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Pour cet éthnobotaniste, sauver la culture indigène relève du judaïsme

Mark Plotkin, diplômé d'Harvard, applique à la lettre le "tikkun olam" en luttant contre la déforestation et en préservant les populations intactes au cœur de la forêt d'Amazonie

L'ethno-botaniste Mark Plotkin parlant récemment avec des responsables indigènes de la région de Tumucumaque
dans le nord du Brésil. (Crédit)
L'ethno-botaniste Mark Plotkin parlant récemment avec des responsables indigènes de la région de Tumucumaque dans le nord du Brésil. (Crédit)

CAMBRIDGE, Massachusetts — Des bancs d’Harvard à la forêt tropicale d’Amazonie, le parcours du protecteur de l’environnement juif américain Mark Plotkin a été pour le moins atypique mais ô combien prolifique.

Cet éthnobotaniste de 64 ans fait des recherches sur les plantes médicinales de l’Amazonie, ainsi que sur les chamans qui s’en servent pour guérir les maladies dans la plus grande forêt tropicale du monde. Il participe également à des cérémonies de plusieurs jours utilisant des plantes sacrées hallucinogènes – dont certaines, dit-il, pourraient apporter des bienfaits médicinaux à l’Occident.

Mark Plotkin et l’organisation à but non lucratif américaine qu’il dirige, l’Amazon Conservation Team (ACT), aident les communautés autochtones à préserver leurs connaissances et leurs terres de l’empiétement du monde moderne. Lors d’une interview accordée au Times of Israel à Harvard Square, il explique que certaines de ces communautés parlent anglais et portent des vêtements modernes, mais que d’autres n’ont jamais été en contact avec la civilisation occidentale.

Il travaille avec certains des mêmes communautés indigènes et shamans depuis plus de 40 ans. Aujourd’hui, son travail est reconnu. Le 28 mai, il a été honoré à Harvard par le Prix Michael Shinagel pour Service rendu, du nom du doyen le plus longtemps en exercice à l’université, un rescapé de la Shoah, qui a pris sa retraite en 2016 de son poste de doyen et d’enseignant.

Il a également écrit sur son travail dans plusieurs ouvrages, dont « Tales of a Shaman’s Apprentice », qui en est maintenant à sa 40e édition. Sa conférence TED 2014 sur la protection des communautés indigènes a été visionnée plus de 1,5 million fois, et son film « Amazon » en IMAX a été nommé aux Oscars. (Il indique au public de TED que c’est un shaman qui a soigné sa blessure au pied après l’échec de la médecine occidentale).

Mais le Prix Shinagel porte une signification supplémentaire. C’est la plus haute distinction accordée par la Harvard Extension School, dont le scientifique a été diplômé en 1979. Et il porte le nom d’un ami et collègue juif, avec une expérience de vie forte, qui a été le doyen de l’Extension School pendant les années d’étude de Plotkin.

« C’est particulièrement émouvant en tant que juif de connaître, d’avoir rencontré ou même d’avoir simplement vu un survivant de la Shoah », confie Plotkin. « C’est aussi émouvant de voir quelqu’un, qui a vécu l’enfer, être en pleine forme et très dynamique pour son âge ».

Ethno-botaniste Mark Plotkin (gauche) reçoit le prix Michael Shinagel Award pour service lors d’une cérémonie à la Annenberg Hall à l’Université d’Harvard, le 28 mai 2019. (Crédit : Alex Gagne)

Il voit un lien entre le prix et le concept juif de tzedaka, ou charité.

« Je suppose que le meilleur travail, c’est d’aider les gens », a-t-il dit.

Michael Shinagel trouve que Mark Plotkin a prononcé un « beau discours » à la cérémonie de remise des prix durant la semaine de remise des diplômes à Harvard. La semaine comprenait également une allocution de la chancelière allemande Angela Merkel et un discours de l’ancien vice-président américain et militant pour l’environnement, Al Gore.

De décrocheur à chercheur

Rien que pour le mois de mai, l’Amazonie a perdu 739 kilomètres carrés à cause de la déforestation au Brésil. Plotkin déplore que la question de l’Amazonie ait été éclipsée par des préoccupations plus vastes. Quand il a commencé à travailler sur la protection de l’environnement, la question dominante était la croissance démographique, aujourd’hui, c’est le changement climatique.

Pourtant, selon lui, tout est lié : « La croissance démographique entraîne la déforestation. La déforestation est un élément clef du changement climatique ».

Un récent rapport de la Plateforme intergouvernementale sur la biodiversité et les services écosystémiques (IPBES – Intergovernmental Science-Policy Platform for Biodiversity and Ecosystem Services) a conclu que les objectifs en matière de développement durable ne pourraient pas être atteints d’ici 2030 à moins que des « changements forts » n’interviennent. Pour Plotkin, les auteurs du rapport ne sont pas « des radicaux paniqués ».

