Qui a tiré sur qui aux abords du centre humanitaire de Rafah ? À qui profite le crime ?
Il est très difficile de faire la part des choses depuis que le Hamas a déclenché un conflit qui dure depuis presque 20 mois. Et le défaitisme israélien sur le deuxième front n'aide pas
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Cette semaine et pendant trois jours consécutifs, le Hamas a prétendu que les soldats israéliens avaient ouvert le feu à proximité du centre de distribution d’aides géré par la toute nouvelle Fondation humanitaire de Gaza, qui est soutenue par les États-Unis et Israël, à Rafah.
Dimanche, le groupe terroriste a ainsi affirmé que 31 Gazaouis avaient été tués par Israël. Ce nombre était de 3, lundi, et il était de 27 dans la matinée de mardi. D’après le récit qui a été celui du Hamas – et d’après une grande partie de la communauté internationale – Israël aurait abattu des civils innocents qui cherchaient désespérément à pouvoir accéder à des denrées alimentaires indispensables pour leur survie.
Le Comité international de la Croix-Rouge – qui est une source relativement crédible d’informations – a fait savoir que son hôpital de campagne, à Rafah, avait dû faire face à un afflux massif de 179 victimes dimanche. Il a ajouté que la majorité d’entre elles avaient été blessées par balle ou par des éclats d’obus, et que la mort de 21 Gazaouis avait été prononcée dès leur arrivée. Tous les patients ont raconté qu’ils avaient essuyé des coups de feu alors même qu’ils essayaient de se rendre au centre de distribution de l’assistance humanitaire. Mardi, le CICR a fait état d’un autre incident qui a, là encore, impliqué un grand nombre de victimes, soit 184 patients. 19 étaient déjà mortes lorsqu’elles sont arrivées et huit se sont éteintes peu après. La Croix Rouge ne semble pas avoir fait d’annonce particulière dans la journée de lundi – mais son communiqué de mardi faisait clairement référence à quatre incidents du même type, survenus au cours des 96 heures précédentes. Contrairement au Hamas, les déclarations faites par la Croix-Rouge n’ont pas pointé du doigt d’éventuels responsables en ce qui concerne ces morts et ces blessés.
L’armée israélienne a fait savoir qu’elle avait procédé, selon ses propres termes, à des « tirs de semonce » dans le secteur où se trouve le centre de la Fondation – à environ un kilomètre – dimanche et lundi, précisant que ces tirs d’avertissement avaient été été effectués, mardi, à 500 mètres du site. Elle a reconnu qu’ils avaient touché un nombre non-précisé de personnes, mais elle n’a pas admis avoir tué qui que ce soit.
Lors d’une conférence de presse qui a été diffusée dans la soirée de mardi à la télévision, Effie Defrin, le porte-parole de Tsahal, a indiqué que les chiffres du Hamas étaient « exagérés ». Concernant l’incident survenu mardi, Defrin a affirmé que « des tirs de sommation ont été effectués » en direction de suspects « qui représentaient une menace pour nos forces alors qu’ils se trouvaient loin de l’endroit où ils étaient pourtant censés se trouver ». Les soldats ont ouvert le feu en prenant des précautions et de manière à « ne blesser personne », a-t-il assuré.
Quand la déformation assidue des faits rencontre l’incompétence persistante
Il est extraordinairement difficile de faire la part des choses dans le cadre de cette guerre et de donner un sens à des affirmations contradictoires et invérifiables depuis que le Hamas a déclenché ce conflit, il y a presque 20 mois, en lançant un attaque sanglante dans le sud d’Israël à partir d’un territoire entièrement placé sous son contrôle. Le jour de cet assaut meurtrier, le 7 octobre 2023, les hommes armés avaient massacré plus de 1 200 personnes qui n’avaient commis qu’un seul crime, celui de vivre au sein de l’État juif, et ils avaient kidnappé 251 personnes qui avaient été prises en otage à Gaza. 57 d’entre elles se trouvent encore aujourd’hui retenues en captivité.
Le Hamas a passé des années à transformer Gaza en état terroriste, sa machine de guerre ayant été délibérément réfléchie pour utiliser les civils de Gaza comme autant de boucliers humains – leurs habitations piégées, leurs mosquées utilisées comme dépôts de missiles et d’armes, leurs écoles reconverties en centres de commandement et en points d’accès aux tunnels, les hôpitaux utilisés comme cachettes, les chefs du Hamas cherchant à échapper à la capture dans les abris souterrains qu’ils renferment. Depuis 20 mois, le Hamas œuvre avec assiduité à présenter Israël comme un agresseur qui s’en prend de manière perverse et arbitraire aux habitants de Gaza – ces résidents dont les chefs terroristes ont soigneusement veillé à ce qu’ils se trouvent en péril en permanence.
La présentation, par le groupe terroriste, de forces israéliennes qui auraient cyniquement abattu des habitants en quête désespérée de denrées alimentaires, cette semaine, a été l’une des nombreuses victoires tragiques du Hamas sur le deuxième champ de bataille – la guerre pour la légitimité et le soutien public, diplomatique et juridique au niveau mondial. C’est un front sur lequel Israël a, pendant des décennies, tout simplement refusé de se déployer – refusant de lui allouer des ressources, refusant d’embaucher et de former du personnel qualifié, refusant de formuler une approche stratégique – mais jamais ces refus n’ont eu de conséquences aussi terribles et aussi durables que depuis le 7 octobre 2023.
Difficile de dire avec certitude qui a tué les 61 habitants de Gaza qui, selon le Hamas, ont perdu la vie cette semaine au centre humanitaire de Rafah et à ses abords. Il n’est pas non plus certain que 61 habitants de Gaza aient ainsi trouvé la mort. Et il est également difficile de dire avec certitude qui étaient les victimes. Étaient-elles des hommes, des femmes, des enfants non-combattants ? Étaient-elles des terroristes du Hamas ou autres tireurs abattus dans le secteur ou ailleurs ? Ces personnes ont-elles essuyé des tirs émanant d’hommes armés du Hamas ? (Il a été signalé que le Hamas a mis en place des points de contrôle et qu’il a essayé d’empêcher les résidents de Gaza d’atteindre les centres de distribution d’aides humanitaires. Dimanche, l’armée a diffusé des images qui montraient des hommes armés en train d’ouvrir le feu en direction de résidents de la bande qui cherchaient à récupérer de l’assistance qui avait été pillée à Khan Younès).

Il devrait être clairement établi, toutefois, qu’Israël n’a aucun intérêt à ouvrir délibérément le feu sur des non-combattants qui, à Gaza, s’approchent d’un centre d’aide qui a été mis en place avec le soutien d’Israël et des États-Unis. Le Hamas, en revanche, a tout intérêt à faire échouer ce projet d’assistance humanitaire, un projet qui menace sa mainmise sur l’aide à Gaza et qui constitue une alternative aux camions qu’il réquisitionne régulièrement, dont il utilise les contenus pour soutenir et pour nourrir ses hommes, des contenus qu’il vend aussi à des Gazaouis réduits à l’impuissance dans le but de financer ses efforts de recrutement, pour mieux relever la tête. Le problème, c’est qu’Israël ne dispose pas des mécanismes nécessaires pour révéler ces faits au monde de la manière la plus nette possible.
Defrin, qui vient d’être nommé à un poste dont son prédécesseur Daniel Hagari, très efficace, avait été pratiquement limogé, a défendu l’incapacité de l’armée israélienne à répondre en temps réel aux accusations quotidiennes de massacres israéliens telles qu’elles sont formulées par le Hamas, des accusations qui font la Une des journaux internationaux, en soulignant que l’armée israélienne devra mener une enquête approfondie avant d’apporter des réponses spécifiques à des accusations extrêmement délicates. Tsahal a en effet perdu toute crédibilité en donnant des réponses précipitées que les militaires ont été ensuite dans l’obligation de corriger concernant certains incidents – comme cela avait été le cas lors de la mort de médecins qui se trouvaient dans un convoi dans le sud de Gaza, au mois de mars dernier.
Un mécanisme civil de diplomatie publique efficace serait au moins capable d’expliquer rapidement le contexte dans lequel les accusations – et autres contre-accusations – sont lancées. Sauf qu’Israël refuse de doter une telle hiérarchie d’une mission et d’un personnel adéquats. Selon l’ancien chef de la direction de la diplomatie publique au sein du cabinet du Premier ministre, Gadi Ezra, qui a quitté son poste lorsque le gouvernement actuel est entré en fonction, le cabinet n’a pas consacré une seule réunion à une discussion portant sur une possible stratégie de diplomatie publique. Des centaines de millions de shekels ont récemment été alloués au ministère des Affaires étrangères pour une sorte de salle de presse ; cette dernière ne fournit néanmoins aucune sorte de réponse en temps réel aux événements qui sont actuellement en cours.
Le défaitisme officiel israélien – et c’est bien de défaitisme qu’il s’agit – dans la bataille pour l’opinion mondiale est impardonnable. Une diplomatie publique compétente ne ferait pas changer le cap d’un côté à l’autre. Elle l’orienterait au minimum et elle apporterait à tous ceux qui sont prêts à se pencher sur les causes et sur les effets de ce conflit une base pour pouvoir le faire.
L’extrémisme politique
Les jugements globaux sur le Bien et le Mal, sur l’agresseur et la victime, sont également influencés par la politique qui régit la conduite de la guerre.
Tsahal a annoncé chercher à élargir son emprise sur Gaza à 75 % du territoire au cours des prochaines semaines et vouloir repousser les habitants de Gaza dans des secteurs limités, essentiellement côtiers – au centre et au nord de la bande. Mais le chef d’état-major de l’armée israélienne, Eyal Zamir, a également dit que la guerre devait être aussi courte que possible pour remporter la victoire dont il a défini les objectifs, la semaine dernière : le retour des otages, la défaite du Hamas et le démantèlement de sa gouvernance tant civile que militaire. Il ne s’agit nullement d’une « guerre sans fin », a-t-il insisté.
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu, de son côté, affirme que la guerre ne prendra pas fin tant que le projet du président américain Donald Trump de reloger tous les habitants de Gaza n’aura pas été mis en œuvre. Les ministres d’extrême droite Bezalel Smotrich et Itamar Ben Gvir sont manifestement déterminés à ce qu’Israël réoccupe et réinstalle une présence permanente dans une bande de Gaza vidée de sa population palestinienne.

Une enquête initiale de Tsahal concernant les tirs survenus dans la journée de mardi aurait révélé que les Palestiniens qui se rendaient au centre d’aide se sont « égarés » alors qu’ils se dirigeaient vers le point de distribution, qu’ils se sont approchés des soldats et qu’ils ont essuyé des coups de feu alors qu’ils ne battaient pas en retraite. D’autres indications – certaines ont été confirmées lors de briefings militaires – indiquent que les soldats ont ouvert le feu, cette semaine, en direction de « suspects » – ce sont les mots de l’armée – qui avançaient vers le centre qui n’avait pas encore ouvert ses portes et qui (ou qui) s’en approchaient depuis l’extérieur de l’itinéraire sécurisé qui a été mis en place. Bien sûr, Gaza est une zone de guerre, et les soldats ont la tâche extrêmement complexe de protéger les centres de distribution d’aide contre les attaques meurtrières du Hamas, de protéger les destinataires de l’assistance des assauts du groupe terroriste et d’assurer la sécurité de leurs propres troupes – quatre ont été tués par le Hamas, cette semaine, au sein de l’enclave côtière.
Il serait plus facile de faire la part des choses à ce moment particulier de la guerre si l’armée permettait aux journalistes indépendants d’avoir accès à cette nouvelle opération d’aide humanitaire. Mais, comme cela a été le cas tout au long de ce conflit, les militaires estiment qu’ils ont plus à perdre avec le risque que des journalistes de guerre locaux ou internationaux soient tués ou blessés à Gaza qu’ils n’ont à gagner en autorisant la présence de professionnels indépendants des médias sur place.
En refusant d’autoriser cet accès, en ne fournissant pas d’informations détaillées en temps réel ni de contexte sur des événements meurtriers qui évoluent rapidement, avec des réponses inadéquates minées par les objectifs politiques extrémistes de ses propres ministres sur la question de Gaza, Israël échoue sur ce deuxième front – et il manque à ses obligations à l’égard de ses soutiens – alors même que le pays continue à lutter pour éliminer la menace du Hamas sur le premier.
Mercredi, la Fédération Humanitaire de Gaza a suspendu ses opérations pour la journée, afin de permettre une révision logistique visant à garantir qu’elle sera en capacité de prendre en charge des foules plus importantes que prévu et pour coordonner des procédures de sécurité plus efficaces avec Tsahal – avec pour principal objectif d’empêcher que des incidents tels que ceux survenus cette semaine puissent se reproduire.
Il faudra toutefois bien plus qu’une journée pour ressusciter la diplomatie publique d’Israël, et il n’y a absolument aucun signe laissant penser que le gouvernement a réellement l’intention de s’engager dans un tel effort.
Pire encore, dans cette terrible guerre déclenchée par le Hamas, la cause et la légitimité d’Israël sont continuellement et profondément affectées par les objectifs de déplacement et d’occupation de Gaza des deux partis de la coalition dont l’agenda domine la politique gouvernementale.
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