Steinitz : Le « non-accord » ne règle ni le gel ni les inspections du nucléaire iranien
Le ministre estime que la situation s'est deteriorée quand les 5 + 1 ont cessé d'exiger le démantelement des installations nucléaires ; Lausanne ne freinera rien
David est le fondateur et le rédacteur en chef du Times of Israel. Il était auparavant rédacteur en chef du Jerusalem Post et du Jerusalem Report. Il est l’auteur de « Un peu trop près de Dieu : les frissons et la panique d’une vie en Israël » (2000) et « Nature morte avec les poseurs de bombes : Israël à l’ère du terrorisme » (2004).
Le ministre israélien du Renseignement et des Affaires stratégiques, Yuval Steinitz, est en première ligne dans l’effort de son gouvernement pour exposer les vices perçus et les lacunes dans le nouvel accord-cadre sur le nucléaire passé entre les puissances mondiales et l’Iran. Il y a un problème, dit-il : il n’y a pas d’accord. En fait, il n’y a même pas de cadre écrit.
Interrogé sur son évaluation globale d’un accord salué par les Etats-Unis comme « historique », Steinitz a répondu avec un soupir et la lamentation plaintive suivante : « L’accord ? Je ne comprends rien à son sujet. »
Il a ensuite suggéré que le cadre était flou et marquait un pitoyable précédent de la diplomatie internationale: « Habituellement, il y a un document signé, puis les parties se querellent sur l’interprétation.
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Dans le cas présent, ils se querellent sur l’interprétation, mais pas sur le texte. Parce que rien n’est convenu. Il n’y a pas de texte. A Lausanne, ils n’ont pas réussi à parvenir à un accord. Ainsi, dans une certaine mesure, ils ont construit des ententes. Certaines sont moins claires. Certaines sont plus claires. Mais elles n’ont pas été écrites. Et donc il y a différentes lectures. Je ne pense pas qu’il y a eu dans le passé un accord international qui n’ait été ni écrit ni signé. »
Néanmoins, d’après ce que Steinitz peut discerner au milieu du flou et des récits contradictoires, il a reconstitué un sombre tableau.
Faisant écho au Premier ministre Benjamin Netanyahu, il a affirmé que le non-accord non-écrit ouvrait la voie de l’Iran vers la bombe – en traitant le régime « comme si on pouvait lui faire confiance, au même titre que la Hollande ou le Japon ».
La racine de la pourriture, a-t-il soutenu, est la décision prise par les puissances mondiales sous commandement américain, il y a environ deux ans, à dévier de leur insistance précédente – que l’infrastructure nucléaire de l’Iran soit « démantelée et neutralisée »- et d’opter plutôt pour une approche « de gel et d’inspection », qui, selon lui, était « un chemin malheureusement plus minime ».
Maintenant, ce qui aggrave cette erreur fondamentale, a-t-il dit, ce sont les dernières ententes poreuses qui n’assurent efficacement ni le gel, ni l’inspection.
Dans une interview avec le Times of Israel mercredi, Steinitz a souligné – à l’intention de ceux qui critiquent ostensiblement l’attitude dure d’Israël – qu’ « Israël n’a pas changé sa position ».
La « grosse erreur » c’est ce que les puissances mondiales l’ont fait, regrette-t-il, en abandonnant leur exigence de démanteler et neutraliser, une exigence qui avait conduit à une série de résolutions de l’ONU contre l’Iran qui avait construit un projet d’enrichissement d’uranium « secrètement et en violation de ses engagements ».
La position précédente des puissances mondiales, connues sous le nom de 5 + 1, avait été, « Vous voulez un programme nucléaire pacifique – bien, très bien, mais pas d’enrichissement. Comme l’Espagne, le Mexique, l’Afrique du Sud », a-t-il rappelé.
Donc, les critiques d’Israël commencent avec ce premier revirement. Pour Steinitz, « l’approche globale est erronée ». A Lausanne, en revanche, les termes très vagues de l’entente donnent tous les signes qu’il ne sera pas possible d’assurer un mécanisme compétent et viable pour la malencontreuse approche dite « gel et inspection », a-t-il dit.
Pour lui, les termes apparents ne gèlent pas la recherche et le développement sur les centrifugeuses avancées.
L’Iran peut donc continuer à améliorer ses centrifugeuses « légitimement » et à fabriquer la bombe, dès l’expiration, sur les restrictions sur les centrifugeuses avancées, dans un peu plus d’une décennie – la faille même que le président Barack Obama a soulignée lundi dans son interview sur NPR, et sur laquelle le Département d’Etat s’est embrouillé dans sa tentative de l’expliquer, le lendemain.
Sauf que l’autorisation d’entreprendre de la R & D est en fait plus problématique qu’Obama ne l’a reconnu, a dit Steinitz.
Il était parti du postulat que cela demanderait à l’Iran seulement environ cinq ans pour achever la R & D sur ses centrifugeuses IR-8, qui seront capables d’enrichir l’uranium 20 fois plus rapidement que sa gamme actuelle, basée sur des IR-1. « Nous ne sommes pas seulement préoccupés par ce qui se passera dans 10 ans. Nous craignons que dans cinq ans, lorsque leur éventuelle recherche sera achevée, ils seront en mesure de fabriquer la bombe en deux ou trois mois. S’ils ne la fabriquent pas, ils pourront construire les 200 centrifugeuses IR-8 et les installer en environ deux mois », et donc produire assez d’uranium enrichi pour obtenir une bombe en quelques semaines.
Steinitz a estimé que les Iraniens n’ont pas encore de centrifugeuses IR-8 en état de marche ; elles sont en développement.
Lorsque le ministre des Affaires étrangères Zarif et le chef du nucléaire Salehi avaient déclaré aux députés, à Téhéran, qu’ils vont « injecter de l’essence » dans leurs IR-8 dès le premier jour de l’accord, Steinitz croit qu’ « apparemment ils voulaient dire qu’ils seront autorisés à poursuivre le développement dès le premier jour de l’accord. Ils vont injecter un certain carburant pour vérifier les modèles ».
Le lendemain de l’annonce de l’accord a en effet été marqué par des interprétations divergentes de l’accord-cadre, non seulement entre l’Iran et les Etats-Unis, mais même entre les Etats-Unis et la France, qui étaient du même côté de la table de négociations.
Venons-en aux inspections, qui, selon Steinitz, ont été insuffisamment planifiées dans les accords de Lausanne. L’Iran, semble-t-il, n’est toujours pas tenu de donner un compte-rendu complet à l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) sur les dimensions militaires possibles de ses activités nucléaires jusqu’à ce jour, a-t-il dit. « Et c’est dangereux au niveau mondial, car d’autres pays vont conclure qu’eux non plus ne sont pas tenus de donner des réponses complètes à l’AIEA – des pays comme l’Argentine, le Brésil, l’Arabie saoudite et l’Egypte. »
Et en ce qui concerne l’Iran lui-même, a-t-il demandé, comment l’AIEA sera-t-elle en mesure d’inspecter complètement ce que le régime compte faire dans l’avenir, « si vous ne savez pas où ils en sont dans le passé – par exemple, sur les ogives nucléaires » ?
Ce qui est pire, a-t-il insisté, c’est que les ententes ne prévoient pas d’inspections « n’importe où, n’importe quand » de tous les sites suspects. Comment Steinitz est-il arrivé à cette conclusion ? En partie, en ayant écouté l’interview d’Obama. « Tom Friedman lui a demandé si, au cas où il y a des sites militaires avec des activités nucléaires, il pourrait y avoir des inspections ‘n’importe où / n’importe quand’ ? Obama a répondu par la négative. Il a dit, nous aurons alors à faire la demande aux Iraniens, et si les Iraniens refusent, il faudra un arbitrage. »
(Steinitz a, de toute évidence, paraphrasé. Obama a dit : « De toute évidence, une demande devra être faite. L’Iran pourra s’y opposer, mais ce que nous avons fait est d’essayer de concevoir un mécanisme par lequel une fois que ces objections auront été entendues, ce n’est pas un droit de veto dont dispose l’Iran, mais en fait une sorte de mécanisme international sera mis en place qui fera une évaluation impartiale pour savoir s’il devrait y avoir une inspection, et s’ils déterminent qu’il devrait y en avoir, l’Iran ne pourra pas dire : ‘Non, vous ne pouvez pas venir ici.' »)
Steinitz est rien moins que convaincu. « Nous disons que c’est inefficace. Il faudra du temps », a-t-il dit – du temps pendant lequel l’Iran pourra rendre les sites suspects moins suspects.
« Et, bien sûr, si Israël ou le Royaume-Uni ou les États-Unis ont des informations qui suscitent des soupçons, disons, sur deux ou trois sites, bases militaires, installations – il peut s’agir d’énormes complexes – et il y aura un comité d’arbitrage, l’Iran niera les allégations. Ils diront : ‘Apportez-nous la preuve’. Eh bien, nous n’allons pas leur livrer nos sources. Nous n’allons pas révéler nos méthodes de renseignement aux Iraniens. Nous pensons donc que c’est inutile. »
Tout cela, dans la triste conclusion de Steinitz, signifie : « Ils prétendent qu’il y a un gel et des inspections et nous voyons des failles. »
Mais que peut faire Israël à propos de cet état de choses, à part se préparer et s’occuper de lui-même ?
