Pourquoi l’abandon par Netanyahu de Yaalon n’est pas une manœuvre politique ordinaire
Le jour des élections, les Israéliens se demandent qui est le plus à même de garder en sécurité leurs soldats-enfants. Netanyahu et Yaalon faisaient l’affaire. Netanyahu et Liberman, pas tant que ça
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
Roni Daniel, le correspondant militaire grisonnant de la Deuxième chaîne, n’a pas la réputation d’être un libéral au cœur tendre. Au cours des guerres bien trop fréquentes d’Israël, quand il n’est pas avec les troupes sur le terrain, l’ancien officier de l’armée israélienne, qui a été blessé pendant la guerre des Six Jours, est souvent dans les studios, en train de défendre la stratégie et les actions de l’armée, notamment contre ses propres collègues plus pacifiques et plus critiques. Personne ne pourrait dire qu’il cherche à minimiser la menace ennemie au bien-être d’Israël. Peu remettraient en cause son patriotisme.
Puis est arrivé vendredi soir.
En plein journal du soir, pendant un débat ce jour-là au sujet du ministre de la Défense Moshe Yaalon et de son remplacement imminent par Avigdor Liberman, Daniel a demandé s’il pouvait avoir la parole une minute parce qu’il avait quelque chose à dire. Il a ensuite déclaré, sans y avoir été invité, qu’il n’était « plus certain » qu’il voulait que ses enfants continuent à vivre en Israël, à cause, a-t-il dit de la « culture du gouvernement » qui est à présent si déplaisante. Il a également donné une liste de députés de droite qu’il considérait comme des exceptions.
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Les mâchoires sont tombées dans le studio. L’un des collègues de Daniel, Amnon Abromowitz, a tenté d’alléger la déclaration, disant avec désinvolture « Avant que Roni ne quitte le studio et que ses enfants quittent le pays… » Mais Daniel n’était pas d’humeur désinvolte. Il a frappé du poing sur la table, et a protesté, disant qu’Abromowitz ne le prenait pas au sérieux.
Plus tard, pendant la même émission, Daniel a répété sa critique et, interrogé à nouveau sur pourquoi il était si mécontent de l’Israël d’aujourd’hui, il a résumé ainsi : « Ce n’est pas un lieu agréable où se trouver… Vous ne pouvez pas tout croire. »
Les explications de Daniel ont pu sembler un peu incohérentes, mais l’émotion derrière cette dernière phrase, « Vous ne pouvez pas tout croire », était incontestablement plaintive, et je pense, faisait plutôt écho.
L’éviction brutale par le Premier ministre Benjamin Netanyahu de son ministre de la Défense, qui a été loyalement à ses côtés pendant les trois dernières années, en faveur d’un populiste imprévisible avec un historique de critiques féroces du gouvernement même quand il s’y trouvait, a produit des réactions prévisibles sur le spectre politique. Plus on est à sa droite, plus le soutien au changement est chaleureux ; plus on est à gauche, plus les avertissements de fascisme et d’extrémisme dans le gouvernement israélien sont sinistres.
Mais comme Yaalon lui-même, Daniel n’est pas de gauche. Comme Yaalon lui-même, qui quelques heures auparavant a donné un discours de démission débordant de désespoir, Daniel pense sincèrement qu’il parle pour l’Israël normal, ordinaire, pour le peuple qui veut croire qu’il peut faire confiance à son gouvernement pour agir responsablement en son nom. Et comme Yaalon lui-même, Daniel ne pense évidemment plus que c’est le cas. « Ce n’est pas un endroit agréable où se trouver… Vous ne pouvez pas tout croire » peut effectivement être un peu incohérent, mais c’était accablant.
Le loyaliste et le démagogue
La défenestration de Moshe Yaalon, et l’élévation du ministre en attente de la Défense Avigdor Liberman, ne correspondent pas à un remaniement ministériel ordinaire.
Yaalon a tous les attributs dont Netanyahu pouvait rêver pour ce poste, le plus important et le plus sensible. En tant que militaire, le dossier de Yaalon est hors pair. Il a été vétéran de la guerre des Six Jours, commandant de l’unité de commando d’élite de l’armée (Sayeret Maktal, dans laquelle Netanyahu a aussi servi) et, finalement, le chef d’Etat-major qui a mené la bataille pour mettre fin à la vague d’attentats suicides pendant la Deuxième Intifada. Fils d’un vétéran de la Haganah et d’une survivante de l’Holocauste, il a grandi dans la classe moyenne de Haïfa, puis a emménagé dans un kibboutz, mais est passé au fur et à mesure à la droite politique, et a choisi le Likud quand il est entré en politique en 2008.
Faisant écho à Netanyahu, Yaalon a été horrifié par les termes de l’accord nucléaire conclu par les puissances mondiales, menées par les Etats-Unis, l’année dernière.
Faisant écho à Netanyahu, Yaalon a publiquement contesté l’affirmation de l’administration Obama, disant qu’Israël pouvait se permettre de prendre le risque territorial d’un retrait de Cisjordanie, fustigeant le secrétaire d’Etat John Kerry comme un messianiste cherchant un prix Nobel de la Paix et condamnant les propositions sécuritaires de Washington, qui ne valaient même pas le prix du papier sur lequel elles étaient imprimées. Amèrement sceptique sur les intentions palestiniennes, il partage aussi beaucoup de la morne vision du monde de Netanyahu, et souscrit certainement à la volonté qui guide le Premier ministre, pour que l’Etat juif soit capable de se défendre lui-même, par lui-même, contre tout défi ennemi.
Yaalon est aussi un homme de principes moraux d’acier, qui a immédiatement protesté contre la brèche des normes éthiques quand il a vu dans l’exécution dite de sang-froid à Hébron le 24 mars dernier, par le sergent israélien Elor Azaria, d’un assaillant palestinien qui avait été désarmé et était au sol, blessé.
Il a également souligné, après le discours du chef d’Etat-major adjoint Yair Golan qui avait averti du « processus horrifiant » dans l’Israël d’aujourd’hui qui faisait écho à celui de l’Allemagne pré-Seconde Guerre mondiale, que les commandants de l’armée avaient le droit et l’obligation de s’exprimer.
A présent Yaalon, le militaire ambitieux et moraliste, sera remplacé par l’ancien caporal de l’armée israélienne Liberman, un homme dont la carrière politique médiocre ne l’a jamais empêchée de prescrire des solutions en une phrase aux différents défis militaires d’Israël, et dont la boussole morale l’a mené, loin de condamner Azaria, à lui rendre visite en solidarité devant la cour militaire où le soldat est jugé pour homicide.
Peut-être le contraste le plus frappant avec Yaalon est cependant le degré auquel Liberman ne peut manifestement pas être fiable pour Netanyahu. Ils ont travaillé ensemble par intermittence depuis 30 ans, et Liberman, qui veut lui-même devenir Premier ministre, est passé de la loyauté à Netanyahu à la rivalité, de partenaire de la coalition à critique dans l’opposition, et est revenu, au moment où il a vu une opportunité de tirer un profit personnel.
Comme Trump, il dit n’importe quoi tant qu’il pense que c’est utile à sa carrière politique. Sur Gaza, par exemple, Liberman a déclaré au plus fort de la guerre de 2014, alors qu’il était lui-même au cabinet de sécurité, que le Hamas devait être écrasé et que le gouvernement n’allait pas assez loin. Mais il a plus tard décidé que Gaza devait être donné à l’ONU. Puis il a déclaré que le changement passerait par le développement économique de la bande de Gaza. Quand il juge que le temps est venu, il peut abandonner Netanyahu avec la même facilité qu’il a abandonné l’important agenda social du parti Yisrael Beytenu pendant la négociation de l’accord de coalition.
Pendant un entretien donné l’année dernière au Times of Israël, Liberman avait ridiculisé Netanyahu, comme un vaisseau vide, incapable de protéger Israël, incapable d’écraser le Hamas, incapable de repousser la menace nucléaire iranienne. « Sur l’Iran, avait-il dit en hébreu, ce ne sont que des paroles. Que des paroles. » Puis il avait répété « que des paroles » en cinq langues, juste pour s’assurer que nous ayons saisi le message dérisoire : « Kalam fadi. Piste meisis. Hakol diburim. Paroles paroles. Just talk. »
C’était une agression qui aurait pu, peut-on penser, mettre fin aux perspectives de Netanyahu de jamais tolérer de travailler avec lui dans le futur. Mais uniquement si vous étiez naïfs et peu familiers de la politique israélienne.
Le début de la fin de quoi ?
Pourquoi Netanyahu a-t-il échangé l’expert militaire loyal et moral Yaalon contre l’inexperimenté déloyal et démagogue Liberman ? Finalement parce que Netanyahu avait besoin d’étendre son instable coalition, et que Liberman ne l’aurait pas rejoint s’il n’obtenait pas le poste de la Défense. L’autre partenaire potentiel de coalition, Isaac Herzog de l’Union sioniste, négociait trop durement, dirige un parti désuni et est détesté par la droite au pouvoir.
Mais de manière évidente, aussi, Netanyahu est resté imperturbable devant la défense par Liberman du soldat de Hébron, et pas dérangé le moins du monde d’être délesté de l’irritant éthique Yaalon.
Après tout, Netanyahu lui-même a rappelé à la cour militaire où Azaria est jugé que « l’armée israélienne soutient ses soldats », et a appelé la cour à « équilibrer entre l’action et le contexte général de l’évènement ». Après tout, Netanyahu a fustigé le vice chef d’Etat-major Golan pour ses remarques, qu’il a décrite comme scandaleuses, erronées et inacceptables.
Pendant des années, la critique la plus puissante contre Netanyahu a été que son seul objectif stratégique est de rester Premier ministre, et que tous les moyens peuvent être utilisés à cette fin. Ainsi, le jour de l’élection l’année dernière, dans un effort pour galvaniser les électeurs de droite, il a pu prévenir que les électeurs arabes « inondaient » les bureaux de votes. Et s’excuser auprès de la communauté arabe après, une fois réélu Premier ministre. De même, il peut dire pendant un entretien à la veille de l’élection qu’il ne présiderait pas à la mise en place d’un Etat palestinien, et tenter de retirer cette déclaration quelques jours après.
Compétent, cynique, ou les deux, Netanyahu est néanmoins devenu le Premier ministre resté le plus longtemps à son poste en Israël après David Ben-Gurion, parce que, dans un système qui n’impose pas de limites au nombre de mandats, et dans une région soumise à une période lourde de menaces changeant rapidement, il faudrait un politicien particulièrement convaincant et crédible pour persuader les Israéliens de le laisser de côté.
Ils savent que même les décisions censément sensibles prises par les Premiers ministres israéliens peuvent avoir des conséquences catastrophiques, et même existentielles. Les Israéliens peuvent ne pas beaucoup aimer Netanyahu, mais il est le diable qu’il connaisse.
Mais le jour des élections, les Israéliens se demandent au final qui est le plus capable de les garder eux-mêmes, leurs enfants et leur pays en sécurité. Le 17 mars 2015, avec les souvenirs de l’amère guerre de 2014 contre le Hamas toujours frais dans nos mémoires, les Israéliens ont fait confiance à l’association de Netanyahu et Yaalon. Beaucoup d’électeurs ont sans aucun doute conclu que ces deux dirigeants, dont aucun n’est un aventurier militaire, était les plus capables de garder vivants les jeunes soldats combattants. Nos enfants.
On peut se demander si le largage tranquille par Netanyahu de son bras droit, Yaalon, entamera la perception publique de sa compétence exceptionnelle.
Pour Roni Daniel, avec toute son angoisse de vendredi soir à la télévision, la tactique politique à court-terme de Netanyahu pour faire venir Liberman marque apparemment le début de la fin pour Israël. La question moins émotionnelle serait de savoir si cela marque le début de la fin pour Netanyahu.
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel