Notre-Dame-de-Paris, témoin du vieux lien ambigu des chrétiens avec les Juifs
L'archevêque Jean-Marie Lustiger (1926-2007), né juif, a permis la réconciliation de l'histoire de la cathédrale avec son passé marqué notamment par l'antisémitisme chrétien millénaire
Samedi 7 décembre, Notre-Dame-de-Paris rouvrait en grande pompe ses portes après cinq ans de reconstruction et de rénovation suite à l’incendie dévastateur d’avril 2019. L’occasion pour le magazine Geo de revenir sur les liens entre la cathédrale et le judaïsme.
En 2007, l’archevêque Jean-Marie Lustiger, qui a officié dans la cathédrale de 1981 à 2005, est inhumé dans la crypte de Notre-Dame où il repose désormais pour l’éternité. Né Aron Lustiger, cet homme d’Église s’est converti au christianisme en 1939 mais n’a jamais renié ses origines juives. La décision d’inhumer son corps dans la cathédrale avait été une véritable révolution. D’autant que Notre-Dame peut témoigner des siècles de persécutions des Juifs par les chrétiens.
Sur la façade de l’édifice, les quelques personnages juifs sont représentés portant un chapeau pointu, puisqu’un décret royal discriminatoire du XIIIe siècle obligeait les sculpteurs à faire la distinction entre les Juifs et les chrétiens.
De part et d’autre du portail du Jugement dernier, sur la façade ouest de la cathédrale, les statues d’Ecclesia et de Synagoga, allégories de l’Église et de la Synagogue, se font face, la première couronnée, la seconde enroulée d’un serpent prêt à mordre qui lui cache les yeux.
Cette représentation datant du Moyen-âge est un classique de l’art chrétien dont le message est clair : les Juifs sont coupables d’aveuglement spirituel pour ne pas avoir reconnu l’essence divine de Jésus. Pire, ils sont coupables de la mort du Christ puisqu’ils l’auraient dénoncé aux Romains pour être crucifié. Cette conception chrétienne est à l’origine d’un antisémitisme millénaire des adeptes de Jésus.
Les statues d’Ecclesia et Synagoga actuellement visibles sur la façade de Notre-Dame furent réalisées au XIXe siècle sur un dessin de Viollet-le-Duc. L’architecte conçut également des gargouilles, présentes sur la terrasse de Notre-Dame, et qui représentent les obsessions et peurs du XIXe siècle : les maladies vénériennes, les prostituées, les fous, les invertis… et les Juifs.
La plus célèbre d’entre elles, la stryge, est représentée avec un nez crochu typique de la propagande antisémite, selon le magazine Geo.
Attestée depuis le Ier siècle, la présence de Juifs en France a été jugée problématique par les chrétiens au moment de la construction de Notre-Dame-de-Paris, entre les XIIe et XIVe siècles.
« Jusque-là, les Juifs parisiens habitaient au pied de la cathédrale, autour de l’actuel Hôtel-Dieu, mais aussi rive gauche, du côté de la rue Saint-André-des-Arts et, rive droite, vers le Marais », explique Michel Abitbol, auteur de « Histoire des Juifs en France » (éditions Perrin).
Le 17 juin 1242, près de 1 200 exemplaires du Talmud sont brûlés sur l’actuelle place de l’Hôtel-de-Ville, non loin de Notre-Dame, alors en cours de construction.
L’édifice de Notre-Dame représente l’ambiguïté entre l’affirmation de la filiation du christianisme avec le judaïsme et son rejet. En 1965, le concile Vatican II met fin à la justification de la persécution des Juifs accusés de déicide. La déclaration Nostra Ætate précise que « encore que des autorités juives, avec leurs partisans, aient poussé à la mort du Christ, ce qui a été commis durant sa Passion ne peut être imputé ni indistinctement à tout le peuple juif de ce temps-là, ni aux Juifs de notre temps ».
Le pape Jean-Paul II qualifiait les Juifs de « frères préférés […] et aînés » des chrétiens. Avant son accession à l’archevêché, Jean-Marie Lustiger œuvrait déjà à Paris à des relations apaisées entre les deux religions.
Une plaque, apposée sur l’un des piliers de Notre-Dame à la mort de l’archevêque, porte ses mots : « Je suis né Juif, j’ai reçu le nom de mon grand-père paternel Aron. Devenu chrétien par la foi et le baptême, je suis demeuré Juif comme le demeuraient les apôtres ».