Un an après le 7 octobre, le rituel de deuil communautaire de Yom Kippour prend un nouveau sens
Dans une tentative pour intégrer la tragédie dans les rites, certains rabbins choisissent de lui dédier des prières, comme au conflit de plus de douze mois qui s'éternise

JTA — En 2001, Yom Kippour tombait le 26 septembre, soit deux semaines après les attentats terroristes qui ont fait s’effondrer le World Trade Center. À ce moment, déjà, les principales confessions avaient créé des prières spéciales pour le Yizkor, moment de prière dédié à la mémoire des morts. La prière du Mouvement Réformé était inspirée de la liturgie dite pour les « martyrs » juifs et les victimes de la Shoah.
« Souvenez-vous de tous ceux qui ont péri de la main des terroristes ce jour-là », pouvait-on y lire. « Accorde à leurs familles la paix et le réconfort en ton nom. »
Yom Kippour commence cette année le 11 octobre, soit quatre jours après le premier anniversaire du massacre commis par le Hamas le 7 octobre 2023 en Israël, et une fois encore, rabbins et liturgistes tentent de trouver le moyen de ritualiser la douleur encore palpable de la communauté en ce jour saint.
Certains groupes ont publié des suppléments au livre de prières des Grandes Fêtes, connu sous le nom de mahzor [cycle], avec des réflexions, des prières et des services entiers pour parler du deuil et du mal être qui entoure désormais cette journée et les 12 mois qui ont suivi, témoins d’une crise qui donne bien peu de signes d’amélioration.
Cette année, le cycle entier des Grandes Fêtes est comme hanté par le 7 octobre, surtout Simhat Torah, point culminant des fêtes : le Hamas a en effet franchi la barrière sud d’Israël le jour de cette fête, l’an dernier, et les congrégations ont du mal à savoir comment célébrer ce qui est supposé être une fête joyeuse au moment-même du yahrzeit, ou anniversaire de la mort, des plus de 1 200 morts de l’attaque et de l’enlèvement de 251 personnes.
Mais Yom Kippour présente également d’autres défis après une année des plus traumatisantes pour les Juifs. L’office de Yizkor, célébré pendant les fêtes de l’année, est souvent perçu comme une occasion de communier personnellement avec leurs proches disparus : un parent, un conjoint, un enfant. Comment trouver un équilibre entre la caractère personnel de ce qui est supposé être une journée d’introspection et le chagrin collectif né d’une attaque dévastatrice ?
La rabbin Karen Reiss Medwed dit avoir eu ce souci d’équilibre à l’esprit – d’aucuns pourraient parler de contradiction – lorsqu’elle a écrit un « Yizkor pour les victimes du 7 octobre » pour le Mouvement conservateur.
« L’idée n’est pas d’éclipser qui que ce soit ou de donner l’impression que les pertes individuelles sont de peu de poids par rapport à nos luttes communautaires », explique Reiss Medwed, professeure émérite à l’Université Northeastern. Et pourtant, Yizkor, ajoute-t-elle, « n’est pas quelque chose de figé. Il se transforme au cours de la vie et des pertes qui sont les nôtres. Cela peut être réellement dramatique et difficile ou donner à des souvenirs plus doux de grands-parents décédés à un âge avancé. »

Ses cinq pages de prières sont tissées de questions et de réponses des victimes du 7 octobre – y compris de « jeunes épris de paix » et de « travailleurs étrangers » – et font écho à l’« Eleh Ezkerah », ou martyrologe, récité à Yom Kippour. On y récite le nom des kibboutzim et villages attaqués et on y trouve une adaptation de la prière commémorative traditionnelle « El Maleh Rachamim » qui fait référence à ceux qui « ont été cruellement massacrés lors de ce fatidique Simhat Torah ».
Le rabbin Joel Pitkowsky, de la congrégation Beth Sholom de Teaneck, dans le New Jersey – dont, en toute transparence, je suis membre -, explique qu’il reprendra des parties de la liturgie de Reiss Medwed à Yom Kippour. Pour Pitkowsky, ce Yom Kippour sera un jour d’introspection personnelle et de repentance mais aussi de reconnaaissance du point « où nous en sommes en tant que peuple juif ».
« Comment se concentrer sur le fait de devenir une meilleure personne – tout ce que Yom Kippour suppose », dit-il, « en ce moment incroyablement fort, triste et plein de sens de l’histoire juive ? »
La réponse, selon lui, se trouve dans la liturgie traditionnelle de Yom Kippour, où même les péchés personnels sont confessés au pluriel, et les tragédies historiques sont rappelées dans la Martyrologie. « Le judaïsme est fait de tensions créatives entre l’individu et le groupe ».

La rabbin Naomi Levy, qui a écrit une méditation sur Yizkor pour le 7 octobre, ne voit pas l’équilibre entre le deuil personnel et le chagrin communautaire face aux attaques et à la guerre comme un « problème ».
« C’est une responsabilité », analyse Levy, qui dirige la congrégation indépendante de Nashuva à Los Angeles. Le deuil du 7 octobre « est une chose dont les gens ont besoin ».
A Nashuva, des prières seront consacrées aux êtres chers des fidèles, suivies de prières pour les victimes du 7 octobre.
La prière qu’elle a écrite demande à Dieu de se souvenir des victimes et de donner de la force à ceux qui les pleurent. « Dieu des cœurs brisés, Dieu des vivants, Dieu des morts, envoie réconfort et force aux personnes en deuil, envoie l’espoir aux enfants, envoie la guérison à Israël », peut-on y lire.
D’autres suppléments écrits pour le premier Yom Kippour Yizkor depuis les attentats sont sur la même longueur d’onde, parfois avec une emphase sensiblement différente.
La prière de Binyamin Holzman pour le Centre Rituel de l’Institut Shalom Hartman comprend une référence au personnage biblique Job, qui a prié pour que la terre ne « couvre pas son sang » et ne laisse pas l’injustice de sa souffrance être oubliée.
Dans un supplément de Svivah, le groupe d’autonomisation des femmes juives, la rabbin Melanie Levav a écrit que Yizkor était nécessaire parce qu’il donnait des mots pour pleurer une tragédie comme le 7 octobre, pour laquelle « il n’y a pas de mots ».
À Beth David, congrégation réformée de Gladwyne, en Pennsylvanie, un après-midi de Yom Kippour « Yizkor/Service commémoratif pour les victimes du 10/7 » « passera du deuil personnel à notre deuil communautaire ».
Et certains groupes s’empareront des rituels de Yizkor pour marquer le 7 octobre afin de faire des déclarations politiques.
Une coalition d’organisations juives de gauche profondément critiques de la poursuite de la guerre à Gaza – y compris les Rabbins pour le cessez-le-feu, IfNotNow, les Juifs pour la justice raciale et économique et Jewish voice for peace antisioniste – organisent « un rituel public de souvenir, de refus et de réengagement » à Brooklyn le jour de Yom Kippour.
« En ce Yom Kippour, faisons de ces jours saints entre les saints en un deuil de masse et une expiation collective », peut-on lire dans l’annonce de l’événement, appelé « Yizkor ».

Une telle politisation de Yizkor devrait être rare dans les synagogues des États-Unis. Le rabbin Joel Levenson du Centre juif Midway à Syosset, