi que le corps d’une jeune homme syrien avait été trouvé dans une forêt près de la frontière, la cause du décès ne pouvant pas encore être déterminée.
Ce décès fait grimper à onze le nombre de migrants trouvés morts des deux côtés de la frontière depuis le début de la crise cet été, selon des ONG.
L’UE accuse le président bélarusse d’avoir organisé la venue des migrants afin de se venger des sanctions occidentales contre son régime, depuis la répression brutale d’un mouvement contestant sa réélection en 2020.
Alexandre Loukachenko tient le pays d’une main de fer depuis près de trois décennies.
De nouvelles sanctions européennes « seront décidées et appliquées », a pour sa part indiqué le vice-président de la Commission européenne, Margaritis Schinas, dans le quotidien français Le Figaro de samedi.
Dans le collimateur, notamment, la compagnie aérienne bélarusse Belavia, accusée d’avoir transporté des groupes de migrants à Minsk notamment depuis Istanbul.
Bruxelles a salué vendredi des « progrès » dans les efforts pour endiguer l’afflux de migrants après que la Turquie a interdit aux Irakiens, Syriens et Yéménites d’embarquer pour le Bélarus depuis son sol.
La Turquie a elle aussi rejeté toute responsabilité dans la crise, le porte-parole de la présidence turque, Ibrahim Kalin, affirmant samedi à l’AFP que blâmer Ankara serait « »malavisé et déplacé ».
A la frontière polono-bélarusse, la situation reste tendue, des milliers de troupes étant déployées des deux côtés.
La Russie affiche son soutien au Bélarus, mais semble réticente à trop s’impliquer. Vladimir Poutine s’est ainsi désolidarisé samedi des menaces de son homologue bélarusse cette semaine d’interrompre les livraisons de gaz russe à l’Europe via le gazoduc transitant par son pays.
« Honnêtement, c’est la première fois que j’entendais ça », a indiqué M. Poutine. « Il ne m’en a jamais parlé (…) Il pourrait probablement le faire, mais ce ne serait pas bien ».