Israël en guerre - Jour 424

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On a tenté de décrocher un job dans une plate-forme de Bitcoin à Tel Aviv

"Il existe plusieurs types de business: certains essayent de travailler "propre", d'autres sur la ligne, et certains... et bien c'est du vol manifeste" explique un recruteur

Journaliste Société-Reportage

Exemple de propositions d'emplois postées sur les groupes francophones sur Facebook. Les offres pour le Bitcoin et les crypto-monnaies s'y multiplient ces dernières semaines
Exemple de propositions d'emplois postées sur les groupes francophones sur Facebook. Les offres pour le Bitcoin et les crypto-monnaies s'y multiplient ces dernières semaines

Le Bitcoin est-il le nouveau produit d’appel de « la gigantesque entreprise criminelle organisée » comme l’a qualifié le responsable de la police israélienne Gabi Biton le 2 aout 2017 devant une commission de la Knesset ? Les « criminels » de l’industrie frauduleuse des options binaires se sont-il reportés vers les crypto-monnaies ? Pour en avoir le cœur net nous avons tenté de décrocher un emploi dans une des entreprises de ventes de Bitcoin de Tel Aviv.

Mise à mal par une longue enquête du Times of Israel qui déboucha sur une loi interdisant leur vente depuis Israël en octobre 2017, l’industrie majoritairement frauduleuse des options binaires a dû trouver un nouveau produit d’appel.

Employant environ 10 000 employés (il est difficile d’estimer plus rigoureusement leur nombre), et générant entre 5 et 10 milliards de dollars par an, ce secteur possède un savoir-faire précieux pour les barons du crime israélien.

Cette machine à cash, rodée par des années de pratique, et inscrite au sein d’un éco-système complexe fait de vendeurs de leads (des fichiers de clients intéressés par les produits), de développeurs informatique, de professionnels du marketing, et qui puise ses vendeurs dans une immigration qualifiée provenant des quatre coins du monde, possède une valeur inestimable.

Pour Shmuel Hauser, le directeur de l’Autorité des titres israélienne (ATI), (équivalent de l’Autorité des Marchés Financiers), les crypto-monnaies pourraient devenir le nouveau produit d’appel de l’industrie de l’arnaque ayant prospéré en Israël en tradant des options binaires.

« Nous voulons nous assurer que le monde des crypto-devises ne se transformera pas en mutation de l’industrie des options binaires, qu’il ne deviendra pas un refuge pour les escrocs, » déclarait-il le 8 novembre dernier. Depuis on a pu constater que de très nombreuses annonces étaient postées sur des groupes Facebook dédiées à la recherche d’emplois en Israël.

Début novembre, après avoir répondu à quelques offres, quelques rendez-vous ont été obtenus dans les villes de Netanya et Tel Aviv. Il s’est avéré que l’adresse de l’une de ces entreprises, située non loin du croisement des boulevards Allemby et Rothshild à Tel Aviv, nous était assez familière.

En effet, il y a quelques mois l’ex-employé d’un bureau de vente de diamant d’investissement nous confiait avoir vu ses employeurs, installés exactement dans ces mêmes bureaux, « décrocher l’enseigne de l’entreprise d’options binaires pour accrocher » celle de vente de diamants d’investissement. Il a quitté quelques jours plus tard l’entreprise après avoir constaté que les ventes s’appuyaient sur toute une série de mensonges. Il soupçonnait alors une fraude. Depuis de nombreux témoignages de victimes, un signalement de l’Autorité des marchés financiers et une plainte sont venus étayer son soupçon.

Situés au croisement des boulevards Rothshild et Allemby, les bureaux qui recrutent dans le domaine du Bitcoin sont modernes, bien agencés, et clairs. La femme qui m’introduit est souriante. Sur la gauche plusieurs rangées d’employés s’affairent calmement au téléphone. Après m’avoir fait gentiment asseoir dans un coin de l’open-space, je remarque que sur le mur est encore présent le nom d’une entreprise qui propose des plate-formes de vente diamants d’investissement.

A ce stade, il peut s’agir soit d’une survivance de l’ancienne activité, soit le signe que plusieurs activités – diamants d’investissement, vente de plate-forme et crypto-monnaies – cohabitent aujourd’hui.

Alors que je patiente dans la salle d’attente, un événement vient me confirmer que cette deuxième hypothèse demeure la plus plausible. Un homme brun, une petite trentaine, 1m70 environ, mais visiblement très nerveux, me demande de me lever et de partir sur le champ.

« Vous êtes qui ? » J’explique alors les raisons de ma venue. « Non, ce n’est pas ici. On ne travaille pas dans le Bitcoin ». Il ouvre la porte, me montre la sortie. Je me retrouve dehors.

Quelques secondes plus tard, une autre personne vient me chercher et me rassure : « Non, non, il n’y a pas de problèmes. Entrez. » J’entre, et je suis conduit dans un des seuls bureaux fermés de cet open-space. Je m’assieds.

A peine assis, l’homme nerveux ouvre la porte, suivi d’une femme brune, entre 30 et 40 ans. « En fait je veux comprendre, dit-il d’une voix froide. J’ai reçu un mail de toi, il y a deux semaines. Et je sais pas d’où tu as eu mon mail. Tu m’as envoyé un mail, » insiste-t-il. Il se désigne comme Aaron. Dix jours plus tôt, je lui avais en effet envoyé un mail répondant à une vieille offre d’emploi pour la plate-forme de diamants dont l’enseigne orne le mur de la salle d’attente. Il est inquiet car il pense que j’ai postulé pour un poste dans les crypto-monnaies sur ce mail portant le nom de l’entreprise travaillant dans le diamant. Que l’on puisse relier les deux éveille en lui une certaine panique.

