Quand un vibro fait vibrer l’image des Juifs orthodoxes à Hollywood
Le nouveau film de la réalisatrice Talia Osteen bouscule les stéréotypes avec une comédie sur une femme religieuse qui fait appel à un goy pour éteindre son sex toy

JTA – Quand Talia Osteen a décidé de faire un court-métrage sur un « Shabbos goy » – un non-juif qui accomplit une tâche pour un juif qu’ils ne peuvent pas faire eux-mêmes le jour du Shabbat – elle savait qu’elle aurait besoin de lui pour faire quelque chose de plus drôle que d’appuyer sur l’interrupteur.
C’est ainsi qu’un vibromasseur est devenu la vedette de « The Shabbos Goy », le court-métrage de la réalisatrice de Los Angeles qui a fait ses débuts en ligne ce mois-ci.
Chana, une femme orthodoxe de Los Angeles, et son fiancé célèbrent leurs fiançailles à la table du Shabbat avec leurs familles lorsqu’elle entend un son alarmant. Les enfants de sa sœur ont trouvé son vibromasseur et l’ont allumé. Depuis la salle à manger, elle l’entend se tordre sur le sol de sa chambre.
Chana s’absente de la table et part à la recherche d’un goy pour éteindre le vibromasseur, une tâche qu’elle ne peut pas faire elle-même car il est interdit d’allumer ou d’éteindre les appareils électroniques pendant Shabbat.
Ainsi commence un court métrage au rythme effréné qui s’écarte fortement de la manière dont l’orthodoxie est représentée dans les films récents et dans les émissions de télévision. Alors que les dernières incursions hollywoodiennes dans les histoires orthodoxes se focalisent sur l’oppression des règles communautaires sur fond de palette de couleurs sourdes et de personnages rarement souriants, « The Shabbos Goy » est un instantané de sept minutes de la bêtise qui peut s’ensuivre lorsque tradition et modernité se côtoient et se heurtent de façon gênante.
Osteen a déclaré que son approche comique de l’orthodoxie était intentionnelle.
Les côtés les plus sombres du monde orthodoxe méritent d’être soulignés, a-t-elle dit, comme ils l’ont été dans le film « Disobedience » de 2017, dans lequel Rachel McAdams joue le rôle d’une lesbienne orthodoxe cachée, ou « Unorthodox« , l’histoire d’une femme qui laisse le Williamsburg hassidique derrière elle pour rejoindre Berlin.
« Mais je voulais montrer un côté différent que nous ne voyons généralement pas », déclare Osteen.
Le film subvertit le plus directement les stéréotypes hollywoodiens de l’orthodoxie dans l’image qu’il donne de la sexualité des femmes.
Lorsque la sœur de Chana, mariée et cheveux couverts d’un foulard, entre et voit Chana et Davian – le goy qu’elle a appelé – essayer d’éteindre le vibromasseur, elle est moins choquée par l’appareil que par l’étranger dans la chambre de sa sœur. Rapidement, elle donne des instructions sur la façon de l’éteindre, faisant remarquer à Chana qu’elle en utilise depuis assez longtemps pour savoir comment cela fonctionne.
« Je veux inverser le préjugé selon lequel les juifs frum [religieux] ou orthodoxes ne seraient pas aussi sexuels que les autres », a déclaré Osteen. « C’est censé être un clin d’œil au fait que les femmes orthodoxes sont bien plus que ce que l’on pourrait croire.”
Osteen n’est pas elle-même orthodoxe. Élevée par une mère israélienne et un père converti au judaïsme, elle a grandi dans une synagogue conservatrice de la banlieue d’Orlando, en Floride. Enfant, elle a fréquenté le camp du Centre communautaire juif et a même formé un groupe de chant juif au lycée, baptisé Visions. À Los Angeles, elle et sa femme ont envoyé leur fils dans une école maternelle juive et se rendent à Ikar, une synagogue non confessionnelle à l’ouest de Los Angeles.
Mais ce sont les amis orthodoxes d’Osteen qui ont contribué à inspirer l’idée de ce court métrage.
En 2009, Osteen a rencontré Dov Rosenblatt, un musicien orthodoxe moderne qui cherchait à intégrer sa musique dans des films et des séries télévisées. Les deux se sont liés par leur expérience commune de chanteurs dans des groupes juifs et ont commencé à écrire des chansons ensemble dans le cadre d’un projet parallèle. En 2010, ils ont fondé un groupe, The Wellspring, et en 2011, ils ont fait une tournée ensemble.

« Faire une tournée avec quelqu’un qui est orthodoxe signifie que vous ne pouvez pas jouer le jour du Shabbat, vous ne pouvez pas conduire le jour du Shabbat », dit Osteen.
