Sur le mont du Temple, certains voient un Dôme et imaginent un autel
De plus en plus de juifs religieux visitent le lieu saint, dans un mouvement de défiance d’une interdiction rabbinique vieille de plusieurs siècles, créant des tensions avec les musulmans qui revendiquent aussi le site
La veille de sa première visite au mont du Temple l’année dernière, Aviya Fraenkel était si enthousiaste qu’elle n’a pas fermé l’œil de la nuit.
« Je me souviens monter le pont Mughrabi [conduisant au mont du Temple] et voir le mur Occidental derrière moi, si petit, et tous ces Juifs différents en bas, a récemment déclaré Fraenkel au Times of Israel, se tenant au bas du même pont et attendant de pouvoir entrer.
« On se demande : ‘Attends, que faisais-je en bas toutes ces années ? C’est tout simplement sans intérêt. Je suis en haut maitnenant !’ C’est une sentation que l’on ne peut jamais oublier ».
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« Nous allons encore au mur Occidental et nous l’aimons, mais on réalise soudain la différence. Pourquoi se contenter de si peu ? Pourquoi se contenter d’imitation quand nous avons l’original ».
Fraenkel, une doctorante de 29 ans en études d’Assyriologie et de la Bible à l’Université de Bar Ilan, fait partie du mouvement de renouveau qui traverse la communauté religieuse nationale du pays. Défiant une interdiction rabbinique vieille de plusieurs siècles d’entrer dans l’enceinte, considérée comme le lieu le plus saint du judaïsme où le premier et le deuxième temples se situaient, Fraenkel, qui a créé, l’été dernier, un cours pour guides spécialisés dans la visite du mont du Temple avec les touristes, essaie maintenant de s’y rendre chaque semaine.
« Cela mûrissait en moi depuis des années, s’est souvenue Fraenkel.
« Alors j’ai fait un bain rituel et je suis montée. Je ne peux pas complètement tout expliquer. Une partie est liée à la croyance qu’il y a une prochaine étape, que nos idéaux ne sont pas limités à l’Etat, qui est déjà beaucoup, mais que l’Etat doit manifester nos aspirations religieuses des 2 000 ans passés ».
« J’ai pris ma décision que mon judaïsme n’est pas seulement sur le passé, mais c’est aussi une attente pour le futur, a-t-elle déclaré. Je suis fatiguée de m’excuser pour cela. Si d’autres veulent s’excuser, ils sont libres de le faire. » Fraenkel n’est pas seule.
Selon les données fournies par le quotidien israélien Makor Rishon, le nombre d’Israéliens juifs visitant le mont du Temple chaque année a augmenté régulièrement et significativement au cours des années récentes : de 6 568 visites en 2009 à 8 528 en 2013 jusqu’à 10 906 en 2014.
Ces statistiques effraient les gens comme Ekrema Sabri, qui a servi comme grand mufti (expert légale islamique) de Jérusalem et de Palestine entre 1994 et 2006.
Sabri a accusé les « extrémistes » du mont du Temple de tenter de faire des « prières talmudiques » sur le site du « soi-disant Temple de Salomon », avec le soutien de la police israélienne.
« Ces groupes veulent imposer une nouvelle réalité : prier selon la tradition juive librement sans opposition des musulmans », a déclaré Sabri au Times of Israel dans une conversation téléphonique. « Ils veulent du temps spécifique pour leur permettre de prier le matin ».
« Il n’y a pas de places pour deux religions, a continué Sabri. Notre position est claire : c’est un endroit pour les musulmans par décret divin, et les Juifs n’ont pas de place dans cette mosquée ».
Les musulmans font traditionnelement référence à la place du mont du Temple comme la mosquée Al-Aqsa, une position que les autorités israéliennes ont tacitement acceptée pendant des décennies.
Dans le sillage du triomphe de la Guerre des Six Jours, les dirigeants d’Israël étaient réticents à étendre une souveraineté totale sur la mont sacré. Quelques heures après que des parachutistes israéliens aient pris le mont du Temple avec la Vieille Ville de Jérusalem à la Jordanie le matin du 7 juin 1967, le ministre de la Défense Moshe Dayan a ordonné d’enlever le drapeau israélien du sommet du Dôme du Rocher.
