Police : Un juge de la Cour suprême « inquiet » au sujet de la loi Ben Gvir
Pour les opposants, la loi accordant des pouvoirs étendus sur la police au ministre de la Sécurité nationale, sape l'indépendance de la force et menace les droits civils
Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.
Le juge de la Cour suprême Isaac Amit a déclaré qu’il était « un citoyen inquiet » en raison de ce qu’il a laissé entendre être un manque de contraintes présentes dans une nouvelle loi délimitant l’autorité du ministre de la Sécurité nationale sur la police, lors d’une audience sur la législation à la Haute Cour de justice mercredi.
Au cours de l’audience, les représentants de plusieurs groupes de veille du gouvernement, ainsi que les partis d’opposition Yesh Atid et Avoda, ont fait valoir que la loi, adoptée à la demande du ministre de la Sécurité nationale d’extrême-droite Itamar Ben Gvir, nuit aux droits civils en Israël, sape les normes démocratiques et compromet l’indépendance de la police.
Les requérants ont également fait valoir que la loi a été approuvée à la hâte et par le biais de procédures inhabituelles de la Knesset, privant l’opposition du droit de participer au processus législatif, ce qui devrait, de facto, invalider le projet de loi.
Les juges de la Cour suprême Amit, Uzi Vogelman et Yechiel Kasher sont intervenus fréquemment au cours des longues plaidoiries des avocats plaidant à la fois pour les recours et ceux représentant Ben Gvir.
Le juge Vogelman, en particulier, a semblé accepter les arguments selon lesquels la loi était effectivement rédigée de manière amorphe, mais il s’est montré nettement moins impressionné par les arguments contre le processus par lequel elle a été adoptée.
La loi modifiant la réglementation de la police a été adoptée à la fin du mois de décembre, avant que le gouvernement actuel ne prenne ses fonctions, et stipule que le ministre de la Sécurité nationale est habilité à « diriger la politique de la police et les principes généraux de son fonctionnement ».
Il s’agit notamment de déterminer les priorités et les programmes de travail de la police, ainsi que les ordres généraux et les instructions.
Les recours contre la loi soutiennent que sa formulation est très vague et qu’elle peut donc être largement interprétée par le ministre pour lui permettre d’intervenir activement dans les activités opérationnelles de la police. Les recours étayent ces affirmations en citant de nombreuses occasions au cours des cinq derniers mois où, selon elles, le ministre de la Sécurité nationale est intervenu dans des questions opérationnelles depuis qu’il a pris ses fonctions.
Me Eliad Shraga, qui dirige l’ONG Mouvement pour un gouvernement de qualité (MQG), a été le premier à plaider, soutenant que la loi d’amendement de la police faisait partie de ce qu’il a décrit comme l’effort du gouvernement pour « changer la forme de gouvernement d’Israël » et saper la démocratie.
« Nous estimons que cet amendement est inconstitutionnel, qu’il permettra à un ministre – comme nous l’avons déjà vu au cours des six derniers mois – de porter atteinte aux droits fondamentaux, qu’il s’agisse du droit de manifester, du droit à la liberté d’expression, des libertés individuelles, du droit à une procédure régulière, du droit d’être représenté, nous voyons comment les droits de l’Homme sont bafoués par cet amendement », a déclaré Me Shraga.
Il a affirmé qu’une clause essentielle de la loi permettant au ministre de définir sa politique était particulièrement flagrante.
« De cette manière amorphe, le ministre peut déterminer la politique, établir des priorités dans tous les domaines [du travail de la police], avoir autorité sur les enquêtes, l’utilisation de la force, toutes ces autorités qui ne sont pas claires et amorphes sont confiées au ministre », a affirmé Me Shraga.
Amit est intervenu à ce moment-là, demandant si Me Shraga s’opposait à ce qui n’est pas écrit dans la loi plutôt qu’à ce qui l’est, ce à quoi le chef du MQG a répondu par l’affirmative.
Le juge Vogelman a ensuite demandé à Me Shraga si les restrictions qu’il souhaitait voir imposées à la capacité du ministre d’intervenir dans les activités opérationnelles de la police ne pouvaient pas simplement être interprétées dans la loi, étant donné la nature vague de son libellé.
« Nous serions ici au tribunal trois fois par jour si c’était le cas », a rétorqué Me Shraga.
Il est frappant de constater que lorsque l’avocat de Ben Gvir a présenté sa plaidoirie en soutenant que la nouvelle loi ne stipulait pas que le ministre pouvait intervenir dans les activités opérationnelles de la police, le juge Kasher a demandé pourquoi la loi ne l’avait pas simplement stipulé de manière explicite.