Et si Osteen ne pouvait pas être le goy de Shabbat de Rosenblatt, étant elle-même juive, elle a appris quand il pourrait être utile à son ami qu’elle allume ou éteigne la lumière le jour du Shabbat.
C’est cette idée du Shabbos goy – non-juif qui peut accomplir une action interdite pour un juif le jour du Shabbat si celui-ci ne le lui demande pas explicitement – qui a intrigué Osteen en tant que sujet d’intrigue.
« A chaque fois que vous donnez à un personnage un ensemble de règles qu’il doit suivre pour atteindre un but, cela crée une situation comique implicite », dit Osteen.
Lorsque le producteur Paul Feig a lancé un appel à propositions pour la réalisation de courts métrages se déroulant dans une micro-communauté de Los Angeles, Osteen était déchirée entre l’écriture d’un film sur les mères lesbiennes de l’Est de Los Angeles ou sur les Juifs orthodoxes du quartier Pico Robertson de Los Angeles. La femme d’Osteen, Sara Hess, productrice et scénariste de « Orange is the New Black », lui a conseillé de choisir la communauté orthodoxe.
« On ne voit pas souvent cela dans les comédies », a déclaré Hess, raconte Osteen.
A l’origine, Osteen imaginait une famille assise autour de la table le vendredi soir dans le noir, ayant besoin d’un goy de Shabbat pour allumer la lumière. Mais elle voulait ajouter un peu plus de punch comique.
« J’ai pensé, quelle est la chose la plus embarrassante pour laquelle vous pourriez avoir besoin d’un goy de Shabbat ? » dit-elle.
Osteen n’allait pas réellement écrire l’histoire de quelqu’un qui a besoin d’un goy du Shabbat pour éteindre un vibromasseur, jusqu’à ce qu’elle en parle à Rosenblatt et à sa femme, Aura. Ils n’ont pas pu s’empêcher de rire.
Cela pourrait-il vraiment arriver, s’est-elle demandé ?
C’est possible, lui ont-ils dit.
« Si c’est possible, ça me suffit pour continuer », a-t-elle dit. « Alors je l’ai fait. »
Le résultat est une visite rapide du quartier juif de Pico Robertson, où Chana cherche désespérément quelqu’un qui n’est pas juif et qui puisse l’aider. Elle finit par trouver Davian White, un homme noir qui ne peut pas croire que le judaïsme permette à Chana d’utiliser un vibromasseur mais pas de l’éteindre.
Le fait que Davian soit noir ajoute une autre couche de complexité à l’intrigue. Lorsque Chana lui parle, Davian remet en question son hypothèse selon laquelle il n’est pas juif.
« Pourquoi pensez-vous cela, parce que je suis noir ? » lui demande-t-il.
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À un moment où la communauté juive réévalue les notions de sa propre diversité, la question d’un film présenté en première l’année dernière semble pressentie.
Dans un réel effort d’obtenir des détails précis, des personnes ayant une bonne connaissance de l’orthodoxie étaient présentes sur le plateau du film. C’est Yisrael Dubov – il joue le fiancé de Chana et a été choisi pour le rôle avant qu’Osteen n’apprenne que son père avait été le rabbin Loubavitch dans sa ville natale – qui a fait remarquer que le père dans le film ne porterait pas d’alliance.
Osteen a modelé le décor du repas du Shabbat en s’inspirant d’une famille orthodoxe de sa connaissance.
« Cela ne pourrait pas ressembler à cela pour d’autres spectateurs, mais je savais que c’était au moins fidèle aux coutumes de cette famille orthodoxe que je connais », a-t-elle déclaré.
Même la musique, composée par Osteen et Rosenblatt, est basée sur un niggun traditionnel, une mélodie sans paroles, qu’ils ont adaptée à l’arc du scénario.
Osteen et les producteurs du film explorent leurs options pour développer le film, que ce soit un long métrage qui se déroulerait au cours d’ “une soirée folle (de Shabbat) », comme le dit Osteen, s’inspirant de “The Hangover,” « Booksmart » ou « Just Married (ou presque) », ou une série dans laquelle Davian s’installerait avec la famille de Chana dans un croisement entre « Vivre à trois » et « Ramy ».
Quelle que soit la suite de l’histoire, Osteen se réjouit des réactions positives des Juifs et des non-Juifs, mais surtout des téléspectateurs orthodoxes.
« Je n’étais pas sûre de la tournure que cela prendrait », a-t-elle déclaré à propos de la réaction des téléspectateurs orthodoxes. « Mais cela me remplit de joie. »