Israël en guerre - Jour 366

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Opinion

Si seulement la loi sur la « raisonnabilité », abrogée par la Cour, n’avait jamais été écrite

La décision prise lundi par la Haute Cour aurait assurément plongé Israël dans une crise constitutionnelle si nous ne nous trouvions pas au beau milieu d'une guerre difficile, complexe, qui passe avant tout le reste

David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).

Le Premier ministre Benjamin Netanyahu (à droite) et la présidente de la Cour suprême Esther Hayut lors d'une cérémonie à la résidence du président à Jérusalem, le 17 juin 2019. (Crédit : Noam Revkin Fenton/Flash90)
Le Premier ministre Benjamin Netanyahu (à droite) et la présidente de la Cour suprême Esther Hayut lors d'une cérémonie à la résidence du président à Jérusalem, le 17 juin 2019. (Crédit : Noam Revkin Fenton/Flash90)

Après l’adoption par la Knesset d’une loi très controversée interdisant aux tribunaux de réexaminer les décisions prises par le gouvernement et par les ministères à l’aune de leur « caractère raisonnable », au mois de juillet, le Premier ministre Benjamin Netanyahu avait toujours refusé de dire s’il respecterait le jugement de la Haute Cour si cette dernière, d’aventure, devait invalider la législation.

Un tel verdict rendu par les magistrats de la plus haute instance judiciaire d’Israël amènerait assurément le pays en « territoire inconnu », avait-il dit à CNN, par exemple, lorsqu’il lui avait été directement demandé s’il se soumettrait au jugement.

« Et je veux réellement croire qu’ils ne le feront pas », avait-il ajouté.

Lundi, avec la majorité la plus faible possible – huit contre sept – la Haute Cour, dont tous les membres siégeaient pour l’occasion, a abrogé « la loi sur la raisonnabilité », envoyant en conséquence Israël, selon les mots du Premier ministre, « en territoire inconnu ». Avec cette décision, c’est la toute première fois dans l’Histoire de l’État juif que l’éminente instance abroge une section figurant dans les « Lois fondamentales » du pays.

Au vu de l’ambivalence de Netanyahu qui, en amont du rendu du verdict, ne s’est pas engagé à honorer ce dernier et alors que le Premier ministre continue à apporter son soutien au ministre de la Justice Yariv Levin – pour qui « la loi sur la raisonnabilité » n’est que la première phase d’une initiative visant, in fine, à asseoir le contrôle de la coalition sur le système de la justice israélien – le jugement rendu lundi lundi soir aurait dû immédiatement plonger Israël dans une crise constitutionnelle quasiment totale.

Mais la période sort actuellement de l’ordinaire, bien sûr. Le 7 octobre, 3000 terroristes placés sous la direction du Hamas ont assassiné 1 200 personnes et ont enlevé plus de 240 personnes dans les communautés du sud du pays, les prenant en otage dans la bande de Gaza et depuis, l’armée s’est engagée dans une guerre difficile, complexe, dont l’objectif est d’anéantir le groupe au pouvoir à Gaza. Les militaires combattent aussi les tirs de roquette et les tirs de missile du Hezbollah, sur la frontière nord, alors que selon le ministre de la Défense Yoav Gallant, la semaine dernière, a fait la liste de sept fronts actifs d’où partent des attaques contre le pays.

Dans une première réponse furieuse et malhonnête à la décision prise lundi par la Cour – une réponse prévisible – Levin a accusé les juges de faire très précisément ce que lui-même cherche à faire : s’arroger « toute l’autorité qui, dans une démocratie, est traditionnellement divisée entre les trois branches du gouvernement ». Ce qui crée une situation, a-t-il dit, « où il est impossible de légiférer ne serait-ce qu’une Loi fondamentale et où il est impossible de prendre une décision à la Knesset et au gouvernement sans l’accord de la Cour suprême, ce qui empêche des millions de citoyens de faire entendre leur voix ».

Il a juré que la décision « ne nous arrêtera pas » mais il a pris soin d’ajouter que le gouvernement « va continuer à agir avec retenue et en affichant son sens de la responsabilité » tant que la campagne militaire à Gaza sera en cours.

Protéger l’armée

Dans son jugement majoritaire, l’ancienne présidente de la Cour suprême, Esther Hayut, a déclaré que la législation « porte les atteintes les plus graves au principe de séparation des pouvoirs et au principe de l’État de droit », constituant ainsi « un coup sévère porté à deux des caractéristiques les plus explicites d’Israël en tant qu’État démocratique ».

Cette Cour farouchement indépendante et connue dans le monde entier a été, il faut le noter, déterminante dans la capacité d’Israël à repousser les efforts livrés par les tribunaux et autres instances judiciaires internationales, au fil des années, qui avaient été tentés de poursuivre l’armée, ses commandants, ses responsables politiques, pour des crimes de guerre et autres fautes présumées. Alors que l’Afrique du Sud s’efforce actuellement d’obtenir de la Cour internationale de justice qu’elle s’engage contre Israël en reconnaissant l’État juif coupable de « génocide » à Gaza, cette nouvelle preuve d’indépendance et de promesse démocratique pourrait s’avérer être particulièrement bienvenue.

Dans la mesure où la loi, qui se présente sous la forme d’un amendement apporté à la « Loi fondamentale : le système judiciaire », est le seul texte figurant dans le projet de refonte radicale du système de la justice prôné par Netanyahu et par Levin à avoir été approuvé pour le moment – et c’est un élément relativement mineur du plan plus général de réforme – il n’y a aucun doute sur le fait que la Haute Cour, sous sa forme actuelle, invaliderait les autres législations avancées par Levin, notamment celle accordant à une coalition au pouvoir le contrôle presque complet de la nomination des juges du pays ; la limitation radicale de la capacité, pour la Cour suprême, d’abroger une loi ou la capacité, pour une coalition au pouvoir, de relégiférer un texte rejeté au préalable par les magistrats.

Mais la Cour suprême, sous sa forme actuelle, n’existe plus véritablement. Hayut a pris sa retraite officielle au mois d’octobre, tout comme Anat Baron, un autre juge. Ils ont fait part de leur décision lundi grâce à une disposition qui prévoit que les magistrats peuvent se prononcer sur un dossier qu’ils ont eux-mêmes traité dans les trois mois qui suivent leur départ. Et leurs deux votes, qui ont permis à la législation d’être invalidée, ont été déterminants pour obtenir la majorité en faveur de l’abrogation pure et simple du texte controversé.

Dans le contexte de la relation dysfonctionnelle qu’entretient actuellement la coalition avec le système judiciaire, Levin a refusé de réunir la commission de sélection judiciaire pour choisir leurs remplaçants au sein du tribunal. Mais le fait est que les 13 juges qui ne sont pas à la retraite et qui siègent encore à la Cour aujourd’hui ont voté par 7 voix contre 6 le maintien de la loi. Impossible de dire comment les deux magistrats qui n’ont pas encore été nommés auraient voté, et pour cause, il)à est impossible de dire qui ils pourraient bien être.

Dans ce cadre, un deuxième élément du jugement rendu par la Cour suprême, dans la soirée de lundi, est assurément aussi important que la principale décision qui a été prise.

Le droit d’intervenir

Même si 7 des 15 juges ont voté en faveur de l’invalidation de « la loi sur la raisonnabilité », ils ont été douze, malgré tout, à établir avec fermeté que la Cour suprême avait, en effet, le droit de rejeter des Lois fondamentales – et un treizième juge a maintenu ce droit dans des circonstances extrêmes.

Dans les arguments qu’ils ont avancés, le fait que la majorité des Lois fondamentales quasi-constitutionnelles en Israël peuvent être légiférées et amendées avec une majorité simple à la Knesset et non par une sorte de « super-majorité » qui nécessiterait une forme ou une autre d’entente et de consensus avec l’opposition. Et c’est vrai que la loi sur la « raisonnabilité » a été adoptée, au parlement, avec les 64 voix seulement de la coalition à la Knesset, forte de 120 membres. Les 56 députés de l’opposition avaient boycotté le vote pour souligner leur répugnance totale face à l’amendement.

Le soutien écrasant apporté par la Cour suprême au droit, par principe, d’abroger des Lois fondamentales semble mettre à mal les espoirs nourris par Levin d’arracher le consentement des juges aux éléments encore plus radicaux du projet de refonte du système judiciaire israélien, même en l’absence, à l’avenir, de Hayut.

Ce positionnement devrait aussi faire comprendre aux politiciens, que ce soit dans le gouvernement ou au sein de l’opposition, l’impératif de négocier des changements consensuels dans la procédure de légifération des Lois fondamentales – ce qui serait une avancée vers une Constitution israélienne.

Et il laisse pense que si Levin ou, plus important encore, Netanyahu ont l’intention de relancer leur tentative de mettre le système judiciaire au service de la quasi-toute puissance politique à la fin de la guerre, alors la crise constitutionnelle sera inévitable.

Mais bien sûr, la guerre contre le Hamas n’est pas terminée, loin de là ; le potentiel d’escalade des hostilités est bien présent sur la frontière nord et d’autres fronts pourraient aussi s’embraser. Impossible de dire quand les armes se tairont, quelle sera la réalité d’Israël à ce moment-là ou d’établir si Netanyahu et Levin auront encore l’influence nécessaire, au niveau national pour réactiver leur projet si controversé et clivant.

Dans une réponse typiquement prudente à la question posée par un journaliste, lundi soir, le porte-parole de l’armée, Daniel Hagari, a dit qu’il était « raisonnable de penser » que l’un des facteurs ayant convaincu le Hamas de lancer son incursion meurtrière sur le sol israélien, le 7 octobre, avait été son sentiment d’assister « à la fracture » de la société israélienne, anticipant les répercussions de cette dernière « sur l’état de préparation de l’armée ».

Pour le moment, le seul texte du plan de refonte radicale du système de la justice israélien que la coalition de Netanyahu était parvenue à faire passer en force à travers le parlement dans les mois qui avaient précédé la guerre – entraînant des divisions si paralysantes au sein du public israélien que le ministre de la Défense, Yoav Gallant, avait estimé, de manière presque prémonitoire, qu’il représentait une menace tangible pour la sécurité d’Israël, a été considéré comme nul et non avenu.

Si seulement il n’avait jamais été écrit.

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