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Querelle d’experts autour de l’enquête sur l’antisémitisme de l’Ivy League

L'antisémitisme sur les campus a beau être un problème, certains voient dans l'enquête du Congrès, non pas la solution, mais au contraire une menace pour l'enseignement supérieur

La statue de John Harvard (à gauche), sur le campus de l'Université Harvard, à Cambridge (Massachusetts), le 10 janvier 2024. (Crédit : Steven Senne/AP Photo)
La statue de John Harvard (à gauche), sur le campus de l'Université Harvard, à Cambridge (Massachusetts), le 10 janvier 2024. (Crédit : Steven Senne/AP Photo)

NEW YORK – Au moment-même où le Congrès se penche sur les accusations d’antisémitisme dans les universités de l’Ivy League, les graffitis antisémites de l’Université de Harvard sur les affiches d’otages israéliens peuvent être considérés comme une sorte de test de Rorschach (outil d’évaluation psychologique qui consiste en une série de planches graphiques présentant des taches symétriques a priori non figuratives qui sont proposées à la libre interprétation de la personne évaluée).

Certains voient dans ces actes de vandalisme, que Harvard n’a pas commenté, une preuve supplémentaire que le Congrès a raison d’exiger de l’université qu’elle lui remette les documents justifiant de son action contre l’antisémitisme sur le campus. D’autres y voient le signe que le Congrès compte utiliser l’antisémitisme comme d’une excuse pour s’en prendre à sa véritable cible, à savoir l’enseignement supérieur.

En un mot, l’enquête est tour à tour perçue comme une surveillance nécessaire ou un excès dangereux.

« Je n’ai pas vu pareille menace sur l’enseignement supérieur depuis que Ronald Reagan était gouverneur de Californie », s’exclame Lynn Pasquerella, présidente de l’Association américaine des universités. « Il n’y a aucun contrôle dans tout cela. C’est avant tout de l’agitation et cela n’a rien à voir avec l’antisémitisme, qui devrait être une véritable préoccupation. Bien au contraire, cela conduit à un désinvestissement et à une perte de confiance du public dans l’enseignement supérieur. »

L’enquête a commencé en décembre, peu après le témoignage de l’ex-doyenne de l’Université de Harvard, Claudine Gay, de l’ex-doyenne de l’Université de Pennsylvanie, Liz Magill, et de la doyenne du MIT, Sally Kornbluth, devant la Commission de l’éducation et de la main-d’œuvre de la Chambre des Représentants à propos de l’antisémitisme sur les campus.

Au cours de cette audience, qui a donné lieu à une intense polémique, aucune des trois femmes n’a clairement dit que les appels au génocide des Juifs sur les campus relevaient du harcèlement.

Illustration : Sur le campus de l’Université Harvard à Cambridge (Massachusetts), le 2 janvier 2024. (Crédit : Steven Senne/AP Photo)

Lors de l’ouverture de l’enquête, la présidente de la commission, Virginia Foxx (Républicaine de Caroline du Nord), a demandé à Harvard de lui remettre tous les documents concernant son action suite à des incidents antisémites, ses règlements et procédures disciplinaires, ainsi que des données budgétaires, parmi lesquelles la provenance de ses fonds étrangers.

Harvard aurait bien respecté la date limite du 23 janvier, mais Foxx estime que sa réponse est « totalement inappropriée ».

« Au lieu de répondre à la demande de la Commission de manière exhaustive, Harvard s’est contenté de produire des lettres d’ONG et des manuels universitaires, dont beaucoup sont déjà accessibles au public. C’est inacceptable. Harvard doit produire les documents demandés dans les temps, au risque de se voir infliger des sanctions », a déclaré Foxx par voie de communiqué, le 24 janvier dernier.

Illustration : Des manifestants pro-palestiniens rassemblés à l’Université de Harvard, à Cambridge (Massachusetts), le 14 octobre 2023. (Crédit : Joseph Prezioso/AFP)

Le porte-parole de l’Université Harvard, Jason Newton, a déclaré que l’université n’avait pas de déclaration à faire sur l’enquête. Il s’est limité à reprendre les termes de la déclaration de l’université du 7 décembre 2023.

« Le travail que fait Harvard pour lutter contre l’antisémitisme au sein de sa communauté progresse avec détermination et la plus grande attention de la part des dirigeants de l’université. L’université sera heureuse de communiquer les informations à la commission pour les besoins de son enquête », a déclaré Newton.

Pasquerella se dit préoccupée par l’impact des travaux de cette commission sur les libertés académiques, car outre les documents concernant l’action de Harvard face à l’antisémitisme, la commission a également demandé des documents concernant les services de la diversité, de l’équité et de l’inclusion de l’université.

Pour Michael Poliakoff, président de l’American Council of Trustees and Alumni (ACTA), ces inquiétudes sont infondées.

« La liberté académique concerne la salle de classe, et rien dans cette enquête du Congrès se rapporte au contenu des enseignements – il s’agit là de ce que les administrateurs ne font pas pour garantir un environnement éducatif acceptable pour les étudiants juifs, comme l’exige la loi fédérale.

Il est tout à fait possible de respecter la liberté académique tout en protégeant les étudiants du harcèlement », assure M. Poliakoff.

Michael B. Poliakoff, président de l’American Council of Trustees and Alumni, s’exprime au Levy Forum for Open Discourse à la synagogue de Palm Beach (Floride), le 25 janvier 2023. (Crédit : Tom Tracy)

Ilya Shapiro, chercheur principal et directeur des études constitutionnelles au Manhattan Institute, think tank conservateur, convient également que l’enquête était attendue depuis longtemps.

« C’est tout à fait normal. Cela n’a rien de différent de la surveillance qu’exerce le Congrès sur le Pentagone. Ces établissements reçoivent des fonds fédéraux, ce qui suppose le respect de certaines conditions. Ces institutions ont vécu dans une bulle pendant trop longtemps », estime Shapiro.

Cela suppose par exemple des enquêtes sur leur façon de dépenser l’argent des contribuables et le respect des dispositions anti-discrimination, ajoute-t-il.

Ilya Shapiro, chercheur principal et directeur des études constitutionnelles au Manhattan Institute. (Autorisation d’Ilya Shapiro)

Si Harvard entend montrer sa détermination à mettre fin à l’antisémitisme, il lui faut mener un audit de ses services et programmes en matière de diversité, équité et inclusion afin d’établir quelles mesures ont été prises pour s’opposer à l’antisémitisme sur le campus ces dix dernières années, explique Poliakoff.

« Ceux qui ne peuvent pas faire preuve d’une action vigoureuse en faveur de la protection des étudiants juifs doivent être limogés. Harvard doit punir le harcèlement anti-Israël et les activités qui menacent les étudiants juifs ou créent un environnement hostile pour eux », ajoute-t-il.

Aussi éloignés que puissent être les avis sur la question, il existe un point sur lequel ils sont d’accord : quel que soit le résultat, la liberté d’expression ne doit pas être sacrifiée.

Il est important de se rappeler que le Congrès dispose d’un large pouvoir de surveillance, explique Tyler Coward, conseiller principal pour les affaires gouvernementales à la Fondation pour les droits individuels et l’expression (FIRE).

« FIRE veillera de très près à ce que le Congrès et l’exécutif respectent ce qui est protégé par la Constitution et ne demandent pas aux universités de censurer ou décourager l’expression. Ce qui serait un très mauvais signal », estime Coward, qui a témoigné devant les législatures des États sur les questions de liberté d’expression et de procédures sur les campus.

Shapiro est d’accord sur ce point. « Je ne pense pas que la leçon à en tirer soit qu’il nous faut limiter la liberté d’expression. La leçon à en tirer n’est pas d’arrêter ce qui peut être considéré comme des discours antisémites, mais de les encadrer par des codes de conduite », conclut Shapiro.

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