Le juge Kasher s’est toutefois montré sceptique à l’égard des arguments de Me Shraga et a laissé entendre, par ses questions, que le recours était transitoire et fondé sur l’opposition politique de Me Shraga envers Ben Gvir.
« Vous parlez d’un ministre spécifique dont vous ne partagez pas la vision du monde et d’un chef de la police dont vous appréciez davantage la vision du monde », a affirmé Kasher.
« Peut-être que la situation sera inversée à l’avenir et que vous voudrez que le ministre retienne le chef de la police », a ajouté le juge.
Me Shraga a répondu qu’il était opposé à la mesure quel que soit le ministre.
Me Oded Gazit, qui a déposé le recours du parti Avoda, a consacré une grande partie de son temps aux incidents au cours desquels, selon lui, Ben Gvir était déjà intervenu dans les activités opérationnelles de la police depuis sa prise de fonction, afin de souligner ce qu’il a déclaré être les pouvoirs étendus que la nouvelle loi confère au ministre de la Sécurité nationale.
Me Gazit a fait référence à un incident survenu en février lors d’une manifestation anti-gouvernement à Jérusalem, au cours duquel Ben Gvir a réprimandé le chef de la police de Jérusalem pour sa gestion de la manifestation pendant la manifestation elle-même, et l’a convoqué à une audience à ce sujet.
D’autres références aux mesures prises par Ben Gvir concernant les manifestations contre la réforme du système judiciaire du gouvernement ont été faites par l’avocat représentant le recours du parti Avoda. Il a noté que le chef de la police de Tel Aviv, Amichaï Eshed, avait été démis de ses fonctions quelques heures seulement après une manifestation du 9 mars que Ben Gvir estimait que Eshed avait gérée avec trop d’indulgence.
Il a également rejeté l’un des principaux arguments de Ben Gvir en faveur de la loi, à savoir qu’elle était nécessaire pour remédier aux problèmes liés à l’augmentation de la criminalité violente en Israël, en faisant remarquer que le nombre de meurtres dans la communauté arabe, qui a connu la plus forte augmentation du nombre de meurtres dans le pays, avait diminué sous le précédent ministre de la Sécurité intérieure, Omer Barlev, sans que la loi ne soit modifiée.
Me Nadav Haetzni, qui représentait Ben Gvir au tribunal – puisque la procureure générale, qui représente presque toujours le gouvernement dans les procédures judiciaires, s’oppose à la loi – a fait valoir que ce sont les pays où les forces de police ne sont pas soumises à des restrictions qui sont anti-démocratiques et autoritaires, et a affirmé que la nouvelle loi ne permettait pas l’intervention directe du ministre dans les opérations de police.
La réponse écrite de Ben Gvir au recours affirmait que « les régimes dans lesquels la police jouit d’une indépendance totale, comme le demandent les pétitionnaires, sont essentiellement des États policiers dictatoriaux » et que « les fondements des régimes démocratiques exigent que la police soit soumise à l’autorité des représentants du peuple, le gouvernement ».
Plaidant devant le tribunal, Me Haetzni a insisté sur le fait que « nous avons ici l’inverse total de ce qui doit être indépendant et de ce qui doit être en charge… Il n’y a pas de changement de régime ici, pas même l’ombre d’un tel changement ».
Le juge Amit a noté qu’en dépit de la demande de la procureure générale au moment où le projet de loi était discuté à la Knesset, Ben Gvir et les autres auteurs de la loi ont omis d’inclure une clause stipulant que la police doit « agir en bon père de famille », c’est-à-dire d’une manière équilibrée et équitable.
« Lorsque le mot ‘homme d’État’ est absent, et que je parle en mon nom, je deviens un citoyen inquiet, voire effrayé », a déclaré Amit.
Ben Gvir, qui a lui-même plaidé devant la Cour, a répondu à Amit en disant qu’il pensait que le mot « homme d’État » avait été demandé simplement parce que l’opposition et l’establishment juridique s’étaient opposés à son mandat de ministre de la Sécurité nationale en raison de ses antécédents ultra-nationalistes.
« Ils veulent l’inclure uniquement à cause de moi. Cela n’a jamais été demandé à d’autres ministres. Ces demandes ont pour but de nuire à ma légitimité à ce poste », a déclaré le ministre.
Le juge Kasher a répondu que Ben Gvir avait donc décliné la demande de la procureure générale parce qu’il s’en sentait personnellement insulté.
« Vous dites en substance que votre offense est plus importante que la réconciliation [juridique et politique] », a déclaré le juge Kasher.
« Peut-être que certaines de ces revendications découlent d’un manque de confiance, il y a des gens assis ici qui sont inquiets. Si vous voulez la réconciliation, elle doit l’emporter sur l’insulte », a ajouté le juge.