Réfugiés en Moldavie, les Juifs ukrainiens attendent impatiemment la fin de la guerre
Les Juifs locaux disent que des milliers de leurs coreligionnaires sont arrivés d'Ukraine après avoir fui l'invasion russe et on trouvé refuge dans les synagogues

CHISINAU, Moldavie (JTA) — Une mère berce son enfant. Un vieil homme s’agrippe à un grand sac en plastique dans lequel il a entassé toutes les affaires qu’il pouvait y mettre. Les enfants en âge de comprendre ce qui se passe se taisent, ceux qui ne le sont pas tirent doucement sur le manteau de leurs grands-mères.
C’est l’une des scènes de l’exode des juifs d’Ukraine.
Les couloirs exigus et les cages d’escalier sales des quelques synagogues et centres communautaires appartenant à la communauté juive de la Moldavie voisine de l’Ukraine ont été calmes cette semaine – mais pas parce qu’elles étaient vides, bien au contraire. Les femmes sont assises, stupéfaites, alors qu’elles intègrent pour la première fois, l’idée qu’elles sont devenues des réfugiées. Les adolescents envoient des textos à leurs pères et frères pour avoir des nouvelles du front.
Depuis que la Russie a envahi l’Ukraine, plus d’un million de personnes sont devenues des réfugiés, selon le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés. Environ 100 000 personnes se sont déjà en Moldavie, le pays le plus pauvre d’Europe, qui borde l’Ukraine au sud.
Parmi ceux qui quittent l’Ukraine, il y a des milliers de Juifs, et beaucoup ont demandé l’aide de la communauté juive de Moldavie. Les Juifs locaux disent avoir vu passer des milliers de Juifs ukrainiens cherchant de l’aide, un abri et des conseils alors qu’ils planifiaient leurs prochains déménagements. Plusieurs milliers d’autres sont attendus ; on compte environ 15 000 Ukrainiens qui affluent chaque jour.
Jeudi, Katerina Starchenko, 70 ans, s’est assise dans le coin d’une salle d’étude de l’une des quatre principales synagogues de la capitale Chisinau – la Sinagoga Sticlarilor, ou synagogue des verriers, qui a été érigée au XIXe siècle et est maintenant dirigée par le mouvement hassidique Habad-Loubavitch. Il lui a fallu deux jours pour rejoindre la Moldavie depuis son domicile de la ville industrielle de Kryvyi Rih, dans le centre de l’Ukraine.
« C’était effrayant », a-t-elle déclaré. « La route n’était pas facile et nous devions constamment nous arrêter à des points de contrôle sur la route où il y avait des hommes armés. Cela m’a rendu très nerveuse. »
Starchenko était conduite par son fils de 33 ans, accompagné de sa femme et de sa fille. L’Ukraine ayant interdit aux hommes en âge de combattre (18-60 ans) de quitter le pays, il les a donc laissés à la frontière moldave et a fait demi-tour. « Il est retourné se battre », a-t-elle déclaré.

Comme beaucoup d’Ukrainiens, elle n’était pas préparée à la guerre. « Il semblait ridicule de penser que la Russie déciderait d’envahir l’Ukraine », a-t-elle dit.
« J’ai déjà 70 ans », dit-elle, « mais mes enfants et petits-enfants sont jeunes. Ils ne méritent pas ça. »
Non loin d’elle, se trouvent un sac à dos et un chariot décoré de tournesols dans lesquels elle a rangé quelques vêtements et souvenirs. Elle va payer 150 euros par personne pour sa belle-fille, sa petite-fille et elle-même pour se rendre en voiture en Italie, où se trouve une autre de ses filles.
« Je ne pense pas que je rentrerai à la maison de si tôt », a-t-elle déclaré en mettant sa main sur sa joue.
La Moldavie, qui n’est ni membre de l’OTAN ni de l’Union européenne, est le plus fragile des voisins occidentaux de l’Ukraine, avec un système de santé sous-équipé qui a été mis à mal par la pandémie de COVID-19. Mais depuis le début des combats en Ukraine, la société moldave s’est mobilisée pour soutenir l’afflux d’Ukrainiens.
« Nous pouvons maintenant dire que des milliers de personnes sont passées par ici », a déclaré Lea Gotsel, 23 ans, épouse de l’un des rabbins de Sinagoga Sticlarilor, alors qu’elle se tenait entourée de réfugiés en train de manger un couscous et des restes de matzah.
Les quatre synagogues de la ville sont dirigées par divers groupes orthodoxes qui n’ont souvent pas de rabbins à plein temps ; les organisations envoient des rabbins des États-Unis et d’Israël, qui restent souvent plusieurs années, au service de la communauté qui compte entre 5 000 à 20 000 personnes, selon la façon dont on décompte les personnes d’origine juive. D’ordinaire, moins de 5 000 personnes fréquentent la synagogue.
Il est peu probable que la plupart des Ukrainiens qui arrivent en Moldavie y resteront. On estime qu’environ 40 000 sont déjà partis pour la Roumanie voisine d’où ils auraient commencé à se disperser à travers l’Europe.
« La plupart de ceux qui sont venus ici vont plus loin en Roumanie, en Allemagne, en Israël, en Pologne », a déclaré Gotsel, « mais il y en a qui restent plus longtemps et espèrent pouvoir rentrer chez eux bientôt ».
Dans la pièce voisine, son mari faisait les cent pas tout en regardant son téléphone avec les sourcils froncés. Il essayait d’aider une jeune femme paniquée à rejoindre sa mère en Israël, mais elle avait laissé tous ses papiers en Ukraine.
« Dites à votre mère de vous envoyer une photo de son passeport israélien », disait-il.
Pratiquement toutes les personnes qui ont franchi les portes de la synagogue, située dans une ruelle de Chisinau, sont juives.
« Tout le monde va là où il pense qu’il recevra de l’aide en premier, et la plupart des Juifs pensent que cet endroit est la synagogue », a déclaré Gotsel. « Nous essayons de leur trouver des logements. Nous essayons de trouver de l’argent pour ceux qui n’en ont pas. On essaie de leur donner de la nourriture et des conseils. »
La nuit précédente, la synagogue a été informée de l’arrivée d’un bus rempli d’orphelins qui avaient été évacués d’Odessa.

« Nous avons organisé quelque chose pour qu’ils aient un endroit agréable où venir », a déclaré Gotsel. « Nous avons essayé de créer quelque chose de normal pour eux, alors l’un des rabbins est allé dans la salle des mariages et leur a dit qu’il y avait un orphelinat qui arrivait et leur a demandé s’ils pouvaient mettre en place un endroit où nous pourrions leur apporter de la nourriture. »
La Russie a affirmé que son assaut contre l’Ukraine faisait partie d’un effort visant à « dénazifier » l’Ukraine. Mais l’image que la Russie dépeint de l’Ukraine – dont le président, Volodymyr Zelensky, est Juif – n’est pas celle décrite par les milliers de Juifs qui ont fui leur pays.
Natalia Bilokonenko, 52 ans, s’était réfugiée dans un parking souterrain contre les attaques de missiles russes sur Kiev lorsqu’elle a décidé qu’elle devait faire partir sa fille de sept ans.
« Je pensais que nous pouvions rester », a-t-elle dit, « mais les combats dans les quartiers autour de Kiev ont commencé à s’aggraver et à ce moment-là, j’ai pris peur. J’ai reçu un message à 2 heures du matin disant qu’il allait y avoir un groupe de personnes qui partiraient ce matin-là et j’ai donc décidé de prendre ma fille et de partir. »
Elles sont montées à bord d’un bus mis à disposition par la communauté juive de la ville conjointement avec le gouvernement israélien et sont parties pour la Moldavie. À leur arrivée, on lui a dit que le bus immatriculé en Pologne n’allait pas être autorisé à entrer en Moldavie et qu’elle devrait se débrouiller pour rejoindre Chisinau. Elle est entrée en contact avec le centre Habad en Moldavie, qui lui a dit qu’ils l’aideraient à payer une voiture si elle pouvait en trouver une.
Sa fille jouait avec un jouet qu’elle avait emporté de chez elle, avant qu’il ne tombe près d’un chien qui gémissait à côté de son propriétaire endormi. Elle a alors décidé qu’il était temps de reprendre la main de sa mère.
Le fils et l’ex-mari de Bilokonenko se battent. Pendant qu’elle parlait, son téléphone sonnait constamment.
« Je suis en contact permanent avec lui », a-t-elle déclaré à propos de son fils. « Je suis médecin, et généralement en tant que médecin, vous apprenez à contrôler vos émotions, mais je suis tellement inquiète pour lui. »
« Il dit qu’il est en sécurité », a-t-elle dit alors que ses yeux commençaient à rougir.
Elle va emmener sa fille en Italie, où elle a un ami chez qui elle pourra rester.
« Je veux dire une chose à propos de l’Ukraine », a-t-elle déclaré. « La nation ukrainienne est très forte d’esprit et nous nous battrons jusqu’au bout. »
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.

Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel