Tony Blair demande aux Etats-Unis de maintenir l’accord iranien
Le chef du groupe anti-prolifération nucléaire affirme que l'abandon de l'accord nucléaire serait “impardonnable” ; l'ancien secrétaire à la Défense américain estime que le monde revient aux “jours sombres” de la guerre froide
Judah Ari Gross est le correspondant du Times of Israël pour les sujets religieux et les affaires de la Diaspora.
PARIS — L’ancien Premier ministre britannique Tony Blair a prévenu lundi qu’abandonner l’accord sur le nucléaire passé avec l’Iran, comme le président américain Donald Trump a menacé de le faire, introduirait un « risque immédiat » de développement d’armes nucléaires par la République islamique. Il a cependant ajouté que la communauté internationale devait en faire davantage pour contrer le programme balistique et les efforts d’hégémonie du pays dans tout le Moyen Orient.
Même si l’ancien chef du gouvernement britannique n’a pas directement appelé Trump à certifier l’accord iranien, le moment choisi pour ce discours – dans un contexte de spéculations internationales sur l’éventuelle sortie des Etats-Unis de cette convention signée en 2015 – établit clairement l’objet de cet encouragement à se saisir de cette « question sensible ».
Blair a reconnu que l’accord sur le nucléaire, signé par l’Iran et six puissances mondiales en juillet 2015, était la cible de critiques considérables – dont certaines sont valables, a-t-il estimé – aux Etats-Unis et dans le monde mais : « Il est là », a-t-il ajouté, pour le meilleur ou pour le pire.
Le Britannique a prononcé ces propos lors de la Dixième conférence annuelle du Forum international du Luxembourg sur la prévention des catastrophes nucléaires, qui a ouvert ses portes lundi.
Blair a déclaré que maintenir l’accord « signifie, au moins pour le moment, que le programme nucléaire iranien peut être bloqué. »
Au cours des dernières semaines, Trump a laissé entendre qu’il ne certifierait pas à nouveau l’accord sur le nucléaire – un processus exigé par une disposition de la loi américaine de 2015, selon laquelle il est tenu d’informer le Congrès tous les trois mois de l’adhésion de la République islamique aux termes de l’accord, en échange d’un allègement des sanctions pétrolières, commerciales et financières internationales.
La date-butoir de cette nouvelle certification est le 15 octobre.
Des responsables israéliens, et en particulier le Premier ministre Benjamin Netanyahu, ont encouragé les Etats-Unis à abandonner le plan, appelant le président Trump à introduire de nouvelles sanctions et à négocier un nouvel accord avec l’Iran.
Trump partage un point de vue similaire, jugeant l’accord conclu avec l’Iran de « l’un des pires et des plus biaisés » jamais signé. Il a déclaré le mois dernier qu’il avait déjà pris une décision sur ce qu’il ferait, mais n’a pas donné plus de détails sur les implications de cette dernière.
Une « dé-certification » pourrait amener le Congrès à réintroduire des sanctions économiques qui avaient été suspendues pendant l’accord. Si un tel cas de figure devait se présenter, l’Iran a menacé de quitter l’accord et de reprendre des activités qui rapprocheraient le pays des armes nucléaires.
Dans son discours, Blair a indiqué que « la préservation de l’accord est une question sensible. »
Le président et cofondateur du Forum du Luxembourg, Viatcheslav Moshe Kantor, homme d’affaires et philanthrope russe, a également soutenu le maintien de l’accord sur le nucléaire iranien.
« Défaire l’accord sur le nucléaire iranien qui a été conclu entre les ‘six [puissances mondiales]’ et Téhéran serait impardonnable. Nous devons nous assurer que l’Iran se conforme pleinement aux obligations que le pays a juré de respecter et dorénavant, la question la plus importante est ce qui va arriver maintenant que cet accord est conclu », a-t-il dit.
