Ukraine : Les fêtes juives mettent en lumière une communauté changée par la guerre
Résistants et unis, les Juifs du pays constatent que sept mois après l'invasion russe, les temps difficiles rapprochent les gens, Juifs et non-Juifs
KYIV, Ukraine (JTA) – Pour certains des dizaines de milliers de pèlerins hassidiques qui se sont rendus aux célébrations de Rosh HaShana à Ouman, la ville occidentale de Lviv fait office d’étape dans le long voyage vers la partie orientale du pays depuis les points d’accès d’Europe centrale et occidentale.
Mais jusqu’à présent, cette année, Lviv a connu des fêtes du Nouvel an juif étonnamment dynamiques. Rosh HaShana a été célébré par un plus grand nombre de Juifs que d’habitude, venus de toute l’Ukraine – beaucoup d’entre eux participant aux célébrations pour la toute première fois, selon le responsable du centre Hillel de la ville.
« Les années précédentes, il était difficile de faire venir les gens, mais cette année nous n’avons pas assez de places » pour les offices dans le centre Hillel, qui ne peut accueillir que 50 à 60 personnes, a déclaré Nataliya Tolok, responsable de la section locale de l’organisation pour les jeunes adultes juifs du monde entier.
Recevez gratuitement notre édition quotidienne par mail pour ne rien manquer du meilleur de l’info Inscription gratuite !
Le changement n’a pas été stimulé par une revitalisation naturelle de la communauté locale. Au contraire, l’invasion russe à l’est a transformé Lviv, la plus grande ville de l’ouest de l’Ukraine, qui se trouve juste à côté de la frontière polonaise, en une plaque tournante de réfugiés cherchant à échapper à la violence. Plus de sept mois après le début de la guerre, le centre Hillel et la seule synagogue en activité de la ville distribuent encore des dizaines de milliers de colis alimentaires. Ils aident principalement la population juive locale, mais aussi les non-Juifs dans le besoin.
« Tout le monde était sérieux et solennel » ce Rosh HaShana, a déclaré le rabbin Mordechai Bald, grand rabbin de la ville et chef de la synagogue Tsori Gilod, qui a enregistré une forte participation à Rosh HaShana. « Nous ne savons pas ce qui nous attend l’année prochaine, particulièrement ici en Ukraine. On craint une nouvelle vague d’attaques à cause de la récente mobilisation russe. Cette peur plane juste au-dessus de nous, ce sentiment de vide est tangible et si réel. »
Alors que la migration des Juifs vers Lviv est symboliquement représentatif de la façon dont la guerre a déplacé tant d’Ukrainiens, les offices des fêtes du Nouvel an juif se sont avérés être des exceptions dans un pays qui a vu des milliers de Juifs partir pour Israël et ailleurs depuis février.
À Kiev, la capitale du pays qui abritait avant la guerre une communauté juive importante et florissante, la synagogue historique Brodsky est aujourd’hui à moitié vide. En hiver et au printemps, elle accueillait des centaines de réfugiés, mais à présent, les Juifs ont fui le pays en nombre. Les autres synagogues de la ville ont également vu leur nombre de fidèles, pour les fêtes du Nouvel an juif, considérablement réduit.
« Maintenant, c’est calme, mais je sais que c’est un calme temporaire », a déclaré le rabbin Moshe Azman, qui dirige la synagogue Brodsky et qui est l’un des nombreux hommes à revendiquer le titre de grand rabbin d’Ukraine. Il a ajouté que sa synagogue a également dépensé plus de 2 millions de dollars pour évacuer les Juifs de tout le pays.
« La Russie a mobilisé des soldats, mais nous nous préparons pour les fêtes et faisons ce que nous pouvons, envoyons des colis de soins aux soldats juifs, … », a déclaré Azman. « Nous ferons tout ce qui nous est possible pour apporter un sourire aux gens en ces temps difficiles. »
Malgré l’atmosphère sombre, un événement deux jours après Rosh HaShana a symbolisé le réchauffement des relations de l’Ukraine avec sa population juive – des liens qui, historiquement, ont été marqués par des effusions de sang.
Jeudi, l’Institut ukrainien de la mémoire nationale – un organisme affilié au gouvernement qui avait été dirigé par des voix nationalistes controversées de 2015 à 2020 – a organisé un événement à Babi Yar, pour commémorer le 81e anniversaire du massacre de plus de 30 000 Juifs par les nazis en 1941. L’événement a symboliquement lié la souffrance des Juifs en Ukraine à la guerre actuelle, en établissant des parallèles entre la Shoah et l’invasion de la Russie. Plusieurs chefs religieux, dont des prêtres chrétiens orthodoxes et catholiques, étaient aux côtés d’Azman.
Volodymyr Tylischak, directeur adjoint de l’Institut, a déclaré à la JTA que l’on peut « sentir le lien entre l’Ukraine et le peuple juif » surtout pendant les fêtes du Nouvel an juif, et qu’il « croit que la réconciliation est possible ».
La guerre n’a pas non plus entravé le travail du musée Sholom Aleichem de Kiev – le seul musée juif public du pays qui étudie et préserve l’histoire juive en Ukraine – selon un chercheur qui a souhaité rester anonyme pour des raisons de confidentialité. Malgré la guerre, le travail d’étude de la communauté juive se poursuit « comme d’habitude », a-t-il déclaré.
« Maintenant, nous sommes tous unis, Juifs et non-Juifs, pour combattre la Russie », a-t-il ajouté.
Il y a un endroit où les réjouissances juives ont eu lieu comme à l’accoutumée, ou presque : Ouman, le site du pèlerinage annuel de Rosh HaShana pour des milliers de Juifs, la plupart orthodoxes, qui se rendent sur la tombe du sage du XVIIIe siècle, Rabbi Nachman de Breslev.
Bien que le nombre de visiteurs ait diminué par rapport aux 40 000 à 50 000 visiteurs enregistrés ces dernières années, avant la pandémie de COVID-19, quelque 25 000 personnes ont bravé les dangers d’un voyage dans une zone de guerre cette année. Ils ont été confrontés à des mesures de sécurité renforcées et à un couvre-feu, entre autres nouvelles règles – que beaucoup ont bafouées.
Alors que les pèlerins d’Ouman sont souvent stéréotypés comme des adeptes ultra-orthodoxes de la communauté hassidique Breslev, la petite ville attire une grande diversité de visiteurs Juifs. Chacun trouve son compte à Ouman. Pour certains, c’est un lieu d’apprentissage hassidique tranquille. Pour d’autres, comme Jacob, un libertaire de Floride qui n’a pas donné son nom de famille, Ouman est comme un festival où il y a toujours de la musique et des cercles de danse.
« C’est le Woodstock juif », a déclaré Jacob à la JTA. « Je savais que je devais en être ».
De nombreux pèlerins sont arrivés des semaines à l’avance, craignant que les frontières soient à nouveau fermées comme aux premiers jours de la pandémie de COVID. Depuis février, il n’y a pas eu de vols vers l’Ukraine, les visiteurs ont donc dû se rendre dans les pays voisins, d’où ils ont fait des trajets éreintants et coûteux en bus ou en taxi pour atteindre Ouman.
Benyamin, un orthodoxe de 39 ans originaire du nord de l’État de New York, a déclaré qu’il avait l’impression constante d’être « dans un rêve » durant son séjour à Ouman. « C’est un pays en guerre, mais je n’avais pas peur », a-t-il dit.
Lorsqu’il est arrivé à Ouman, Benyamin a collecté de l’argent en demandant la tzedakah, ou charité, à ses amis et aux passants, car il avait dépensé ses économies pour acheter un billet d’avion pour la Moldavie. Mais comme il l’a dit à la JTA, « plus nous traversons d’épreuves et de tribulations pour arriver à Ouman, plus notre réussite est grande. Je suis tellement heureux d’avoir passé Rosh HaShana ici ».
Pour les responsables locaux, Rosh HaShana est considéré comme un fardeau, surtout en temps de guerre.
« Chaque fois que les Juifs viennent, ils apportent le mauvais temps – avec leurs pleurs, leurs prières – c’est ce qu’on dit à Ouman », a déclaré l’un des cinq gardes ukrainiens lourdement armés à un poste de contrôle séparant le quartier juif d’Ouman du reste de la ville.
Le conseil municipal n’apprécie pas non plus beaucoup les touristes juifs.
« Nous ne recevons aucune aide, seulement des mots, d’Israël et d’ailleurs. Nous dépensons 2 millions de hryvnias [environ 55 000 dollars] rien que pour le traitement des ordures à chaque fois que les Breslovers viennent. Nous devons également faire appel à des centaines de policiers de toute la région pour les contenir », a déclaré le maire adjoint Oleh Hanich à la JTA.
« Avez-vous déjà été en Israël ? Il y a une guerre là-bas. Ici, ce n’est rien », a déclaré Guy, un Israélien grand et brun qui vit à Ouman avec sa fille depuis plusieurs années.
À Lviv, Tolok essaie de trouver une lueur d’espoir. Elle pense que les Juifs ukrainiens ressentent un sentiment de solidarité qu’ils n’ont pas ressenti depuis longtemps.
« On se sentait plus unis que d’habitude », a-t-elle dit à propos des offices de Rosh HaShana. « Cette énergie communautaire semble nécessaire, surtout maintenant. Maintenant qu’il y a une guerre, tout semble plus sincère et chaleureux. »
Noah Frank a contribué à ce reportage, qui a été réalisé à Kiev, Lviv et Ouman.
... alors c’est le moment d'agir. Le Times of Israel est attaché à l’existence d’un Israël juif et démocratique, et le journalisme indépendant est l’une des meilleures garanties de ces valeurs démocratiques. Si, pour vous aussi, ces valeurs ont de l’importance, alors aidez-nous en rejoignant la communauté du Times of Israël.
Nous sommes ravis que vous ayez lu X articles du Times of Israël le mois dernier.
C'est pour cette raison que nous avons créé le Times of Israel, il y a de cela onze ans (neuf ans pour la version française) : offrir à des lecteurs avertis comme vous une information unique sur Israël et le monde juif.
Nous avons aujourd’hui une faveur à vous demander. Contrairement à d'autres organes de presse, notre site Internet est accessible à tous. Mais le travail de journalisme que nous faisons a un prix, aussi nous demandons aux lecteurs attachés à notre travail de nous soutenir en rejoignant la communauté du ToI.
Avec le montant de votre choix, vous pouvez nous aider à fournir un journalisme de qualité tout en bénéficiant d’une lecture du Times of Israël sans publicités.
Merci à vous,
David Horovitz, rédacteur en chef et fondateur du Times of Israel