Israël n’aurait pas pu être plus clair dans ses objections. Il y a un mois, Netanyahu a fait du lobbying public au Congrès contre l’accord soutenu par Obama, défiant la fureur évidente du président. Depuis jeudi dernier, le Premier ministre bombarde les médias américains de ses récriminations. Il a demandé qu’un accord final soit conditionné à la reconnaissance d’Israël par l’Iran ; le président a immédiatement balayé sa demande.
Steinitz a posé lundi dix questions sur l’accord-cadre et a énuméré une série de demandes comblant les trous pour un accord « plus acceptable ».
Quelques heures plus tard, le conseiller d’Obama, Ben Rhodes, est allé de son propre blitz sur les chaînes israéliennes pour écarter toutes exigences plus strictes à l’égard de l’Iran. L’accord, tel qu’il est actuellement, satisfait les « objectifs fondamentaux » des Etats-Unis, a déclaré Rhodes sur la Deuxième chaîne. « Nous croyons que c’est le meilleur accord qui puisse émerger de ces négociations« , a-t-il répété sur la Dixième chaîne.
Steinitz a indiqué qu’il ne se laissait pas décourager par ces obstacles tactiques. « Nous allons continuer le dialogue avec les Etats-Unis et avec tous les acteurs du 5 + 1 », a-t-il promis.
« Nous allons continuer à exprimer nos positions. Cela a de l’effet. Cela a de la résonance dans les médias américains. Les dix questions que j’ai soulevées, et mes paramètres pour un accord plus acceptable – quand des gens prétendent qu’Israël n’offre pas d’alternative – sont entendus. »
Steinitz a insisté sur un point : les trous dans les paramètres contestés peuvent encore être comblés, « s’il y a une pression suffisante sur l’Iran ».
« S’il y a une pression suffisante, a-t-il répété, je crois que l’Iran va céder sur tous ou la plupart de ces points », a-t-il affirmé. « Si les Iraniens voient qu’il n’y a pas d’alternative, qu’ils vont être confrontés à de plus en plus de pressions économiques, qu’il y a le risque d’une frappe militaire… »
Il s’est arrêté un instant pour repartir, sur un registre légèrement différent, plus idéaliste : « Les 5 + 1 ne doivent pas dire : ‘Quelle est l’alternative ?’. L’Iran doit dire : ‘Quelle est l’alternative ?’ Il y a deux ans, quand il était candidat à l’élection, [le président Hassan] Rouhani avait demandé, ‘Quelle est l’alternative ?’ Nous devons faire des concessions, avait-il dit. Nous devons sauver l’économie, avait-il dit. Maintenant, ce sont Obama et les 5 + 1, les puissances du monde entier, qui demandent ‘Quelle est l’alternative ?' ».
Comment expliquer ce sombre renversement ?, me suis-je demandé. Obama a-t-il des mauvaises intentions ?
« Je ne pense certainement pas que le président ait de mauvaises intentions, a répondu Steinitz, rapidement et fermement. J’apprécie beaucoup ses garanties de sécurité pour Israël, son engagement envers Israël, le dialogue avec Israël. A Dieu ne plaise, je n’accuse pas Obama ou [le secrétaire d’État John] Kerry de mauvaises intentions, mais ils font une terrible erreur – celle qui rappelle beaucoup celle commise avec la Corée du Nord en 2007, saluée par le monde entier. Quatre ans plus tard, ils avaient la bombe. »
Si ce n’est absolument pas la malveillance, alors, qu’est ce qui guide l’administration américaine ?
« Je pense qu’il y a l’illusion chez Obama et Kerry et certains pays européens, a répondu Steinitz, que Zarif et Rouhani sont des modérés qui représentent des modérés en Iran. Ils ont tous dit que Rouhani était différent d’Ahmadinejad, que l’Iran allait changer pour le mieux sous l’ère Rouhani et que si nous accordions à Rouhani et Zarif un allègement des sanctions, nous les renforcerions vis-à-vis des Gardiens de la Révolution, [du Guide suprême Ali] Khamenei et des factions extrêmes. »
Au lieu de cela, a fait valoir Steinitz, le contraire s’est produit. « L’Iran n’a pas changé pour le mieux. L’Iran a changé pour le pire. Le comportement de l’Iran est beaucoup plus agressif dans le Moyen-Orient que sous Ahmadinejad. »
Il soutient plus ouvertement les groupes terroristes et les milices chiites en Irak, en Syrie et au Liban. Il parle maintenant ouvertement d’armer les Palestiniens en Cisjordanie. Et il y a son soutien récent aux rebelles au Yémen.
« Le [précédent] accord intérimaire, avec son allègement partiel des sanctions, n’a pas encouragé la modération, a conclu Steinitz. L’idée que vous renforcez les modérés Rouhani et Zarif était un concept très beau, il y a deux ans. Mais c’est totalement sans rapport avec les faits sur le terrain. »
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David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel