Poutine persiste et signe, Israël observe
Les médias israéliens contemplent avec fascination la situation qui se détériore en Ukraine
Cette semaine, le monde entier porte son attention sur l’Ukraine, et les médias israéliens n’échappent pas à la règle. Les journaux scrutent le moindre mouvement de Poutine et échafaudent sur la réaction occidentale.
Haaretz titre « Malgré les avertissements d’Obama, la Russie envoie des soldats et contrôle la Crimée. » Le quotidien, qui revient dans le détail sur les développements les plus récents sur le terrain, publie une analyse d’Anshel Pfeffer qui parle d’« invasion sur invitation. »
Pfeffer note que l’Occident n’a pas énormément d’options pour s’opposer à la Russie, hormis le gel des actifs des oligarques russes retenus dans des banques occidentales.
Mais il reste une carte maîtresse : la Syrie. Pfeffer estime que la levée des restrictions sur l’envoi d’armement lourd aux rebelles est la seule manière pour l’Occident de répliquer à la Russie.
L’éditorialiste d’Israel Hayom Boaz Bismuth, en léger désaccord avec Pfeffer, juge que l’Occident a plus d’options qu’elle ne le pense. Mais en fin de compte, seul Poutine prend les décisions cruciales.
Malgré la faculté des Etats-Unis à envoyer leur sixième flotte dans la région, ou à fournir une aide financière en Ukraine, la seule menace vraiment envisageable est un boycott de la conférence du G8, qui doit se tenir en juin à Sotchi.
Bismuth critique l’absence de décision d’Obama. « Peut-être qu’Obama finira pas se décider à faire quelque chose. Mais en attendant, Poutine chante en solo en russe, tandis que John Kerry se détend et dit ne pas s’attendre à un Rocky 4. »
Yediot Aharonot parle d’une « invasion russe » et consacre quatre pages à la couverture de la crise (les journalistes de Yediot profitent de la crise pour multiplier les références cinématographiques, telles que « L’Empire contre-attaque », « Les Russes arrivent » ou « Mauvais baisers de Russie » [« Bon baisers de Russie dans la version originale, NDT]).
En plus des jeux de mots, le journal publie les opinions de deux Israéliens nés en Ukraine, l’un favorable à une invasion russe, l’autre opposé.
Rina Greenberg affirme être pour l’invasion car « une guerre civile avec des armes non conventionnelles est très grave et dangereuse. » Elle ajoute que la seule option pour la Russie est « d’entrer [dans le pays] et de mettre de l’ordre. »
Au contraire, Dimitry Ordelo pense que le peuple ukrainien, et non l’armée russe, doit pouvoir décider de son destin. « Les héros de la révolution n’ont jamais souhaité que l’instabilité politique menace l’intégrité territoriale du pays », écrit-il. S’il concède que l’Ukraine pourrait être divisée en deux, il estime que c’est le peuple qui doit choisir.
Maariv adopte une approche quelque peu différente et écrit que le but de Poutine est de conquérir l’Ukraine sans la moindre effusion de sang. Matan Drori écrit que la vraie intention des Russes depuis quelques jours est d’envoyer un message aux Etats-Unis et à l’Europe pour qu’ils arrêtent leur ingérence à Kiev.
Drori rappelle également que malgré les discours rhétoriques, la Russie et l’Ukraine conservent de puissants liens économiques. Malgré les meilleures intentions européennes et américaines, la Russie s’immiscera toujours dans les affaires ukrainiennes.
La marche du million
Alors que le monde a les yeux rivés sur la situation en Ukraine, les quotidiens recentrent le débat sur des sujets beaucoup plus proche de nous, à commencer par la manifestation géante de la communauté ultra-orthodoxe contre la loi de conscription, qui doit avoir lieu aujourd’hui à Jérusalem.
Israel Hayom prédit qu’un maximum d’un million de manifestants pourraient se présenter à l’entrée de la ville, qui risque d’être coupée du reste du pays. Le journal explique qu’il s’agit en partie d’une protestation et en partie d’une séance de prière.
Sur la question des pourparlers de paix, Maariv révèle que la Maison Blanche envisage de rendre public un accord-cadre, même si les deux camps ne l’acceptent pas. John Kerry a mis la pression pour publier cet accord d’ici fin mars et une source gouvernementale détaille la stratégie israélienne.
« Des décisions sont prises en ce moment-même au sein du gouvernement », confie la source. « Nous réfléchissons pour savoir si nous devons accepter ou refuser l’accord. Le problème est qu’il n’y a pas de plan B et que si les deux camps rejettent le plan, tout risque d’exploser. »
Yediot abonde dans le même sens alors que Netanyahu doit rencontrer Obama à Washington, ce lundi. Le quotidien explique que le Premier ministre ne s’attend pas à pouvoir combler les brèches avec l’administration Obama au sujet de l’accord-cadre.
Un autre facteur aggravant est le timing de la visite de Bibi, Obama risquant d’être accaparé par les événements en Ukraine.
Dans les pages d’opinion, l’édito de Haaretz prend à partie l’absence de réaction israélienne face à la loi contre les homosexuels en Ouganda. Alors que le gouvernement américain a été prompt à condamner la loi et que la Banque mondiale a gelé son aide au pays, Israël est resté silencieux.
Le journal met ce silence sur le compte des liens économiques entre les deux pays (notamment pour les contrats d’armement). L’autre raison serait le fait que l’Ouganda est le pays vers lequel Israël expulse ses demandeurs d’asile. « C’est comme ça qu’Israël a toujours agi », peut-on lire.
« Tous les principes et les valeurs doivent s’incliner face aux intérêts nationaux. » Israël devrait au contraire défendre ses valeurs et annoncer, au regard de la loi, qu’il réexaminera ses liens avec l’Ouganda. « Même la realpolitik a des limites. »