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Pourquoi des célébrités continuent de citer Farrakhan – malgré son antisémitisme

Plusieurs célébrités noires ont défendu ou encensé Farrakhan et se sont fait l'écho de sa rhétorique anti-juive et de ses théories complotistes au cours des dernières semaines

Louis Farrakhan, au centre, entouré, de gauche à droite, de DeSean Jackson, Stephen Jackson, Nick Cannon et Ice Cube. (Getty Images)
Louis Farrakhan, au centre, entouré, de gauche à droite, de DeSean Jackson, Stephen Jackson, Nick Cannon et Ice Cube. (Getty Images)

JTA – Quelques jours avant que DeSean Jackson ne publie des citations antisémites faussement attribuées à Adolf Hitler qui ont déclenché un débat national sur l’antisémitisme, la star de la NFL avait fait l’éloge du leader de la Nation of islam, Louis Farrakhan.

« Cet homme puissant, j’espère que tout le monde a eu la chance de regarder ça ! Ne soyez pas aveuglés. Sachez ce qui se passe !! », a-t-il écrit sur son compte Instagram le 4 juillet, après que Farrakhan eut fait un discours de trois heures sur YouTube.

DeSean Jackson fait partie des nombreuses célébrités noires qui ont défendu ou loué Farrakhan et se sont fait l’écho de sa rhétorique antisémite au cours des dernières semaines. Parmi elles, l’ancien joueur de la NBA devenu commentateur, Stephen Jackson, la star de la télévision Nick Cannon et le rappeur et acteur Ice Cube. Tous, sauf Ice Cube, se sont excusés.

Chelsea Handler, qui est blanche et juive, s’est également fait remarquer pour avoir relancé une vieille vidéo de Farrakhan parlant de justice raciale. Elle a ensuite supprimé la vidéo et s’est excusée.

Madonna a aussi relayé une vidéo sur Instagram, mais n’a pas fait l’objets de remontrances.

L’homme de 87 ans est connu pour sa rhétorique antisémite et homophobe. Il a fait l’éloge d’Hitler, a accusé les Juifs de contrôler le gouvernement américain et s’est insurgé contre ce qu’il appelle la « Synagogue de Satan ».

Louis Farrakhan s’exprimant à New York, le 15 juin 2011 (Crédit : Mario Tama / Getty Images via JTA)

Mais il est également connu pour avoir donné du pouvoir au militantisme noir, organisé des programmes de services sociaux dans les quartiers noirs défavorisés et défendu l’autonomie des Noirs des décennies après avoir organisé la Million Man March (aussi appelée « Jour de l’expiation ») en 1995, un rassemblement qui a amené des centaines de milliers de Noirs à Washington.

« Malgré les nombreux défauts de la Nation [of islam], elle est présente pour les Noirs dans les enclaves les plus démunies et les plus ségréguées des États-Unis lorsque l’État lui-même n’est pas présent, sans parler de ceux qui exigent sa condamnation », a écrit l’écrivain noir et juif Adam Serwer de « The Atlantic » en 2018, expliquant pourquoi les dirigeants noirs sont souvent réticents à condamner Farrakhan. « Il y a ensuite le sentiment que si les opinions de Farrakhan sont viles, il lui manque le pouvoir ou l’autorité pour les faire respecter ».

Les journalistes et les militants noirs affirment que l’attrait durable de Farrakhan vient du travail de service social que lui et sa Nation of islam continuent à faire dans les communautés noires pauvres. Il peut également provenir de l’attention que les Américains blancs accordent à Farrakhan, ainsi que du fait que la ségrégation persistante et la fuite des blancs des villes signifient que de nombreux Noirs sont peu exposés aux communautés juives, ainsi que d’un manque d’éducation sur l’antisémitisme et ses dangers.

Les commentateurs noirs soulignent depuis des années qu’il est difficile de s’engager dans le militantisme social des communautés noires sans rencontrer la Nation of islam. Le groupe a été particulièrement actif dans l’aide aux personnes anciennement incarcérées, et a également travaillé sur des campagnes de lutte contre la pauvreté et de sécurisation des quartiers.

Si vous êtes un organisateur de la communauté noire travaillant sur ces questions ou une célébrité noire les défendant, explique Eric Ward, chercheur sur les mouvements de haine, il y a de fortes chances que vous vous retrouviez aux côtés de personnes affiliées à Farrakhan, en particulier dans les quartiers où les autres organisations de la société civile sont peu nombreuses.

« Une organisation comme la Nation of islam est prospère parce qu’elle n’a pas de concurrence », explique Eric Ward, directeur exécutif du Western States Center.

Sur cette photo du 16 octobre 1995, un écran vidéo montre le leader de la Nation de l’Islam Louis Farrakhan s’exprimant lors de la Million Man March à Washington. Le Capitole est visible en arrière-plan. Deux décennies plus tard, la marche organisée par Farrakhan, qui a attiré des centaines de milliers de personnes, reste une référence culturelle. (AP Photo/Steve Helber)

« Si vous êtes une personne politiquement active et socialement consciente, il n’est pas rare que vous vous retrouviez à partager un espace avec la Nation of islam », commente-t-il. « Ils ont une expérience du travail autour d’anciens criminels qui, sans vouloir lui accorder de la valeur, est très respectée. Il est assez peu probable, dans une grande ville américaine où la population noire est importante, que vous travailliez autour d’anciens détenus et que vous ne soyez pas rattaché d’une façon ou d’une autre à la Nation of islam ».

Le leader attire également beaucoup d’attention, d’après Amy Alexander, qui a publié une anthologie intitulée « The Farrakhan Factor » en 1999, en partie parce que les dirigeants blancs lui accordent beaucoup d’attention. Il sait que ses déclarations scandaleuses lui donneront une plus grande visibilité, alors il continue à les faire.

« M. Farrakhan tient un discours antisémite depuis près d’un demi-siècle. C’est odieux et inacceptable – mais il faut s’y attendre maintenant », avait-elle déclaré au site Journal-isms en 2018. « Les divagations antisémites de Farrakhan ne réussissent qu’à énerver certaines personnes (dont des journalistes) qui surestiment largement son impact ».

Cette attention finit par gonfler son image au-delà de l’impact réel qu’il a dans les communautés noires, souligne Eric Ward.

« Je pense que les gens seraient surpris de voir à quel point la Nation of islam et Louis Farrakhan sont peu présents dans l’esprit de la plupart des Noirs américains », dit-il. « C’est à peu près autant dans l’esprit de la communauté noire que le Klan l’est dans l’esprit moyen d’une personne en Amérique blanche ».

Cette dynamique a été observée à de nombreuses reprises avant la récente controverse impliquant DeSean Jackson et les autres.

En 2018, Keith Ellison, alors député du Minnesota, était interrogé sur ses liens passés avec Farrakhan, qu’il a rompus depuis. L’année dernière, le sénateur Cory Booker du New Jersey a dû désavouer avec force tout lien avec Farrakhan dans le cadre de la campagne présidentielle. Tamika Mallory, co-fondatrice et dirigeante de la Marche des Femmes, a refusé de retirer ses éloges à Farrakhan en 2018, ce qui a entraîné un retour de bâton contre son mouvement. Et en 1994, Arsenio Hall a mis fin à son talk-show en partie à cause des critiques généralisées auxquelles il a été confronté pour avoir réalisé une longue – et complaisante, pour certains – interview de Farrakhan

Les co-présidentes de la Women’s march 2019, Linda Sarsour, au centre, et Tamika Mallory, à droite, rejoignent d’autres manifestantes sur Pennsylvania Avenue pendant le défilé de la Women’s march à Washington, le 19 janvier 2019 (Crédit : AP Photo/Jose Luis Magana)

Plusieurs commentateurs noirs ont dénoncé le dernier élan d’éloge de Farrakhan. En réponse à DeSean Jackson, le joueur de la NFL Zach Banner a publié une vidéo émouvante défendant la communauté juive et détaillant la façon dont la fusillade de la synagogue de Pittsburgh l’a affecté – surtout en tant que joueur du club des Steelers de Pittsburgh.

Les éminents commentateurs d’ESPN Stephen A. Smith et Michael Wilbon ont tous deux interpellé Stephen Jackson.

« Il n’a plus aucune crédibilité maintenant », balaye Michael Wilbon dans son émission d’ESPN « Pardon the Interruption » à propos de Jackson, qui est devenu un militant de premier plan de Black Lives Matter. Kareem Abdul-Jabbar et Charles Barkley, membres du Hall of Famers de la NBA, se sont également exprimés à ce sujet.

« Je suis très déçu par ces hommes », a déploré Charles Barkley dans une vidéo publiée lundi. « Je ne comprends pas comment vous pouvez combattre la haine avec encore plus de haine. »

Jemele Hill, chroniqueuse et ancienne personnalité d’ESPN, a écrit que les articles de Farrakhan reflètent un problème plus large dans la communauté noire, dont elle a été témoin en grandissant.

« Les tropes stéréotypés et blessants sur les Juifs sont largement acceptés dans la communauté afro-américaine », écrit-elle dans The Atlantic. Enfant, j’entendais les anciens de ma famille dire au passage que les Juifs étaient consumés par l’argent et qu’ils « possédaient tout ».

Elle ajoute : « Cela ne signifie pas non plus que ma famille – ou d’autres Afro-Américains – sont plus ou moins antisémites que d’autres en Amérique, mais le fait d’avoir souffert de la discrimination et des stéréotypes ne les a pas empêchés de répandre des stéréotypes nuisibles sur un autre groupe ».

Leo Ferguson, un militant progressiste juif noir, voit un parallèle entre la façon dont Farrakhan diabolise les Juifs et la façon dont certains Juifs blancs désigneront Farrakhan pour souligner l’antisémitisme dans la communauté noire. Dans les deux cas, il estime qu’il s’agit de distractions par rapport au véritable problème.

Dans le cas de la communauté noire, dit-il, Farrakhan fait des Juifs un bouc émissaire au lieu de se concentrer sur les structures oppressives. Et il espère que les Juifs consacreront une plus grande partie de leur énergie à lutter contre la suprématie blanche au lieu de se concentrer sur l’antisémitisme des dirigeants noirs, ce qu’il estime être une menace bien moindre.

Louis Farrakhan chef du groupe Nation of Islam , durant un rassemblement à l’occasion du 20e anniversaire de la Million Man March, au Capitol Hill, à Washington, le 10 octobre 2015. (Crédit : AP/Evan Vucci)

Eric Ward indique que la suprématie blanche est la raison pour laquelle les célébrités noires citent la rhétorique antisémite de Farrakhan. Les tenants de la suprématie blanche ont longtemps dépeint les Juifs comme une force néfaste dans la société, et le chercheur affirme que c’est une idée qui s’est infiltrée dans la rhétorique des dirigeants noirs lorsqu’ils cherchent quelqu’un à blâmer.

« Une partie du but de cette idéologie est de positionner la communauté juive comme une barrière protectrice entre les nantis et les démunis », indique-t-il. « En tant que Noirs, nous pensons que la propagation de l’antisémitisme signifie que nous nous opposons au pouvoir, mais tout ce que nous faisons, c’est de s’en prendre à une communauté qui est vulnérable d’une autre manière à cause de l’antisémitisme ».

M. Ward explique que les Noirs peuvent également répéter des sentiments antisémites parce que les écoles sous-financées des quartiers défavorisés n’ont pas les ressources nécessaires pour offrir un programme solide sur la Shoah ou contre la haine.

« Si vous avez fréquenté de mauvaises écoles au lycée et à l’école primaire, cela signifie que vous n’avez pas reçu les éléments nécessaires pour évaluer les informations qui vous sont données et auxquelles vous êtes exposés », souligne-t-il. « Pourquoi les gens sont-ils si sensibles à l’antisémitisme ? Parce que qui bénéficie de l’éducation sur la Shoah ? Il est peu probable que ce soit les écoles publiques sous-financées pour la plupart ».

En tant que juif noir, Leo Ferguson dit qu’aborder Farrakhan devient rapidement épuisant, car cela signifie faire face aux idées fausses de deux communautés différentes et combattre les préjugés des deux.

« Chaque fois que je vois quelque chose concernant Farrakhan, tout mon corps se crispe », dit-il. « Vous savez que les Juifs blancs, y compris les Juifs blancs avec lesquels vous vivez en communauté et dont vous vous souciez, vont faire une fixation sur l’antisémitisme des personnes de couleur à cause du racisme, à cause de la suprématie blanche ».

« Et vous savez aussi qu’il y a des gens dans votre propre communauté qui croient à toutes sortes de mensonges et de désinformation sur les Juifs, et c’est incroyablement isolant pour les Juifs de couleur et pour moi en tant que Juif noir ».

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