« S’il y a quelque chose que nous ne devrions pas faire à Jérusalem, c’est faire flotter des drapeaux israéliens sur la Mosquée d’Omar (le Dôme du Rocher) et le tombeau de Jésus », aurait alors déclaré Dayan.
Dix jours plus tard, un nouveau status quo avait été fixé. Les Juifs seraient autorités à entrer au mont du Temple comme des touristes, mais pas comme de croyants.
Le Waqf islamique, qui contrôlait l’enceinte par le biais du ministère jordanien des affaires religieuses, a continué à garder un contrôle effectif sur l’espace rituel sacré.
Mais si l’interdiction des prières juives reste en place au mont du Temple, l’attitude du gouvernement du Likud du Premier ministre Benjamin Netanyahu semble avoir radicalement changée.
Yehuda Glick, un activiste du mont du Temple et membre du parti du Likud, se rétablissant d’une tentative palestinienne d’assassinat en octobre dernier, a déclaré qu’il rencontre actuellement le ministre de la Sécurité Publique Gilad Erdan sur la base d’une discussion mensuelle pour parler de la situation du mont du Temple.
« Il m’a dit que c’est sa première priorité après la nomination d’un nouveau chef de la police », a déclaré Glick d’Erdan mercredi dernier.
Les efforts de lobby portent déjà leurs fruits. La semaine dernière, Erdan a ordonné le retrait des femmes activistes islamistes connues comme Murabitat du mont du Temple. Les femmes, qui harcèlent habituellement les visiteurs juifs sur le site, sont maintenant confinées aux portes de la place lors des visites matinales.
Erdan a également demandé au ministre de l’Intérieur d’interdire le groupe et son équivalent masculin, Murabitin.
Mercredi dernier, le mouvement de Glick, La Fondation Héritage du mont du Temple, a publié un guide pour les visiteurs du lieu, intitulé « Se lever et Monter ».
Donné en personne à Netanyahu la semaine dernière, le fascicule dispose du soutien du rabbin d’Efrat Shlomo Riskin, du dirigeant turc Adnan Oktar et du pasteur méthodiste Keith Johnson, tout comme du ministre des Affaires de Jérusalem Zeev Elkin. Actuellement disponible en anglais et en russe, le fascicule sera traduit en hébreu le mois prochain.
La volonté des principaux rabbins orthodoxes comme Riskin de soutenir le mouvement de l’ascension du mont du Temple contre les positions du rabbinat en chef est un nouveau développement, a déclaré Arnon Segal, un activiste à plein de temps âgé de 35 ans.
Lorsque Segal a visité le mont il y a 16 ans avec un ami d’Otniel Yeshiva dans les collines du sud d’Hébron, aucun de ses rabbins ne soutenait la visite. « Eux-même ne montaient pas, mais je sais qu’aujourd’hui les mêmes rabbins soutiennent cela, a déclaré Ségal. Aujourd’hui, les plupart des rabbins ne s’opposent pas à l’ascension. Certains la soutiennent même très activement ».
Segal a décidé de visiter le site du temple juif lors du festival de souccot, en 1999. A la yeshiva, le jeune étudiant avait lu un livre par Shlomo Goren, le rabbin en chef d’Israël lors de la conquête de Jérusalem Est en 1967 et l’une des seules voix orthodoxes prête à soutenir publiquement les visites malgré le statut d’impureté rituelle collective des Juifs depuis la destruction du Second Temple en l’an 70 après J.C.
La visite a été une déception. « C’était comme séparer la Mer Rouge », extrêmement difficile, a-t-il avoué. « Ils ont fait tout ce qu’ils ont pu pour nous empêcher de profiter de ce moment ».
Ignorant les heures de visites exactes, Segal et son ami ont été forcés par la police à attendre dehors pendant deux heures. Ensuite, identifiés comme des Juifs orthodoxes, ils n’ont seulement été autorités à entrer par deux et à rester sept minutes sur le mont.
« Jusqu’il y a 4 ou 5 ans, la question n’était dans l’esprit de personne, se souvient-il. L’ascension était considérée comme très étrange, incompréhensible, extrême et une transgression religieuse. Aujourd’hui, ce n’est pas une affaire. Même les ultra-orthodoxes savent qu’il y a la possibilité de visiter le mont du Temple ».
Le changement est arrivé, a-t-il déclaré, grâce à « de nombreuses personnes qui voulaient passer pour fous ».
« En fin de compte, combien de personnes peuvent-elles être folles ? Si tout le monde en parle, peut-être qu’il y a un fond de vérité. Les gens en ont simplement parlé constamment jusqu’à ce que l’on réalise que ce qui se passe là-haut est fou ».
En été, les heures de visites pour les touristes juifs sont de 7h30 à 11h et 13h30 à 14h30, les Israéliens identifiés par le police comme des religieux (et donc comme de possibles fauteurs de troubles) peuvent accéder au mont du Temple en petits groupes de 10 à 15 individus, accompagné par les policiers israéliens armés et des membres du Waqf islamique, pour s’assurer qu’ils ne murmurent pas des prières et se prosternent en signe de révérence.
Les visiteurs tournent autour de la périphérie de la place dans le sens contraire des aiguilles d’une montre en partant du Pont Mughrabi sur le mur Occidental, et sortent par une porte à proximité environ 20 minutes plus tard. C’est seulement lorsqu’un groupe juif quitte la place qu’un autre est autorisé à entrer.
« Mon travail est de passionner, tout le temps, les gens au sujet du mont du Temple », a décrit Segal au sujet de son travail actuel. Il écrit une colonne hebdomadaire sur le mont du Temple dans le journal de droite Makor Rishon, et dans un pamphlet appelé Olam Katan qui est distribué dans les synagogues à un tirage de 70 000 copies chaque vendredi.
« C’est extrêment important pour les Juifs d’être sur le mont du Temple, a déclaré Segal. Les autorités israéliennes s’associent aux autorités religieuses dans un effort non casher de présenter les activistes comme des fous et impliquent le Shin Bet [le service de sécurité intérieure] dans tout », a-t-il déclaré.
Son explication du pourquoi il est essentiel pour les Juifs de visiter le mont du Temple est un mélange de libertarianisme classique et de raisonnement religieux juif.
« Dans un État démocratique, la liberté de culte fait partie de la liberté d’expression », a déclaré Segal, citant un ancien juge de la Cour Suprême Aharon Barak. « La liberté de culte inclut tout ce que la loi juive nous oblige à faire sur le mont du Temple, y compris des sacrifices, pas seulement des prières ».
Selon l’activiste israélien, plus d’un tiers du nombre total des commandements juifs, spécialement ceux liés au sacrifice rituel, peuvent seulement être pratiqués sur le mont du Temple.
Le lieu historique exact de l’Autel des Offrandes Brûlées est connu des savants religieux, a-t-il déclaré, et la reprise du sacrifice rituel devrait avoir lieu immédiatement pour ceux qui sont intéressés à remplir les commandements de Dieu.
« S’abstenir de sacrifice de l’agneau pascal est un péché mortel, tout comme refuser la circoncision », a expliqué Segal, notant que la reconstruction de l’autel en bronze n’interférerait avec aucune structure musulmane sur le mont du Temple.
« La mosquée Al-Aqsa est située en dehors des périmètres saints du mont du Temple. Avec un peu de bonne volonté des Musulmans, et plus de courage de la part des dirigeants juifs, nous pourrions tous nous entendre ».
Et ensuite, il y a la question politique. Segal a expliqué que chaque espace qui n’est pas occupé par une présence juive sera contrôlé par des islamistes radicaux et deviendra « un centre pour le terrorisme mondial ». « Presque chaque semaine nous voyons des drapeaux du Hamas, du Hezbollah et du Front al-Nosra. Nous entendons des appels à la terreur, a-t-il déclaré. Il n’y a pas de vide là-haut ».
