Quand Jean-Pierre Bacri s’exprimait sur son identité juive et Israël
Juif athée, l’acteur dit avoir un temps été admiratif d’Israël, avant de s’en éloigner après la guerre des Six jours, quand le pays a voulu "rester dans le salon du voisin"
Le monde de la culture et du cinéma français pleure Jean-Pierre Bacri. Acteur et scénariste, l’homme est décédé lundi après-midi d’un cancer. Il était âgé de 69 ans.
Depuis, les hommages ont afflué, saluant autant pour son talent que pour sa personnalité celui qui occupait une place de choix auprès du public pour ses rôles d’anti-héros râleurs et désabusés, mais toujours profondément humains et sincères.
Devenu acteur par hasard – en suivant au cours d’art dramatique une fille qu’il draguait, alors qu’il enchaînait les petits boulots (notamment ouvreur à l’Olympia) – il est devenu célèbre quelques années plus tard, par son rôle de proxénète dans un clan familial de la mafia juive pied-noire française, dans le film « Le Grand pardon » (1982) d’Alexandre Arcady.
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Comme son personnage – et la similitude s’arrête là –, Bacri était issu d’une famille juive originaire d’Algérie. Son père, facteur, travaillait le week-end dans le cinéma de la ville de Castiglione et lui a fait découvrir le monde du 7e art – sans que cela ne lui ait procuré de révélation. Ils sont arrivés en France, à Cannes, en 1962, quand Jean-Pierre avait 11 ans – il partira à Paris à ses 25 ans.
De son enfance, il disait en 2012 en garder peu de souvenirs – une « dizaine d’images » – et ne pas être nostalgique, rejetant tout au long de sa vie l’idée du « c’était mieux avant ». Il confiait ne jamais être retourné dans son pays natal, en partie à cause de sa peur féroce de l’avion – qu’il voyait comme un effet de sa consommation passée de cannabis. « J’avais le choix entre arrêter le cannabis et arrêter l’avion, j’ai choisi », disait-il. « J’aime beaucoup toutes les vertus de cette drogue douce… qui n’est pas encore dépénalisée. »
De cette identité, de ses origines, Bacri n’y accordait qu’une « importance très limitée », disait-il à L’Humanité en 2001, dans une interview avec son ex-partenaire Agnès Jaoui, rencontrée en 1987 au théâtre et avec laquelle il a écrit plusieurs pièces et films (« Cuisine et dépendances » ou encore « Un air de famille »). Dans ce sens, il affirmait se sentir « citoyen du monde » et disait ne pas « aimer les communautés, le communautarisme, je ne parle jamais pour la communauté X ou Y, je parle pour la communauté française. C’est d’ailleurs la seule que je connaisse. Une communauté de culture de langue, de références communes. Les ‘ghettos’ ne m’intéressent pas. C’est pour cela que je ne suis pas un homme qui parle de ses origines. Trop de gens se sentent obligés de les défendre à l’exclusion des autres. »
De gauche et adepte des thèses du sociologue Pierre Bourdieu, s’il disait rejeter tout sentiment d’appartenance, Jean-Pierre Bacri ressentait un « sentiment de solidarité pour tous ceux qui subissent des injustices ».
Dans la même interview fleuve, il disait ainsi trouver « lamentable » ce qui « se passe en Israël et en Palestine ». « J’aimerais tellement que les accords soient respectés, que les Israéliens arrêtent d’implanter des colonies, que les Palestiniens arrêtent de tirer sur Israël. Ce qui serait bien c’est que tout le monde respecte les accords d’Oslo. Ni le calendrier, ni les engagements n’ont été respectés. Je demanderais, dans le meilleur des mondes, que simplement les accords signés soient appliqués. »
Quelques années plus tard, en 2009, auprès de la journaliste Sandrine Bendavid pour l’édition française du Jerusalem Post, toujours sans craindre la critique et fidèle à ses opinions, il s’exprimait davantage sur le sujet, appelant les Israéliens « qui se battent pour la paix » à « ne pas lâcher l’affaire ».
« Cela fait 25 ans que je ne suis plus retourné en Eretz », disait-il. « J’ai admiré ce pays. J’ai été totalement admiratif d’Israël jusqu’au septième jour de la guerre des Six jours. J’avais 16 ans, et j’étais ‘avec eux’, comme on dit. C’était un pays jeune, qui n’acceptait pas qu’on le remette en cause, qui se défendait, qui a su qu’il allait être agressé de toutes parts et qui a réglé le problème de façon radicale, en rentrant ‘dans le salon des gens’. Vous savez, moi, si j’ai un problème de voisinage avec quelqu’un, et que ma survie en dépend, je ne me laisse pas faire. Je vais jusque dans son salon, et je lui casse la tête, à ce voisin. Je lui casse la tête dans son salon. C’est ce qu’Israël a fait. Et jusque-là, je dis ‘Bravo !’ Mais après, je sors de chez lui. Et je rentre chez moi. Tant qu’Israël ne fera pas ça, ils ne seront jamais forts. Ils seront toujours vulnérables. Lorsqu’Israël réintégrera les frontières de 1967, et respectera les Palestiniens, comme les Juifs ont envie d’être respectés, alors, je serai de nouveau ‘avec eux’. Ce peuple qui, depuis des millénaires, a acquis, pour son malheur, une telle culture de la persécution, ce peuple devrait être ‘imparable’, et absolument parfait en ce qui concerne les autres. Nous ne devrions jamais mépriser, jamais humilier un autre peuple. On devrait être les premiers de la classe ! »
Il s’exprimait ainsi en faveur d’un État palestinien et du droit des peuples à vivre en paix. Il saluait Ariel Sharon pour avoir « rendu Gaza » : « On a souvent de bonnes surprises avec les gens de droite. Ils sont tellement complexés par les reproches qu’on leur fait qu’ils se demandent à eux-mêmes toujours un peu plus. Et ils apportent parfois, contre toute attente, des solutions aux problèmes qu’on croyait insolubles. Moi, j’espère toujours. Et j’espère que je serai encore vivant pour voir ces deux pays cohabiter, sinon en paix, au moins normalement. »
De son judaïsme, il disait : « Je suis engagé, je suis athée, je suis Juif. Je suis Juif, parce que je suis né Juif et que je n’y peux rien. Mais je ne le porte pas pour autant comme un drapeau. Je suis, donc, athée, ce qui m’épargne, d’emblée, un certains nombre de problèmes (rires), par rapport à mon identité. Je suis anti-communautarisme, mais, d’une force que vous n’imaginez pas. Je déteste que les institutions juives parlent en mon nom, et je déteste, lorsqu’en France, on parle, à tout bout de champ, de la ‘communauté juive’ et du ‘peuple juif’. Je suis Juif, c’est vrai, mais je ne suis pas le ‘peuple juif’. Je ne pense pas comme lui, je ne suis pas comme lui. Je suis, d’abord, moi. Et, pour commencer, je suis citoyen. Du monde. De la France. De la France, parce que c’est mon pays, parce que c’est une langue que j’adore, dans laquelle je crée et j’écris. L’histoire que je connais bien, c’est celle de la France et pas celle d’Algérie, ni celle d’Israël. » Dans un autre entretien pour France Culture, il se disait « agnostique ».
Dans des propos matière à polémique, il expliquait en 2009 qu’il n’y avait
« pas d’antisémitisme en France », ou que ce regain venait « de l’arrogance des Israéliens à vouloir rester dans le salon du voisin ». Il poursuivait : « Le gros problème, en France, aujourd’hui, ce n’est pas les ‘douze salopards’ qui taguent une synagogue, ni le fou furieux qui a tué Ilan Halimi, parce qu’il pensait que tous les Juifs ont de l’argent. Des fous furieux, il y en a partout. On ne peut pas fonder, sur quelques fous, toute une panique de l’antisémitisme ! Je ne crois pas à tout ça. Je crois que Dieudonné, qui, de son vivant, a été un humoriste extraordinaire, et qui, depuis qu’il est mort, fait n’importe quoi, surfe sur cette phobie d’un antisémitisme montant, pour essayer, vainement, de se rendre populaire. Pour preuve, le score ridicule qu’il a fait aux européennes. »
Si les détails de sa maladie n’ont pas été révélés – on sait juste qu’il est décédé d’un cancer -, le comédien était un grand fumeur, a rappelé le journaliste Olivier Benkemoun. L’un des médecins de l’acteur, le docteur Pierre Squara, s’est exprimé sur BFM suite à son décès : « On l’a trouvé comme dans ses films. Il a exigé d’être traité comme tout le monde. Il a fait preuve d’un grand courage, parce que la fin n’a pas été facile. Il fallait négocier. Parfois il disait non, alors on devait argumenter. On a eu des dialogues qui ressemblaient un peu à ceux qu’il y avait dans ses films. »
Le comédien s’était exprimé sur la maladie et la mort il y a quelques années, pour le magazine Psychologies, disant craindre davantage la première que la seconde : « On pense toujours la mort comme les enfants, on s’imagine se voyant ne plus y être. Mais quand on est mort, on ne le sait pas, on est seul à ne pas le savoir. Vous n’êtes pas témoin de votre mort. Ce qui est terrible, c’est avant. La maladie, la souffrance de bête de la maladie. Etre une petite bête traquée. […] Ça, ça me fait peur que la maladie fasse de moi une petite bête traquée. Mais à part ça, je n’ai peur de rien. »
Ces prochains jours, les chaînes de télévision ont prévu de rendre hommage au comédien, France 2 diffusant deux de ses plus grands films :
« Le Goût des Autres » (2000) d’Agnès Jaoui mercredi à partir de 21h05, suivi de « On connaît la chanson » (1997) d’Alain Resnais dès 23h. « Un air de famille »(1996) sera lui diffusé ce mardi soir à 21h15 sur C8, et « Le Sens de la fête » dimanche soir sur TF1.
Très prolifique dans les années 1990 et 2000 – il a joué dans une cinquantaine de films –, Bacri tournait moins ces dernières années, revendiquant son droit à la paresse et sa volonté « d’esquiver les contraintes » – notamment la promo des films, exercice qu’il n’appréciait pas vraiment, n’aimant pas se mettre en avant.
Ce fan d’Alain Souchon et de Georges Brassens a reçu au cours de sa carrière cinq César : quatre fois le trophée du meilleur scénario avec Agnès Jaoui (pour « Smoking/No Smoking », « Un air de famille », « On connaît la chanson » et « Le Goût des autres ») et une fois celui du meilleur acteur dans un second rôle pour « On connaît la chanson ». Il a été nommé six fois pour le César du meilleur acteur (pour « Kennedy et moi », « Le Goût des autres », « Les Sentiments », « Cherchez Hortense », « La Vie très privée de Monsieur Sim » et « Le Sens de la fête »).
Le président Emmanuel Macron, parmi de nombreux autres, lui a rendu hommage sur Twitter lundi soir : « Il avait le sens de la fête et le goût des autres. Jean-Pierre Bacri, le plus tendre de nos râleurs s’en est allé. Comme une image, son humanité laconique et sensible continuera de peupler nos vies. »
L’AFP a participé à la rédaction de cet article.
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