L’annonce avait été postée sur la page Facebook de la femme qui l’accompagne, que j’identifie grâce à sa photo de profil.

Sur le compte Facebook accessible à tous de cette femme apparaissaient plusieurs annonces, pour du diamants d’investissement pour les annonces les plus anciennes, puis dans le domaine des crypto-monnaies. Quelques-unes de ces annonces ont depuis été effacées.

Nous avons soumis la photographie de ces deux personnes à l’ex-employé de l’entreprise de vente de diamant d’investissement : selon lui, ils étaient déjà présents à l’époque où il avait travaillé dans ces locaux.

Le mail qui est encore actif et l’enseigne qui est toujours présente dans les bureaux, alors que le recrutement de commerciaux pour le Bitcoin est en cours, laissent penser que les deux activités cohabitent.

Que ce lien soit visible semble les inquiéter.

« Quant on ne sait pas d’où les gens viennent on est méfiant, on a eu un peu de soucis, » explique plus calmement la femme qui l’accompagne. « Il n’y a pas vraiment de lien entre l’ancienne boîte et le Bitcoin, » explique-t-elle. « D’habitude on recrute des connaissances de gens qui travaillent ici. Toi, on ne te connaît pas, » m’explique, assez amicalement, un autre homme, également trentenaire qui me fait passer l’entretien.

Le jeune homme a toujours l’air très nerveux, les gens autour moins. Une fois le duo parti, on m’expliquera plus tard, sans me donner plus de détails, qu’il a des « raisons d’être soucieux ».

« Oui, il y a des soucis, oui, il y a des problèmes, alors on fait attention, reprend une des deux personnes chargées de me faire passer l’entretien. Il y a plusieurs types de business : il y a des mecs qui font du binaire, du Forex et du diamant, mais aussi des mecs qui ont trouvé la bonne idée de faire ça en ‘mode vol’. Ils vendaient des diamants qui n’existaient pas. On appelle ça juste du vol. Cela a foutu un bordel pas possible dans tous les secteurs. Il y avait peut être 200 bureaux de diamants ici. Certains travaillaient très propre. Certains sur la ligne. Certains, c’était du vol manifeste. Cela a fait un bordel pas possible ».

Lui se défend d’être malhonnête. « On veut durer le plus longtemps possible. J’ai renvoyé d’ici un type qui avait détourné des Bitcoins, » explique-t-il. Les tokens, noms donnés aux jetons de crypto-monnaies, avaient atterri dans le porte-feuille du vendeur, plutôt que dans celui du client. Jonathan, l’ex-employé de l’entreprise de diamant, se souvient que « le même discours rassurant était servi aux employés précédents ».

Le recruteur me conseille ensuite : « Si tu veux gagner de l’oseille, il y a des bureaux où tu vas gagner beaucoup plus que chez nous. Ici le salaire de base est de 6 000 shekels plus les commissions ». L’annonce indiquait pourtant 12 000 shekels : « C’est pour attirer, tu comprends, me dit-il en éclatant de rire. Mais c’est un objectif que n’atteignent que les bons vendeurs ».

« On peut pas vous payer 30 %, comme d’autres bureaux. Bon ceux-là ils vendent du rêve, du vent, tu as compris. Ils vont trader sur du bitcoin, pas faire de la vente, ça reste du Forex, ils vont contourner la loi sur le Forex (en fait la loi ne concerne que les options binaires. Il évoque ici le système de CFD, un pari sur la hausse ou la baisse d’une valeur. Une fraude qui s’est aguerrie par des années de Forex et d’options binaires). Vu que ce n’est pas considéré comme une monnaie, il n’y pas de régulation. Si tu veux faire de l’oseille c’est là-bas qu’il faut aller. Là, ils vont te donner 30 points ».

« Mais, me prévient-il, ce n’est pas un reproche, mais je vois comme tu es, tu ne feras pas long feu là-bas ». Le recruteur me fait délicatement comprendre que je n’ai pas vraiment l’air d’un voyou. « Ils vont te manger tout cru, c’est des requins, ils se bouffent même entre eux. C’est des petits jeunes de banlieues en survet’ qui arrivent au bureau et volent toute la journée. Tu ne vas pas comprendre ce qu’il va t’arriver. »

« Nous, on travaille le plus casher possible, sur du long-terme, explique-t-il. Tu es plus adapté à ce bureau. Ici, regarde on n’a que des pères et des mères de famille. Tu peux bien gagner ta vie ici, et faire entre 12 000 et 15 000 shekels par mois ».

Il me décrit le travail d’un agent de change : « Nous on vend du Bitcoin, le client s’inscrit. Et on lui vend un Bitcoin que l’on a acheté moins cher, dans un lot. Sur cette vente, on prend une commission de 12 points en moyenne ».

« Ici, on ne fait que de la conversion. La rétention se fait ailleurs, et la rémunération du vendeur se fait par dépôt, pas par montant ».

Si la conversion est l’art de transformer un contact en client, c’est-à-dire de lui faire effectuer son premier achat, le retentionner est un gestionnaire de porte-feuille, plus professionnel, qui cherche à leur faire déposer plus de fonds.

Dans les arnaques aux options binaires, c’est le retentionner qui « disparaissait » mystérieusement quand le client réclamait finalement qu’on lui restitue les fonds engagés.

Jonathan, qui se souvient de l’époque raconte : « Le système était tellement bien rôdé qu’on aurait pu les faire danser ».

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