Rencontre avec George Deek, un envoyé d’Israël en Azerbaïdjan pas comme les autres
Lorsqu'il a débuté en 2019, George Deek était le premier Arabe chrétien à représenter l'État juif ; son pays d'accueil sera désormais le premier État chiite à ouvrir une ambassade en Israël
BAKOU, Azerbaïdjan – À une époque où la guerre de l’ombre entre Jérusalem et Téhéran risque de sortir de l’ombre, l’Azerbaïdjan, voisin de l’Iran au nord, améliore ses relations avec l’État juif.
Fin décembre, l’Azerbaïdjan – qui entretient déjà des liens très étroits avec Israël en matière de sécurité – a annoncé la nomination de son tout premier ambassadeur en Israël, un peu plus d’un mois après que le Parlement azéri a voté l’ouverture d’une ambassade à Tel Aviv en 2023. Le poste sera occupé par le vice-ministre azerbaïdjanais de l’Éducation, Mukhtar Mammadov. L’Azerbaïdjan est le premier pays musulman chiite à prendre une mesure aussi historique.
« Nous attachons une importance particulière aux relations entre l’Azerbaïdjan et Israël », a déclaré le président azerbaïdjanais de longue date, Ilham Aliyev, dans une lettre adressée au Premier ministre Benjamin Netanyahu, parallèlement à cette annonce.
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De nombreuses personnes dans les deux pays affirment que l’ouverture de l’ambassade azerbaïdjanaise est attendue depuis longtemps, compte tenu de l’étendue des relations bilatérales et du soutien indéfectible d’Israël à l’Azerbaïdjan dans le conflit qui l’oppose depuis longtemps à son voisin et ennemi juré, l’Arménie.
L’État juif – où vivent aujourd’hui quelque 50 000 à 70 000 anciens Juifs azéris – reste également l’un des principaux fournisseurs d’armes de l’Azerbaïdjan. Ce n’est un secret pour personne qu’Israël, par le biais de drones et d’intelligence artificielle, aide au déminage de la région du Karabagh, où les Arméniens ont placé environ un million de mines avant la guerre de 2020.
Pris en sandwich entre la Russie et la Géorgie au nord et l’Iran au sud, avec l’Arménie à l’ouest et la mer Caspienne à l’est, l’Azerbaïdjan se trouve dans une région complexe à l’histoire profondément enracinée. Il compte 10 millions d’habitants, dont 8 000 à 20 000 Juifs, ce qui en fait l’une des plus grandes communautés juives du monde musulman. (Les chiffres exacts de la communauté juive sont difficiles à déterminer, car de nombreux Juifs azéris vivent à l’étranger, en Russie ou en Israël, à temps partiel).
Contrairement à leurs homologues d’autres communautés de la Diaspora, les Juifs de ce pays riche en pétrole et laïc n’ont jamais connu l’hostilité ou la persécution. Aujourd’hui, ils continuent à vivre sans craindre l’antisémitisme ou des menaces pour leur sécurité, comme en témoigne l’absence totale de mesures de sécurité dans leurs synagogues, leurs écoles et autres institutions communautaires. Les dirigeants juifs locaux insistent sur le fait qu’une telle protection est inutile dans l’ancienne république soviétique.
Mais le pays fait également l’objet de vives critiques sur la scène internationale pour son manque de libertés démocratiques, sur fond d’allégations d’abus des droits de l’Homme et de censure des médias. La famille autoritaire Aliyev dirige le pays depuis 1993, et le président actuel, Ilham Aliyev, a succédé à son père, Heydar Aliyev, après la mort de ce dernier en 2003, lors d’une élection largement considérée comme frauduleuse.
L’Azerbaïdjan est classé 9/100 dans l’indice de démocratie de Freedom House, soit 10 places de moins que la Russie, qui est classée 19/100 dans le même indice, et Reporters sans frontières place le pays presque en bas de sa liste pour la liberté des médias, soit 154/180, juste une place au-dessus de la Russie.
Dans le pays, Israël est critiqué par sa communauté arménienne, forte de
5 000 à 6 000 membres, pour ses relations étroites avec l’Azerbaïdjan, ainsi que pour son refus de reconnaître officiellement le génocide arménien perpétré par les Turcs en 1915 et 1916.
