Réaction des experts suite à la hausse du taux directeur de la Banque d’Israël
Citant une inflation plus élevée et une "belle" croissance économique, la banque centrale a élevé lundi son taux directeur au mois de novembre à 0,25 %
La décision prise par la Banque d’Israël de relever son taux directeur pour la première fois depuis 2011, a surpris les investisseurs, les économistes et les marchés financiers. Les analystes estiment que ce n’était pas le moment, notamment parce que la décision a été prise par la Commission monétaire de la banque centrale alors qu’un nouveau gouverneur va entrer en fonction incessamment sous peu.
« Pourquoi cette précipitation ? » s’est interrogé Yaniv Pagot, un économiste et chef de la stratégie du groupe Ayalon, un investisseur institutionnel. « On se croirait dans [le proverbe] ‘quand le chat n’est pas là, les souris dansent’. Il n’y avait pas de gouverneur, donc ils se sont dit ‘on va s’approprier le processus' ».
Evoquant l’inflation et la croissance économique et le plein-emploi, la banque centrale israélienne a relevé son taux directeur pour la première fois depuis 2011, le portant de 0,15 point de pourcentage à 0,25 %, après l’avoir maintenu à 0,1 depuis 2015.
La décision a été prise par le comité monétaire de la banque, dirigé par la vice-gouverneur Nadine Baudot-Trajtenberg, qui exerce actuellement les fonctions de chef de la banque centrale. Le nouveau gouverneur de la Banque d’Israël, Amir Yaron, prendra ses fonctions le 24 décembre.

« Nous sommes arrivés à la conclusion que les conditions pour une augmentation des taux sont réunies », a déclaré Nadine Baudot-Trajtenberg dans une vidéo en hébreu publiée par la Banque d’Israël sur YouTube. « C’est une hausse légère », a-t-elle dit, « mais significative », parce qu’elle survient après 4 ans sans changements à 0,1 %.
Le taux d’inflation est déjà revenu à l’intérieur de la fourchette cible de 1 % à 3 % fixée par la banque centrale, l’économie, même si elle enregistre une « croissance très modérée » au cours des deux derniers trimestres, elle évolue « à une rythme satisfaisant ».
« Après une augmentation continue depuis le début de l’année 2018, le taux d’inflation se stabilise légèrement au dessous de la tranche inférieure de la fourchette cible et devrait rester dans cette cible dans les mois à venir », a déclaré la banque centrale dans un communiqué pour expliquer sa décision.
L’inflation annuelle était à 1,2 % en octobre, et « les projections sur un an et les prévisions de différentes sources tournent autour de 1 % », a indiqué la bande dans son communiqué.
Les projections à moyen-terme restent ancrées dans les fourchettes-cibles, indique le communiqué. « La hausse des salaires dans l’économie et la politique fiscale expansionniste soutiendra cet ancrage continu de l’inflation dans la cible. Le risque principal est une forte appréciation du shekel. »
Le communiqué indique que même si durant le deuxième et troisième trimestre, il y a eu un ralentissement dans la croissance économique, « les indicateurs actuels de l’activité soutiennent l’évaluation que l’économie connaît le plein-emploi et en particulier, que les données du marché indiquent un haut niveau de demande. »
Baudot-Trajtenberg a déclaré que la commission était bien consciente que la décision a été prise sans la présence d’un gouverneur, mais que cette décision a été prise après des analyses des données et de l’économie.
« La commission monétaire est bien consciente que nous sommes en phase de transition », a-t-elle dit dans cette vidéo. « Nous en avons discuté », précise-t-elle. « Mais, comme pour toutes les autres décisions, les membres de la commission monétaire ont estimé que les décisions doivent être prises sur la base des analyses de données et de l’économie. »
Pourquoi élever le taux maintenant ?
La Banque d’Israël, comme toutes les banques centrales du monde, est accusée de privilégier la stabilité des prix au détriment de l’économie, et contrôle donc l’inflation, pour permettre de créer un environnement commercial qui contribue à la croissance économique. La banque centrale soutient également les autres objectifs des politiques économiques du gouvernement, notamment la croissance économique, le plein-emploi, la réduction des disparités sociales et le soutien à la stabilité des systèmes financiers.
La stabilité des prix est définie en terme d’objectif d’inflation que le gouvernement a fixé depuis 1992. L’objectif des politiques monétaires de la banque centrale est d’atteindre cette cible. Pour atteindre cet objectif d’inflation, la Banque d’Israël fixe les niveaux des taux d’intérêts à court terme. Un niveau trop bas conduit à des tensions inflationnistes – et à une augmentation des prix, tandis qu’un taux trop élevé conduit à une retenue excessive de la stabilité économique.
Depuis la crise financière de 2008, considérée comme la pire depuis la grande dépression des années 1990, les banques centrales du monde entier, y compris la banque d’Israël, ont drastiquement réduit ses taux pour doper leurs croissances économiques. Si les taux sont bas, cela signifie qu’emprunter de l’argent revient moins cher. Cela permet aux particuliers et aux entreprises d’emprunter plus d’argent – à des taux plus bas – et à investir en bourse, ou dans l’immobilier, ou en matériel pour leurs entreprises. Cela a un effet ricochet, où l’augmentation des dépenses contribue à la croissance économique.
Depuis la dernière augmentation de 2011 en Israël, les taux ont chuté à un niveau record de 0,1 % en 2015, et sont restés à ce niveau jusqu’à cette décision. D’autres banques centrales ont également augmenté leurs taux, parce que les économies sortent peu à peu de la crise. Aux Etats-Unis, la réserve fédérale augmente ses taux depuis 2015.
La banque centrale israélienne estime que le renforcement de l’économie israélienne et le fait que l’inflation soit dans sa fourchette cible justifient la hausse.
Qui profitera de la hausse ? Qui en souffrira ?
Les banques israéliennes et les institutions financières seront les principaux bénéficiaires de cette hausse du taux d’intérêt, parce qu’elles gagneront de l’argent à prêter de l’argent.
Les clients qui ont de l’argent dans des comptes épargne en banque bénéficieront également de la hausse des taux d’intérêts sur leurs capitaux.
En revanche, ceux qui doivent emprunter de l’argent, particuliers ou entreprise, devront désormais payer plus d’intérêt sur les emprunts qu’ils ont contracté, mais la décision impactera principalement les industries très endettées, comme les sociétés de constructions ou les compagnies de holding.

« La hausse du taux n’est pas dramatique, mais elle pourrait le devenir si la tendance se poursuit », a expliqué Pagot, du groupe Ayalon au téléphone. « Elle rend les personnes endettées encore plus vulnérables. Les compagnies et les consommateurs ont oublié ce que cela signifie de payer des intérêts conséquents sur leurs dettes. »
En effet, les actions des sociétés immobilières et des compagnies de holding, qui sont lourdement endettées, ont chuté lundi, après l’annonce sur l’augmentation des taux, alors que celles des banques ont grimpé. Le shekel, qui avait baissé de 3,2 % face au dollar depuis la dernière décision sur les taux, a augmenté de 0,5 % à 3,7120 par dollar après l’annonce.
Une tendance à des taux d’intérêt plus élevés pourrait également entraîner une hausse du shekel, ce qui pourrait avoir en conséquence un impact négatif sur les exportations israéliennes.
Les taux d’intérêt augmenteront également pour les individus ayant des prêts en suspens ou voulant en contracter d’autres, ainsi que les détenteurs d’hypothèques, les taux de remboursement pouvant être revus à la hausse selon la catégorie de l’emprunt réalisé.
Cette augmentation est mineure et elle ne devrait pas affecter les finances des entreprises ou des ménages, a estimé Meitav Dash Brokerage dans une note aux investisseurs. Mais cela pourrait changer si les marchés identifient cette hausse comme une « tendance ». Les taux à longs-termes seraient alors susceptibles, eux aussi, de croître, est-il écrit dans la note. Les taux hypothécaires augmentaient déjà pour leur part avant même la hausse de celui de la banque centrale.
« Des taux hypothécaires plus élevés ajouteront un ralentissement sur le marché de l’immobilier et ils vont peser sur l’économie toute entière, ajoutant de l’huile sur le feu », a déclaré Amir Kahanovich,économiste en chef de la Phoenix Insurance Company Ltd. dans un rapport.
Manque de visibilité
Seuls deux des économistes interrogés par Reuters – sur 12 – avaient prévu une augmentation du taux tandis que les dix autres avaient estimé qu’il ne changerait pas.
Ce qui a rendu la décision d’autant plus surprenante, a déclaré Gil Bufman, économiste en chef de la Bank Leumi Le-Israel Ltd. dans un courriel adressé aux investisseurs, est que lors de la dernière décision prise sur les taux, les économistes de la banque centrale avaient revu leurs attentes d’une hausse des taux – disant qu’ils pensaient qu’elle aurait lieu lors du premier trimestre de 2019 et non lors du dernier trimestre de 2018 au vu de l’inflation qui s’annonçait moins forte que prévu.

« Depuis la dernière décision, au début du mois d’octobre, les prévisions d’inflation ont légèrement décliné, le prix du pétrole s’est effondré d’environ 30 % et les données de croissance du troisième trimestre de l’année ont été légèrement plus basses que prévu – le timing de cette hausse des taux d’intérêt est donc quelque peu déconcertant », a-t-il écrit.
« De manière assez surprenante, les raisons citées par la banque pour justifier la hausse des taux sont les mêmes qu’elle a pu utiliser dans le passé pour ne pas le faire », et en particulier le fait que l’inflation est au bas de la fourchette-cible, a écrit le chef du département d’économie et de recherche à Harel Insurance & Finance dans une note. Et même ainsi, dit-il, il ne perçoit pas cette hausse comme un changement de direction.
« La banque centrale ne va pas se précipiter » pour élever les taux dans les prochains mois, en raison de la croissance économique ralentie enregistrée lors des deux derniers trimestres, un déclin prévu dans la croissance économique mondiale et la chute des prix du pétrole. Il a expliqué qu’il s’attendait seulement à une ou deux augmentations des taux en 2019.
Pagot d’Ayalon a noté que la gestion des attentes, par la Banque centrale, était « inacceptable. Il n’y a pas de visibilité en ce qui concerne la politique monétaire » contrairement à l’Europe et aux Etats-Unis, où les banques centrales préparent le marché en avance de leurs politiques, – ainsi, « personne n’est surpris ».
Cette visibilité est encore plus remise en question alors que le nouveau gouverneur de la banque centrale va prendre ses fonctions à la fin du mois, a-t-il estimé.
« Il est une boîte noire pour le marché et nous ignorons quelles seront ses politiques monétaires », a-t-il déploré.