Cette photo du 8 mai 2018 publiée par l’Institut brésilien de l’environnement naturel et les ressources renouvelables (Ibama) montre une zone déforestée illégalement sur ds terres indigènes Pirititi alors que des agents inspectent l’Etat de Roraima dans le bassin de l’Amazone du Brésil. (Felipe Werneck/Ibama via AP)

« Il y a actuellement beaucoup de tendances négatives », a déclaré Plotkin. « Nos missions sont plus difficiles… de nombreux défenseurs de l’environnement n’ont pas compris que de grands défis doivent être traités immédiatement ».

Selon l’Amazon Conservation Team de Plotkin, le rapport de l’IPBES va dans leur sens pour dire qu’il est important de travailler avec les communautés indigènes qui, bien qu’elles ne représentent que 5 % de la population mondiale, surveillent 22 % de ses terres et 80 % de la biodiversité terrestre. Pourtant, les populations indigènes sont menacées par des pratiques comme l’exploitation forestière, l’exploitation minière et l’élevage.

Plotkin voit son travail comme un équilibre subtil impliquant les concepts juifs de charité et de tikkun olam, réparer le monde. Ayant grandi en Nouvelle-Orléans à l’époque de la ségrégation raciale dans le sud des Etats-Unis, il a souligné que les Juifs étaient particulièrement impliqués dans le mouvement des droits civiques.

« La passion juive pour la justice sociale brille à travers notre histoire », d’après lui.

Il a ressenti cela alors qu’il suivait son cursus à la Harvard Extension School. Fondée en 1910 comme un centre d’apprentissage pour des hommes et des femmes de la classe ouvrière, l’Extension School a permis à Plotkin, qui avait auparavant abandonné l’université, de revenir sur les bancs de la faculté. Cela lui a aussi donné l’opportunité d’entrer en contact avec le professeur et biologiste Richard Evans Schultes, largement perçu comme un pionnier de l’ethnobotanique.

Plotkin a déclaré que s’il était intrigué par l’expertise de Schultes sur les plantes hallucinogènes utilisées par les communautés indigènes en Amérique latine, il avait un intérêt plus large pour le travail de l’universitaire.

« Non seulement les forêts disparaissent, mais nos connaissances à leur sujet vont beaucoup plus vite », a déclaré Plotkin, ajoutant que l’ethnobotanique l’aidait à travailler aussi bien avec les peuples que les espaces.

Ethno-botaniste Mark Plotkin (gauche) reçoit le prix Michael Shinagel Award pour service lors d’une cérémonie à la Annenberg Hall à l’Université d’Harvard, le 28 mai 2019. (Crédit : Alex Gagne)

Après avoir obtenu sa licence en sciences naturelles à Harvard, Plotkin décroche un master à la Yale School of Forestry et un doctorat en conservation biologique de la Tufts University. Il met ensuite sa formation en pratique, en commençant par un séjour en 1982 au Suriname ravagé par la guerre ce qui l’a conduit à un partenariat de longue date avec la communauté indigène Tiriyo, dont il a rassemblé les traditions de plantes médicinales dans un livre. Il s’agissait du deuxième livre écrit en langue tiriyo après la Bible.

Travaillant entre le Mexique et l’Argentine au cours des décennies qui suivirent, Plotkin eut accès à un grand nombre de connaissances indigènes. En cours de route, il fonde une famille avec son épouse, Liliana Madrigal, une Costaricaine. Leurs deux filles ont participé à des cérémonies indigènes.

L’apprenti des shamans

Les chamans, qui jouent un rôle important parmi les quelque 400 communautés autochtones d’Amazonie, représentant plus d’un million de personnes, sont au cœur de l’action de Plotkin.

Les chamans peuvent être des hommes ou des femmes, a déclaré Plotkin, et leurs spécificités diffèrent d’une région à l’autre, même si les parcours pour parvenir à ce statut sont similaires : « Typiquement, c’est un long et épuisant processus qui peut impliquer d’avoir à jeûner, une recherche de vision et le recours à des plantes hallucinogènes ».

Il a expliqué qu’un mélange de plantes hallucinogènes, l’ayahuasca, suscitait de l’intérêt dans le monde entier pour ses propriétés de guérison émotionnelles et psychologiques, y compris en Israël. Comme il l’a indiqué, les guérisseurs dans le nord-ouest de l’Amazonie l’utilisent comme « une ligne de vision pour consulter les esprits du monde » sur « ce qui ne va pas, quelle est la cause et quoi prescrire ? »

Plotkin a pris de l’ayahuasca 92 fois, déclarant « Quand on est à Rome, il faut faire comme les Romains ». Lors d’une cérémonie, explique le botaniste, « un chaman très puissant » lui en a donné pour purifier son énergie. Plotkin fait ainsi l’expérience d’une tradition indigène, celle de rencontrer un esprit animal, qui assure une protection dans une région remplie de prédateurs.

Pour un chaman, l’animal spirituel typique est le jaguar – « le plus gros, le plus intelligent, et le plus dangereux animal qui rode la nuit », explique Plotkin. Certains affirment qu’ils se transforment en jaguars. En ce qui le concerne, « je me suis senti comme l’aigle harpie, le plus grand rapace en Amazonie. J’ai eu le sentiment de voler au-dessus de la canopée en regardant tout depuis là-haut ».

« Etait-ce un rêve stupide ? », s’est-il interrogé. « Etait-ce du fait de produits chimiques dans mon cerveau ? J’avais mal aux muscles des épaules le lendemain… J’avais une douleur dans le dos. J’avais mal la où mes ailes se seraient situées ».

L’ethno-botaniste Mark Plotkin parle avec un membre d’une communauté indigène tout en conduisant une enquête de terrain au Suriname en 1979 (Crédit)

L’ayahuasca n’est pas « quelque chose à faire pour s’amuser », a-t-il précisé. « Souvent, je vomissais ou j’avais la diarrhée ».

A l’ouest, c’est « survendu, comme de nombreuses plantes médicinales », fait-il remarquer. « Est-ce que cela soigne tout ? Non. Est-ce que cela a des effets secondaires ? Il y en a beaucoup, particulièrement pour quelqu’un qui n’est pas un expert en la matière ».

« J’en reviens juste à l’idée que les chamans connectent tout ensemble », reprend-il. « Nous pouvons apprendre de peuples qui existaient avant l’invention de l’écriture à l’ère de la médecine moderne, d’Internet et de la haute technologie. Si la médecine occidentale a autant de succès, [pourquoi n’y a-t-il pas] de traitement pour le cancer de la prostate, l’insomnie ou le stress ? Les gens [en Amazonie] connaissent des choses que nous ignorons, et cela peut nous être utile ».

Il y a trois ans, lors d’une table ronde au Musée des Sciences de Boston, Plotkin s’est souvenu avoir dit au public que même pour « des maladies difficilement traitables comme le trouble de stress post-traumatique, dans certains cas, il pourrait y avoir des traitements – pas tous les cas – à l’aide d’hallucinogènes, de plantes sacrées ».

« J’ai entendu parler d’un guérisseur qui pouvait analyser, diagnostiquer, traiter et parfois soigner l’esprit humain d’une manière qui est impossible pour les médecins occidentaux », a-t-il dit.

Plotkin conteste l’affirmation selon laquelle seules quelques substances utiles ont été trouvées en Amazonie.

« Vous pensez qu’il y a seulement le caoutchouc, la quinine et la coca ? », demande-t-il. « Et l’ayahuasca ? Cela révolutionne la psychologie. Et il existe de nombreux autres composés hallucinogènes, pas seulement des plantes, mais aussi des grenouilles ».

Et d’ajouter : « l’ananas, les jus d’orange et de pamplemousse, le ketchup du hamburger, tout cela provient d’une plante de la forêt tropicale. Chaque plante a été prise à des peuples indigènes ».

L’ananas, le jus d’orange et de pamplemousse, le ketchup sur un hamburger, tout cela provient d’une plante de la forêt tropicale

Plotkin a déclaré que le travail qui le rend le plus fier est d’avoir aidé à faire passer une loi protégeant des communautés indigènes qui n’avaient jamais eu de contact avec le monde moderne – y compris une déclaration des droits indigènes publiée par la Colombie l’année dernière. D’anciens aboutissements incluent le Parc national Chiribiquete en Colombie, le plus grand parc d’Amazonie et le plus grand parc de la forêt tropicale humide du monde. Chiribiquete est le foyer de trois communautés isolées qui n’ont jamais été en contact avec le monde moderne, et un trésor d’art pré-colombien inestimable », a déclaré Plotkin.

Un enfant indigène Nukak-Maku joue avec un singe dans un camp de base à proximité du village Agua Bonita, dans l’état du sud de Guaviare, en Colombie, le vendredi 31 mars 2006. (AP Photo/Fernando Vergara)

Dans les hauts plateaux colombiens, Plotkin apprend aux enfants indigènes à travailler avec les aînés pour surveiller les populations d’oiseaux, en donnant aux enfants des compétences qui pourraient éventuellement les aider à gagner de l’argent grâce à l’éco-tourisme, explique-t-il. Au Suriname, il aide des communautés indigènes Matawai, qui descendent d’anciens esclaves fugitifs, à cartographier les sites sacrés au bord de la rivière en utilisant la technologie du GPS, et grâce à une application, enregistrer les histoires, les chansons et les échanges avec d’autres cultures.

En tout, il a aidé environ 50 communautés au Suriname, en Colombie et au Brésil à protéger plus de 32 millions d’hectares de terres de forêts tropicales.

« L’avenir des communautés indigènes est assez incertain. Cela va de la disparition totale à un apprentissage à interagir avec le monde extérieur selon leur propres termes », explique le scientifique. « Pour eux, l’élément important est d’honorer les traditions, de protéger leur terre ancienne et leurs traditions de soin, leur culture et leur langue, d’avoir un pied dans les deux mondes ».

« Notre travail ne consiste pas à leur dire ce qu’il devraient faire, mais à les aider à faire un choix éclairé », a-t-il dit.

« Dans le meilleur des mondes possibles, les terres indigènes seront protégées, avec de meilleurs moyens », espère Mark Plotkin. « Dans le pire des mondes, une partie importante de ces terres va disparaître, et tout le monde – pas seulement les peuples indigènes – en paiera le prix ».

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