Néanmoins, l’ambassadeur d’Israël en Azerbaïdjan, George Deek, a chaleureusement accueilli la décision de son pays d’accueil d’améliorer ses relations diplomatiques avec Jérusalem, surtout à un moment où le commerce bilatéral, le tourisme et les liens culturels et scientifiques se développent. Il est important de noter que, pendant de nombreuses années, Bakou a fourni à Israël environ 40 % de ses besoins en pétrole.
Lorsqu’il a pris ses fonctions actuelles en 2019, George Deek, aujourd’hui âgé de 38 ans, était le plus jeune et le premier ambassadeur arabe chrétien d’Israël. Notant qu’il est le diplomate israélien situé le plus près de Téhéran, Deek est fier de la position positive d’Israël en Azerbaïdjan, citant une enquête commandée par son ambassade au printemps dernier qui montre que plus de 70 % des personnes interrogées ont déclaré avoir une opinion très ou assez favorable d’Israël.
Mais la proximité de Téhéran n’est pas sans danger : l’été dernier, l’ambassadeur d’Iran à Bakou a publiquement menacé « d’enterrer » l’ambassadeur d’Israël.
Né à Jaffa, Deek a été avocat à Tel Aviv, spécialisé dans le droit international, avant de rejoindre le service extérieur israélien en 2008. Il a été une voix défendant Israël à l’étranger en hébreu, en arabe et en anglais, en commençant par sa première affectation à l’étranger en tant que chef-adjoint de mission au Nigeria de 2009 à 2012. Il a ensuite été ambassadeur-adjoint en Norvège de 2012 à 2015, puis conseiller auprès du directeur-général du ministère israélien des Affaires étrangères.
S’exprimant dans son bureau au septième étage de l’ambassade d’Israël situé à côté de l’hôtel Hyatt Regency à Bakou, Deek a déclaré au Times of Israel que l’importance de sa mission diplomatique allait au-delà de sa valeur symbolique.
« Si vous n’avez pas d’ambassade sur le terrain, cela limite ce que vous pouvez réaliser et le niveau d’engagement », a déclaré Deek.
Cette interview a été modifiée par souci de clarté et de longueur.
Le Times of Israel : Lorsque vous rencontrez des Azéris et qu’ils découvrent que vous êtes un Arabe chrétien, quel genre de réactions obtenez-vous ?
George Deek : Naturellement, c’est surprenant et déroutant pour la plupart des Azéris. L’effet de surprise est excellent pour m’aider à expliquer la diversité de la société israélienne. Mais franchement, à ce stade, j’ai arrêté de les corriger parce que cela devient fatigant. C’est toujours drôle quand, le 24 décembre, ils me souhaitent un bon Hanoukka plutôt qu’un joyeux Noël.
En tant que chrétien israélien, quel est votre point de vue sur la communauté arménienne – qui se compose principalement d’autres Israéliens chrétiens – et sur les défis auxquels elle est confrontée en Israël, tant en ce qui concerne la relation Jérusalem-Bakou que d’autres questions non-liées ?
J’éprouve une profonde sympathie pour la communauté arménienne en Israël, et plus particulièrement à Jaffa, où j’ai grandi. Nous partageons la même foi et de nombreuses traditions culturelles. Beaucoup de mes amis de l’école et des mouvements de jeunesse sont arméniens. J’ai eu des professeurs arméniens qui m’ont beaucoup influencé, et je les considère comme des amis proches.
En tant qu’Arabe et Israélien, je suis toujours profondément frustré lorsque je vois les autres traiter le conflit israélo-arabe comme un jeu où il n’y a ni gagnant, ni perdant, où il faudrait choisir son camp. Je sais qu’il y a de vraies personnes avec de vraies vies ici, ce n’est pas un jeu.
C’est pourquoi je suis également très attristé lorsqu’une telle approche est appliquée au conflit dans le Caucase du Sud. Il ne s’agit pas d’un jeu à somme nulle, et le fait de vouloir améliorer les relations entre Israël et l’Azerbaïdjan n’est dirigé contre personne. Au contraire, nous souhaitons voir le jour où les enfants arméniens et azerbaïdjanais jouiront à nouveau de la paix et de la prospérité en vivant côte à côte comme de bons voisins.
Comment les Azéris ont-ils réagi à l’annonce de l’ouverture d’une ambassade en Israël ?
La réaction du public en Azerbaïdjan, à une telle décision historique, a été extrêmement positive, comme nous l’avions prévu. De hauts responsables politiques du pays m’ont dit que c’était la première fois qu’elles voyaient des réactions aussi émotionnelles à la décision d’ouvrir une ambassade. Selon un sondage, une majorité écrasante de la population – 80 % pour être exact – a soutenu la résolution de l’Assemblée nationale. Je pense que les Azéris ont également estimé que cette décision était attendue depuis longtemps.
Les relations bilatérales entre Israël et l’Azerbaïdjan ont-elles changé au cours des cinq dernières années ?
Nos relations ont évolué, passant d’une relation de gouvernement à gouvernement à une relation de peuple à peuple. Si, par le passé, la plupart de nos relations étaient secrètes et axées sur la sécurité ou l’énergie, ces dernières années, nous avons complètement diversifié nos relations.
En 2016, seuls 10 000 touristes israéliens avaient visité l’Azerbaïdjan, alors qu’en 2019, ce nombre est passé à 50 000. La tendance était donc claire jusqu’à ce que la pandémie ne l’arrête. Aujourd’hui, les touristes commencent à revenir en grand nombre, avec davantage de vols réguliers entre Israël et l’Azerbaïdjan prévus pour les mois à venir, et nous constatons une augmentation similaire dans le commerce et les affaires économiques, dans les arts et la culture, et dans la sphère universitaire.
De votre point de vue, comment expliquez-vous l’absence d’antisémitisme en Azerbaïdjan ?
Les Azerbaïdjanais ont surtout vécu sous de grandes puissances, comme la Russie, et les empires perses entre autres. Ils savent donc ce que cela signifie d’être une minorité, d’être différent. Par conséquent, je pense qu’il est plus facile pour eux de se mettre à la place des minorités. Ils ont une mentalité de minorité, et c’est une très bonne chose. Cela s’ajoute à une histoire déjà bien établie de bonnes relations avec la communauté juive ici, qui a créé un terrain fertile pour la tolérance mutuelle et la coexistence amicale.
Pensez-vous que la plupart des Israéliens sont conscients du bilan de l’Azerbaïdjan concernant ses citoyens juifs ?
J’espère bien que oui. J’ai toujours dit à mes homologues azerbaïdjanais qu’en l’absence d’ambassade en Israël, il n’y a personne pour raconter leur histoire et expliquer ce qu’est l’Azerbaïdjan. J’espère que cela va changer avec la décision d’ouvrir l’ambassade. Ils auront enfin une représentation et une voix en Israël.
La plupart des non-Juifs azéris font peu – ou pas – de distinction entre les Juifs et les Israéliens. Comment cela se manifeste-t-il dans la société azérie ?
Les Azerbaïdjanais comprennent qu’Israël est un État juif, donc naturellement, pour eux, chaque Juif y a sa maison et un sentiment d’appartenance. Je pense, qu’étant donné que l’anti-sionisme « à l’occidentale » n’a heureusement pas atteint l’Azerbaïdjan, ils ne ressentent pas l’urgence de faire la différence entre l’État juif et le peuple juif.
C’est généralement un outil utilisé par ceux qui disent « je n’ai pas de problème avec les Juifs, j’ai un problème avec l’État juif ». Je ne dis pas qu’ils ne devraient pas faire la différence entre les Juifs et Israël – pour des questions de précision – mais seulement qu’il n’y avait pas de besoin pratique à cela parce qu’il n’y a ni antisémitisme ni anti-sionisme ici.
Pendant la guerre de 2020 entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie, vous avez visité un quartier résidentiel de la ville de Ganja – à quatre heures de route de Bakou – peu après qu’elle a été attaquée par des missiles arméniens, ce qui fait de vous le premier diplomate étranger à vous y rendre – en soutien. Qu’est-ce qui vous a poussé à aller si loin ?
En tant qu’Israélien, je sais ce que cela signifie de vivre en tant que civil essayant de mener une vie normale avec la peur que des roquettes vous tombent sur la tête, ou blessent votre famille et vos proches. Donc, instinctivement, je voulais y aller.
Avant même cette attaque, j’avais poussé notre gouvernement et obtenu qu’il fasse don de fournitures et d’équipements humanitaires pour les survivants qui avaient perdu leur maison lors de précédentes attaques de missiles arméniens.
Est-ce cette attaque en particulier qui vous a décidé, ou aviez-vous déjà décidé d’y aller ?
En réalité, j’ai pris ma décision un jour avant l’attaque majeure de missiles qui a frappé la ville le 17 octobre 2020. Ils sont tombés au milieu d’un quartier résidentiel, tuant de nombreux civils et en blessant beaucoup d’autres. Je ne voulais pas me contenter d’envoyer – de loin – des fournitures et des équipements humanitaires aux habitants. Je voulais rencontrer les gens en personne et leur dire à quel point nous compatissions avec eux en ces jours difficiles et leur exprimer nos condoléances pour les victimes.
Étiez-vous inquiet pour votre sécurité étant donné que la guerre faisait toujours rage ?
Bien sûr, j’avais peur. Sur notre chemin vers Ganja, nous entendions des informations faisant état de nouveaux tirs de missiles [depuis l’Arménie]. N’oubliez pas que là où nous allions, il n’y avait pas d’abris anti-bombes, nulle part où se cacher. Mais une fois que j’avais pris la décision d’y aller, rien d’autre n’a compté. Tout ce que je pouvais voir, c’était les gens et leur douleur.
En parlant avec eux sur les lieux de la destruction, dans les abris temporaires, dans les rues, j’ai entendu des histoires qui m’ont fait frissonner. Mais j’ai aussi vu de l’espoir, que les maisons détruites seraient reconstruites et que les personnes dont la vie avait été brisée étaient déterminées à s’en remettre. Cette force, cet espoir, m’ont donné la puissance et l’énergie nécessaires pour continuer.
Comment les Azéris ont-ils réagi ?
Les réactions ont été incroyables. Je ne l’avais pas vu venir. Aujourd’hui encore, les gens parlent de ma visite comme d’un tournant dans les relations entre nos deux pays, parce qu’Israël a montré que nous étions aux côtés de l’Azerbaïdjan au moment où il en avait besoin. Pour eux, c’était la preuve d’une véritable amitié. Ce fut un moment marquant de ma carrière diplomatique.
La photo de moi déposant les roses rouges sur les vestiges des bâtiments détruits par l’attaque de missiles est devenue emblématique et a même été reprise dans des clips vidéos de chansons écrites sur la guerre. Pour moi, ce moment sera toujours inoubliable.
Fin juillet, les médias ont largement rapporté que votre homologue iranien à Bakou vous a dénoncé publiquement comme un « sioniste maléfique » et a menacé (lien en hébreu) de vous « enterrer » après avoir posté une photo de vous sur Twitter en train de lire un livre intitulé « Mysterious Tales of Tabriz. » Ses menaces ont-elles eu un quelconque impact sur vous ?
L’Iran a prouvé qu’il était le premier pays à parrainer le terrorisme. Ils ont essayé sans relâche d’attaquer les Israéliens, directement ou par le biais de mandataires. Ces derniers mois, nous l’avons vu en Turquie et en Géorgie. Dans le passé, des informations faisaient état de tentatives contre des ambassadeurs et des diplomates israéliens, notamment à Bakou. Le fait est que c’est le genre de régime qu’ils sont, c’est ce qu’ils font. En tant qu’ambassadeur d’Israël, j’ai une tâche et une mission, et aucune menace ne me détournera de cette tâche. Je dois également féliciter le gouvernement azerbaïdjanais de prendre ces menaces, entre autres, très au sérieux.
L’auteur faisait partie d’une délégation de journalistes canadiens invités en Azerbaïdjan par le groupe de défense des droits basé à Toronto, le Network of Azerbaijani Canadians.
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