Refonte judiciaire: Levin promet de riposter après l’invalidation de la Haute cour
Le ministre de la Justice entame ainsi un potentiel bras de fer entre les différentes branches du gouvernement ; les membres de la coalition sont furieux ; pour Benny Gantz, la décision doit être respectée
Le ministre de la Justice Yariv Levin a critiqué, lundi, la Haute cour de justice – disant que la décision historique prise par cette dernière de rejeter la limitation de l’utilisation de la notion juridique de « raisonnabilité » dans ses débats et dans ses verdicts n’empêcherait pas la coalition du Premier ministre Benjamin Netanyahu de riposter. Il n’a pas donné plus de détail.
Levin a indiqué que le jugement « ne nous arrêtera pas » – ce qui pourrait entraîner une confrontation entre les différentes branches du gouvernement alors que les partisans de la coalition de droite et d’extrême-droite du gouvernement de Netanyahu se sont insurgés suite à cette décision prise d’annuler la seule législation adoptée dans le cadre du projet de refonte du système judiciaire, un plan qui avait été avancé par le bloc au pouvoir.
Levin avait fait part de son intention de réformer en profondeur le système de la justice israélien il y a un an. Une annonce qui avait causé un mouvement de protestation massif qui a duré dix mois chez les Israéliens et qui avait entraîné des fractures sans précédent au sein de la société. Les détracteurs du plan avaient aussi été indignés par les efforts livrés par la coalition visant à faire approuver en toute hâte l’enveloppe de ces réformes controversées.
La loi sur la « raisonnabilité » – que le gouvernement avait réussi à faire adopter au mois de juillet sous la forme d’un amendement à la Loi fondamentale : Le système judiciaire – interdit à tous les tribunaux, et notamment à la Haute-cour, de juger des décisions prises par le gouvernement et par les ministres à l’aune de « leur caractère raisonnable ».
Levin, l’artisan de cette refonte radicale – qui réduirait de manière considérable l’indépendance de la Haute-cour et sa capacité à protéger les droits des minorités face à une majorité au pouvoir-, a accusé les magistrats, dans sa réponse à la décision, de « se saisir de toute l’autorité qui est pourtant supposée être divisée entre les trois branches du gouvernement dans le cadre d’une démocratie ».
« [Une telle décision] crée une situation où il est impossible de légiférer ne serait-ce qu’une Loi fondamentale et où il est impossible de prendre une décision à la Knesset et au gouvernement sans l’accord de la Cour suprême, ce qui empêche des millions de citoyens de faire entendre leur voix », a maintenu le ministre de la Justice.
Il a qualifié le jugement de « sans précédent » dans le monde démocratique et il a averti qu’il « ne nous arrêtera pas », sans détailler la riposte que pourrait envisager le gouvernement.
Levin a estimé que les juges « font la démonstration d’un état d’esprit qui est à l’opposé de l’esprit d’unité qui est nécessaire, en ce moment, pour garantir la réussite de nos soldats sur le front ».
Mais il a toutefois ajouté que le gouvernement « va continuer à agir avec retenue et en affichant son sens de la responsabilité » et ce, aussi longtemps que la campagne militaire actuellement en cours dans la bande de Gaza se poursuivra, laissant entendre que la réponse apportée par le gouvernement pourrait bien ne survenir qu’au lendemain du conflit.
Le parti du Likud du Premier ministre Benjamin Netanyahu a estimé qu’il était « malheureux que la Cour suprême ait décidé d’émettre un jugement au cœur des divisions sociétales en Israël au moment même où des soldats de droite et de gauche sont en train de combattre et mettent leur vie en péril ».
« La décision prise par la Cour entre en contradiction avec le désir d’unité du peuple, en particulier en cette période de guerre », a-t-il continué.
Netanyahu n’avait pas personnellement réagi au jugement dans la soirée de lundi. Il a refusé de manière répétée, depuis des mois, d’établir clairement s’il respecterait la décision qui serait prise par la Haute-cour dans ce dossier.
Pour leur part, les députés modérés – avec parmi eux le chef de la formation HaMahane HaMamlahti, Benny Gantz, qui a rejoint le gouvernement à l’occasion de la guerre, dans un cadre d’urgence – ont appelé à respecter la décision prise par la plus haute instance judiciaire d’Israël.
Gantz a indiqué qu’à « la veille du 7 octobre, la société israélienne connaissait une situation extrême, avec des fractures importantes et avec des discours de haine qui n’auraient jamais dû être prononcés ».
« Le jugement de la Haute-cour doit être respecté et les leçons des conduites du passé doivent être tirées. Nous sommes des frères et nous partageons une destinée commune », a-t-il ajouté.
Après la guerre, « nous devrons décider des relations qui prévalent entre les branches du gouvernement et adopter une ‘Loi fondamentale : La Législation’ qui ancrera dans le marbre le statut des Lois fondamentales. Et nous le ferons avec un large consensus », a continué Gantz.
Matan Kahana, du parti de Gantz, a vivement recommandé aux deux parties « de respirer profondément et de relativiser ». Il a souligné qu’un « jugement de la Haute-cour doit être respecté » tout en reprochant à la Knesset et la Cour d’avoir pris des décisions déterminantes en se prévalant d’une majorité qui reste, somme toute, faible.
Le leader de l’opposition, Yair Lapid, a estimé que « le jugement de la Haute-cour met un terme à une année difficile de conflit qui a déchiré le pays de l’intérieur et qui a mené à la pire catastrophe de toute notre Histoire ».
« La source du pouvoir d’Israël, le pilier de la force israélienne se trouve dans notre essence d’État juif, démocratique, libéral, respectueux du droit », a ajouté Lapid qui a offert « tout son soutien » aux magistrats de la plus haute instance judiciaire du pays.
« Si le gouvernement relance le combat sur la Haute-cour, c’est qu’il n’a tiré aucune leçon de ce qui est arrivé », a-t-il continué.
Merav Michaeli, à la tête du parti Avoda, a déclaré que « même les juges conservateurs ont décidé, aujourd’hui, que la Cour jouit de l’autorité nécessaire pour réexaminer les Lois fondamentales et pour les invalider. Il n’y a pas de déclaration plus claire faite à l’encontre de tous ceux qui détruisent, qui pourfendent la démocratie. La démocratie israélienne n’abandonnera pas. »
Le Mouvement pour un gouvernement de qualité en Israël – qui avait déposé des requêtes contre la législation – a salué « un verdict historique » et « une victoire publique énorme pour tous ceux qui recherchent la démocratie ».
« Un gouvernement et des ministres qui ont tenté de s’affranchir de l’état de droit ont ainsi appris qu’il y a des juges à Jérusalem, qu’il y a la démocratie, qu’il y a la séparation des pouvoirs », a noté le groupe.
La loi controversée a été renversée de peu – huit juges ont voté son rejet et sept se sont prononcés en faveur de son maintien.
Toutefois, 13 magistrats sur les 15 juges qui formaient le panel ont écrit, dans leurs avis juridiques, que la Cour avait l’autorité nécessaire pour réexaminer les Lois fondamentales. Sur les cinq qui ont rappelé ce principe tout en refusant de rejeter le texte sur la « raisonnabilité », trois ont fait part de leur inquiétude profonde face à la législation, notant qu’elle devrait être interprétée de manière attentive pour préserver certains aspects de la notion juridique au cœur des débats.
Cette notion de « caractère raisonnable » a, jusqu’à présent, permis à la Haute-cour d’annuler des décisions prises par le gouvernement et par les ministres si elle estimait que toutes les considérations nécessaires n’avaient pas été prises en compte, ou qu’elles n’avaient pas été examinées suffisamment.
Dans ce qui a été peut-être la conséquence la plus déterminante de cette décision, la Cour a pleinement actualisé un précédent juridique établi dans des verdicts antérieurs par la présidente de la Cour suprême, Esther Hayut – celui que les magistrats ont le droit, dans des circonstances limitées, d’annuler les Lois fondamentales si ces dernières viennent saper la nature de l’État d’Israël en tant qu’État juif et démocratique.
Cette décision de la Cour est le point d’orgue d’une bataille qui oppose, depuis un an, le gouvernement et le système judiciaire sur la nature de la démocratie israélienne et sur la branche qui doit avoir, en fin de compte, le dernier mot s’agissant de sa nature constitutionnelle.
Le président de la Knesset élu sous l’étiquette du Likud, Amir Ohana, a indiqué : « Il est manifeste que la Cour suprême n’a pas l’autorité nécessaire pour annuler des lois fondamentales », ajoutant néanmoins que « il est encore plus évident que ce n’est pas une question à laquelle nous pourrons nous attaquer tant que nous serons au beau milieu d’une guerre ».
Le ministre des Communications du Likud, Shlomo Karhi, s’est montré plus combatif encore dans sa réponse. « Alors que nous mettons pour le moment nos différences de côté en nous unissant et en amenant Israël vers une victoire complète contre nos ennemis, les juges de la Haute-cour insistent, une fois encore, pour nous prouver combien ils sont déconnectés du peuple, combien ils sont incapables de le représenter », a-t-il déclaré.
Il a accusé les juges d’avoir émis « un verdict hautement clivant alors qu’il y a de nombreux soldats qui, en cet instant même, mettent leur vie en péril dans une guerre pour notre patrie et qui s’opposent au changement de régime que les magistrats laissent présager ».
Le ministre des Finances Bezalel Smotrich, président du parti Hationout HaDatit d’extrême-droite, a qualifié le jugement « d’extrême, clivant », allant jusqu’à dire qu’il a été « rendu sans l’autorité nécessaire ». Il a dit solennellement qu’un « drapeau noir » planait dans l’ombre du verdict.
Il a affirmé que la Cour « agit de manière irresponsable à l’égard de la société israélienne alors que chacun d’entre nous, sur le champ de bataille et sur le front intérieur, sommes unis derrière un seul objectif, la victoire ».
Le ministre de la Sécurité nationale Itamar Ben Gvir, à la tête du parti d’extrême-droite Otzma Yehudit, a indiqué que le jugement était « dangereux et anti-démocratique » et il a ajouté qu’il nuisait à l’effort de guerre.
« A une période où nos soldats donnent leur vie, chaque jour, pour le peuple d’Israël à Gaza, les juges de la Haute-cour ont décidé d’affaiblir leur courage », s’est-il insurgé.
Ofir Sofer, ministre de l’Immigration et de l’Intégration, qui appartient au parti d’extrême-droite Hatzionout HaDatit, a pour sa part estimé que le moment choisi par le tribunal pour faire connaître sa décision était « malheureux, scandaleux et montre avant tout une déconnexion. Mais je vous demande de relativiser. Nous nous trouvons encore au paroxysme d’une guerre difficile et il reste encore des défis qui nous sont lancés dans le nord. Les discours doivent se concentrer sur notre combat et sur notre union », a-t-il déclaré.
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