Des opposants israéliens au rituel juif sur le mont du Temple expliquent que tout changement dans le status quo établi par Dayan il y a près de 60 ans entraînerait des violences arabes graves, comme cela s’est produit à la suite de la visite du chef de l’opposition de l’époque Ariel Sharon sur le mont du Temple le 28 septembre 2000.
Cette visite est largement preçue comme l’élément déclencheur de la Deuxième Intifada, qui a commencé le lendemain.
Visiter le site n’est pas simplement un tabou politique, mais bien un tabou religieux. Depuis sa destruction il y a 2 000 ans, le Temple est passé d’un centre physique de culte juif à une place abstraite de prières et de rêves.
Concrètement, le rite individuel a remplacé le massacre historique et le sacrifice d’animaux liés au Temple, un changement que de nombreux dirigeants spirituels sont réticents à modifier.
« Au lieu de se dévouer à la Torah et aux commandements religieux, ils [les activistes du Mont du Temple] sont occupés avec quelque chose qui n’est pas un commandement », a déclaré Shlomo Aviner, un rabbin important de Bel El, dans un entretien récent.
Dans le même temps, certains activistes sont occupés à documenter les infractions des droits de visite accordés au Juifs religieux sur le mont du Temple. Lors du dernier Pâques, Elishama Sandman a fondé « Yeraeh », un groupe de volontaires qui publient des rapports quotidiens sur l’obstruction à l’ascension juive et les partagent sur les réseaux sociaux.
Lundi de la semaine dernière, a annoncé Yeraeh dans son bulletin quotidien, deux jeunes époux sont venus pour une visite, tout comme une jeune fille pour sa bat-mitzvah et un petit garçon de trois ans afin de célébrer sa première coupe de cheveux avec sa famille. La police a demandé à un touriste chrétien de retirer sa kippa, considérée comme un symbole religieux inadmissible. Autrement, les choses ont été tranquilles.
« Mon but est de montrer au public ce qui s’y passe au jour le jour », a déclaré Sandman, un étudiant de 19 ans de Safed, dans un entretien téléphonique. « Pour donner des statistiques, des données afin de souligner les bons et les mauvais éléments. Parfois, c’est difficile de montrer les bonnes choses parce que la situation est très complexe ».
Sandman a visité le mont du Temple le jour de la journée de Jérusalem il y a tout juste un an. C’était cette expérience, il a pu entrer sur le mont du Temple avec un groupe de 30 Juifs pour seulement trois minutes et ils ont dû partir immédiatement par la porte la plus proche, qui l’a poussé à agir.
« Nous étions entourés par des officiers de police et des foules musulmans en colère nous jettant des choses dessus », se souvient-il. « Je me rappelle penser que je devais faire quelque chose pour cela, pour rejoindre le combat ». Sandman a été inspiré par les pages Facebook d’Arnon Segal et de Yehuda Glick, qui documentent et partagent régulièrement leur activité.
Aujourd’hui, a-t-il déclaré, son but est d’améliorer le traitement des visiteurs juifs par la police. « Si la police avait à gérer 600 Juifs voulant entrer sur le mont du Temple à 7h30, ils devraient faire entrer plus de groupes ». Contrairement à son mentor Segal, Sandman est décomplexé quant au but final de son activité.
« Notre but ultime sur le mont du Temple est construire un Troisième Temple et de recommencer les sacrifices », a-t-il déclaré.
« Ce n’est pas un objectif distant mais une aspiration. Tout d’abord nous devons accompagner les gens et les aider à comprendre la signification de la paix ».
Mais que faire du Dôme du Rocher, une structure monumentale construite par le calife omeyyade Abdul Malik en l’an 691 sur la Pierre de Fondation, où les Juifs et les Musulmans croient que la terre a été créée ?
Sandman a répondu avec une métaphore. « Si un voleur entre dans ta maison et te dit qu’elle n’est pas à toi, tu ne penserais pas à t’entendre avec lui, a-t-il déclaré. Tu l’enlèverais et prendrais la place. C’est pareil ici : le peuple d’Israël possède cet endroit et il n’est pas de notre devoir de prendre en considération ceux qui nous l’ont volé ».
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