Saar : La proposition judiciaire vise à dépasser le refus opposé aux nominations de Levin à la Cour suprême
Une commission de la Knesset a débattu d'une loi de réforme judiciaire pour la toute première fois depuis le pogrom du 7 octobre ; Levin a affirmé que le plan diversifiera la Cour, l'opposition dit qu'il compromettra son indépendance
Jeremy Sharon est le correspondant du Times of Israel chargé des affaires juridiques et des implantations.

Le ministre des Affaires étrangères Gideon Saar a fait savoir mardi que la proposition qu’il a conjointement soumise avec le ministre de la Justice Yariv Levin – une proposition qui vise à modifier la composition et le fonctionnement de la commission de sélection des juges – était destinée à surmonter les difficultés rencontrées actuellement par Levin, qui s’efforce de faire nommer à la Cour suprême un juge conservateur. Il envisage, pour ce poste, de faire un choix entre deux universitaires qui lui sont proches idéologiquement.
S’exprimant devant la commission de la Constitution, du droit et de la justice de la Knesset, Saar a soutenu que l’incapacité du ministre de la Justice à faire élire à la Cour suprême « un juge – sur 15 magistrats – [qui partage] son idéologie du point de vue juridique » était à la fois « déraisonnable et illogique ». Il a ajouté que le refus opposé par les juges de la Cour suprême de désigner l’un des candidats qui ont été choisis par Levin pour siéger à leurs côtés rendait nécessaire la législation actuelle.
Les critiques de cette nouvelle proposition affirment qu’elle politisera le système judiciaire en accordant aux politiciens un pouvoir excessif sur le processus de nomination des magistrats à la Cour suprême, mettant ainsi en péril son indépendance et son professionnalisme, une accusation qui a été reprise avec encore plus de ferveur par les députés de l’opposition qui siègent à la commission et qui ont pris la parole après Saar. Israël n’a pas de constitution et son corps législatif est placé sous le contrôle de la coalition majoritaire, de sorte que l’indépendance du pouvoir judiciaire est le seul frein face aux éventuels abus du pouvoir exécutif.
De plus, l’ancienne présidente de la Cour suprême, Esther Hayut, a soutenu dans un discours prononcé lors d’une conférence que la proposition faite par Levin entrait dans le cadre du même programme « d’écrasement du système judiciaire » que celui qu’il avait cherché à promouvoir en 2023, et qu’elle porterait gravement atteinte à l’indépendance judiciaire tout en politisant l’autorité du système.
Cette audience a été la première, au sein de la commission, à être consacrée à une proposition liée au vaste plan de refonte radicale du système judiciaire depuis le pogrom qui avait été commis par le Hamas, le 7 octobre 2023, et depuis la guerre qui avait suivi. Saar et Levin ont assisté au débat en présence de nombreux députés issus de la coalition et de l’opposition, débat auquel ont aussi pris part des experts juridiques appartenant à des think-tanks libéraux et conservateurs.
La commission n’a pas délibéré sur les clauses spécifiques ou sur la formation du projet de loi réexaminé, choisissant plutôt de discuter de ses principes généraux et des réflexions avancées par chacune des parties sur le système judiciaire et sur les tribunaux israéliens.

Contrairement à la plupart des audiences sur la législation originale qui avaient pu avoir lieu au début de l’année 2023, la séance de mardi n’a pas été l’occasion d’entendre les cris et les échanges verbaux féroces qui avaient caractérisé ces débats dans le passé. Une seule députée, Naama Lazimi, qui appartient à la formation des Démocrates, a été expulsée de la salle par le vice-président de la commission, Yitzhak Pindrus, parce qu’elle interrompait les différents intervenants.
S’adressant à la commission, Levin a répété une critique qu’il a par ailleurs souvent émise – il reproche ainsi à la Cour suprême de ne pas être représentative de l’ensemble des convictions idéologiques des citoyens israéliens. Il lui a toutefois été rétorqué que d’anciens ministres de la Justice étaient parvenus à nommer un nombre non négligeable de juges conservateurs, y compris de droite, au sein de ce qui est la plus haute instance judiciaire du pays.
Le ministre de la Justice a insisté sur le fait qu’il avait apporté des « changements très importants » à son programme initial de refonte radicale du système judiciaire, tout en avertissant qu’il s’attendait à ce que « cette main tendue fasse face à une main tendue de l’autre côté ».
Le conseiller juridique de l’Administration des tribunaux israéliens a rejeté les affirmations faites par Levin lorsqu’il a laissé entendre que la nouvelle proposition était désormais équilibrée. Il a répondu au ministre de la Justice qu’il estimait, pour sa part, que le nouveau système politiserait le processus de sélection des magistrats et que, par conséquent, elle donnerait un caractère politique à l’autorité judiciaire elle-même, créant un système où les juges ambitieux rejoindraient des camps politiques dans l’objectif d’obtenir des promotions.
Selon les nouvelles propositions de Levin et de Saar, les deux représentants de l’Association du barreau israélien qui siègent actuellement à la commission de sélection des juges, qui est composée de neuf membres, seraient remplacés par deux confrères qui, cette fois, seraient nommés par la coalition au pouvoir d’un côté et par l’opposition de l’autre.
Les nominations au sein des tribunaux inférieurs se feraient à la majorité simple. Les représentants de la coalition, de l’opposition et de la Cour suprême devraient chacun apporter au moins une voix.
Les nominations à la Cour suprême nécessiteraient au moins une voix de la part de la coalition et une voix de la part de l’opposition, mais pas de la part des juges de la Cour suprême.
Si deux postes, à la Cour suprême, devaient rester vacants pendant plus d’un an, la coalition et l’opposition pourraient imposer la nomination d’un candidat de leur choix.
Les propositions initiales de Levin avaient entraîné des mouvements de protestation massifs et elles avaient créé des clivages profonds au sein de la société israélienne. Elles n’avaient été stoppées qu’après le pogrom qui avait été commis dans le sud d’Israël, le 7 octobre 2023, et la guerre qui avait suivi.

Levin, qui souhaite que son projet de loi soit adopté d’ici la fin du mois de février, est resté très discret sur les modifications qu’il pourrait ultérieurement apporter au système.
La législation actuelle ne prendrait effet qu’au cours de la prochaine législature de la Knesset, c’est-à-dire après de nouvelles élections législatives.
Levin et Saar ont également soutenu l’idée d’accorder aux Lois fondamentales, qui sont quasi-constitutionnelles en Israël, un poids constitutionnel encore plus important en adoptant une proposition de « Loi fondamentale : Législation », sans pour autant entrer dans le détail. Toutefois, elle interdirait dorénavant tout réexamen judiciaire des Lois fondamentales.
La loi fondamentale : Législation limiterait également considérablement les capacités de contrôle judiciaire de la Cour suprême sur les législations ordinaires. Aucun projet de loi dans ce sens n’a encore été présenté devant le Parlement israélien.
Diversification ? Politisation ?
Prenant la parole devant la commission, Saar a insisté sur le fait que la nouvelle proposition était équilibrée dans la mesure où elle garantissait, selon lui, le fait que l’opposition serait en capacité de nommer des juges dans tous les tribunaux – ce qui n’avait jamais été le cas dans le passé.
Il a également dit qu’il était nécessaire de supprimer la nécessité, pour au moins un juge de la Cour suprême, de voter en faveur d’une nomination s’agissant de la désignation d’un magistrat au sein de la plus haute instance israélienne, car il était « déraisonnable et illogique » que l’autorité judiciaire ait ainsi la capacité de bloquer une nomination par ailleurs demandée par son ministre de tutelle.
Saar a déclaré que la réforme qu’il avait lui-même menée en 2008, une réforme qui avait institué le droit de veto de facto des juges de la Cour suprême et de la coalition concernant les nominations à la Cour suprême, était intervenue après que la nomination de Ruth Gavison, professeure de droit à l’Université hébraïque, eut été bloquée par les juges de la commission.
Levin a cherché à faire élire à la Cour suprême soit Raphael Bitton, maître de conférences à la faculté de droit du Sapir College, soit Aviad Bakshi, directeur du département juridique du Kohelet Policy Forum, un think-tank conservateur. Mais les juges de la commission se sont fermement opposés à leurs nominations, disant que les deux universitaires n’étaient pas qualifiés pour le poste.
« Cet [actuel] amendement trouve son origine dans le blocage de la nomination de Bakshi et de Bitton à la Cour suprême », a noté Saar.
« Le ministre de la Justice représente la majorité parlementaire et il n’est pas raisonnable qu’il ne puisse pas choisir l’un des 15 juges de la Cour suprême », a insisté Saar.

Le ministre de la Justice a déclaré, dans le passé, que Bitton et Bakshi avaient été ses sources d’inspiration s’agissant de son programme initial de refonte radicale du système judiciaire – un programme qui aurait accordé au gouvernement un contrôle presque total sur les nominations au sein du système et qui aurait presque entièrement éliminé les capacités de contrôle et de réexamen de la Cour suprême.
Répondant aux propos tenus par Saar, Emily Rayten, députée du parti des Démocrates, a accusé Levin et Saar de chercher à modifier l’ensemble du système de nomination des juges dans le seul but de faire siéger Bitton ou Bakshi à la Cour.
« Cette proposition dans son ensemble a été conçue pour nommer vos deux candidats. Tout ce qui se passe ici aujourd’hui est conçu pour résoudre votre problème de nomination, ce que vous n’êtes pas parvenu à faire jusqu’à présent », a-t-elle affirmé.
Dans son discours devant le panel, Levin a dit que la composition actuelle de la commission de sélection des juges, une commission qui procède à toutes les nominations au sein du système, impliquait que les partis de droite israéliens ne pourraient jamais y obtenir la majorité, même en cas de victoire aux élections.
Il est parti du principe que les représentants de l’Association du barreau israélien ne voteraient jamais aux côtés de la droite et que les juges de la Cour suprême siégeant à la commission n’avaient jamais voté en faveur de l’entrée, à la Cour, de magistrats conservateurs – deux hypothèses qui se révèlent inexactes du point de vue historique.
Levin a précisé que les veto mutuels qui seront entre les mains de la coalition et de l’opposition concernant toutes les nominations signifieront qu’aucun camp politique ne pourra prendre le contrôle de l’autorité judiciaire et garantiront en même temps une plus grande diversité au sein de la Cour.
Le ministre de la Justice a insisté sur le fait que ce veto mutuel apportera l’assurance que les éventuelles nominations se baseront sur le compromis.
Il a rappelé le grand nombre de nominations effectuées au sein des tribunaux de moindre importance pendant son mandat de ministre de la Justice, disant que ces nominations étaient la démonstration de la manière dont de tels compromis pouvaient porter leurs fruits.
Les députés de l’opposition se sont empressés de souligner que ces mêmes nominations avaient été faites dans le cadre du système actuel, dans lequel ni la coalition, ni l’opposition, ni l’autorité judiciaire ne disposent d’un droit de veto concernant la désignation des magistrats au sein des tribunaux inférieurs.
Levin a indiqué qu’il était nécessaire de supprimer le droit de veto dont disposent actuellement les juges de la Cour suprême sur les nominations au sein de leur institution – un droit de veto dont bénéficie également la coalition – car la Cour a le pouvoir d’invalider les lois : « Il n’est pas possible que, d’une part, [la Cour suprême] exerce un contrôle sur la Knesset en intervenant sur les législations et que, d’autre part, elle ait la capacité de déterminer qui peut siéger en son sein », a-t-il fait valoir.

Il a également expliqué que, selon lui, le mécanisme permettant de sortir de l’impasse au sein de la commission chargée des nominations à la Cour suprême pousserait les membres de la coalition et de l’opposition à faire des compromis, et qu’il ne serait pas nécessaire en fin de compte.
Le député des Démocrates Gilad Kariv a affirmé, pour sa part, que Levin n’était pas sincère lorsqu’il disait qu’il recherchait le compromis et le consensus, soulignant que le ministre de la Justice souhaitait que sa proposition soit adoptée dans un court délai, ce qui impliquait que la législation pourrait être approuvée à toute vitesse par la Knesset si l’opposition devait ne pas l’accepter.
« Vous ne vous engagez à rien ; vous ne dites même pas que vous ne présenterez pas d’autres projets de loi du programme de réforme du système judiciaire [à la Knesset]. C’est toujours la même attaque que celle que vous aviez menée contre l’autorité judiciaire », a déploré Kariv.
« Bonnet blanc et blanc bonnet »
Barak Laser, conseiller juridique de l’Administration des tribunaux israéliens, a rejeté la majorité des arguments avancés par Levin. Il a insisté sur le fait que la législation politiserait le pouvoir judiciaire et compromettrait son indépendance.
« Il y a des processus actuellement en cours qui porteraient atteinte à l’indépendance de l’autorité judiciaire, qui renforceraient sa dépendance à l’égard de la hiérarchie politique et qui conduiraient à un manque de confiance croissant du public à l’égard des juges et des résultats des procédures [judiciaires] », a déploré Laser.
Il a déclaré que le départ des représentants de l’Association du Barreau d’Israël de la commission et leur remplacement par des avocats choisis par les politiciens viendraient politiser la nomination des juges et créerait un « système juridique politiquement orienté », avec des magistrats choisis « en raison des intérêts qui motivent les membres de la commission de sélection judiciaire à un moment précis ».
Le fait que les nominations à la Cour suprême ne nécessiteraient même pas un vote de la part d’un juriste indépendant signifierait que les juges de la plus haute instance judiciaire d’Israël pourraient être désignés « sans le moindre examen » susceptible de confirmer l’aptitude du candidat à occuper le poste, a-t-il continué.
« La conséquence en sera que les juges des différentes tribunaux qui veulent être promus… sauront que le moyen d’obtenir une nomination et une promotion est de s’associer à un camp politique », a poursuivi Laser, qui a noté que ces juges pourraient donc s’avérer être réticents à l’idée de se prononcer contre le gouvernement.

Laser a également indiqué que le mécanisme de déblocage mis en œuvre dans les situations d’impasse ne ferait qu’encourager la coalition et l’opposition à ne pas faire de compromis, dans la mesure où l’autre camp serait dans l’obligation d’accepter l’une de leurs nominations à la fin du processus.
Dans ses premiers propos sur la nouvelle proposition de Levin, Hayut, l’ancienne présidente de la Cour suprême, a affirmé – comme l’a fait Laser – que ce nouveau projet du ministre de la Justice politiserait le système judiciaire, portant gravement atteinte à son indépendance ainsi qu’à l’identité démocratique d’Israël.

« Malheureusement, malgré les journées difficiles que nous traversons… il y a une personne qui pense encore que c’est le moment opportun pour faire avancer un programme dont j’avais dit, au mois de janvier 2023, qu’il était un programme d’écrasement du système judiciaire », a regretté Esther Hayut lors d’une conférence organisée tout spécialement en son honneur à l’université de Tel Aviv.
« Ne vous y trompez pas, la tentative visant à présenter la proposition qui est actuellement avancée comme un ‘compromis’ et comme un ‘large accord » est un tour de passe-passe », a-t-elle ajouté.
« C’est bonnet blanc et blanc bonnet. C’est la même politisation, le même coup mortel porté à l’indépendance [et] à l’impartialité du pouvoir judiciaire et, par extension, c’est le même coup mortel porté à l’identité démocratique de l’État », a-t-elle averti.