Blair a toutefois ajouté que les puissances mondiales doivent faire en sorte que l’Iran réduise le développement de ses missiles balistiques et que le pays mette un terme à son financement de groupes terroristes dans le monde entier, deux questions qui n’ont pas été traitées par l’accord nucléaire et qui représentent une menace pour la stabilité mondiale.
« Les risques conventionnels posés par les activités de l’Iran sont une inquiétude plus immédiate que sa menace nucléaire », a-t-il estimé.
Blair et Kantor se sont exprimés devant les membres du Forum du Luxembourg, majoritairement constitué de responsables de gouvernements et d’organisations internationales. Ont assisté notamment à ce forum l’ancien conseiller à la sécurité nationale israélien Uzi Arad et l’ancien vice-conseiller à la sécurité nationale Ariel Levite.
En plus des risques posés par l’abandon de l’accord sur le nucléaire, Blair a également mis en garde face aux menaces représentées par la Corée du Nord, « irrationnelle » et dotée de l’arme nucléaire, ainsi que par le Pakistan et l’Inde, toujours en conflit.
Mais plus importante encore, a-t-il dit, est la menace inhérente à la rupture des liens entre les deux superpuissances nucléaires du monde : les Etats-Unis et la Russie.
Blair a expliqué que la seule manière de gérer ces questions est un travail acharné des gouvernements du monde entier, ainsi que des experts sur le nucléaire. « Les faits comme les détails importent », a-t-il dit.
« La diplomatie multilatérale est démodée. Cela ne devrait pas être le cas. Elle est essentielle et indispensable pour anticiper les risques d’aujourd’hui », a-t-il déclaré.
William Perry, qui a servi comme secrétaire d’Etat américain à la Défense sous la présidence de Bill Clinton, a averti que le monde « est en train de recréer les conditions qui pourraient nous amener à buter contre une guerre nucléaire » et à « revenir aux jours sombres de la guerre froide. »
Perry, qui a occupé plusieurs postes au secrétariat à la Défense pendant la guerre froide, s’est interrogé : « Avons-nous oublié la crise des missiles de Cuba ? »
L’ancien secrétaire d’Etat à la Défense a rappelé un certain nombre d’autres cas de catastrophes évitées de justesse pendant la guerre froide, quand une erreur humaine ou technique pouvait presque mettre le monde au bord d’une guerre nucléaire.
Il a averti qu’aujourd’hui la même chose pourrait se passer entre les Etats-Unis et la Russie, l’Inde ou le Pakistan et la Corée du Nord et du Sud.
« Nous pourrions avoir le même nombre de victimes que pendant toute la Deuxième Guerre mondiale. Simplement, un tel bilan serait atteint en six heures et non pas en six ans », a-t-il dit.
Lundi également, la Première ministre britannique Theresa May a expliqué à Netanyahu que l’accord sur le nucléaire iranien était essentiel pour la sécurité régionale, et que son gouvernement était fermement engagé envers cette convention historique signée en 2015.
Un porte-parole de Downing Street a annoncé dans un communiqué que May avait souligné l’importance de cet accord qui « a neutralisé la possibilité de l’acquisition d’armes nucléaires par les Iraniens pour une période de plus d’une décennie. »
« La Première ministre a précisé que le Royaume-Uni reste fermement investi dans cet accord, et que nous pensons qu’il présente une importance vitale pour la sécurité régionale », pouvait-on lire dans le communiqué, ajoutant que May a également mis l’accent sur le fait qu’il était important que la convention soit « minutieusement contrôlée et appliquée de manière appropriée et que les parties s’en tiennent à leurs engagements. »
Les deux dirigeants sont tombés d’accord sur le fait que « la communauté internationale doit continuer à travailler de concert contre les activités de déstabilisation régionale de l’Iran ».
Note : Le Forum du Luxembourg a payé le voyage du journaliste.
L’équipe du Times of Israël a contribué à cet article.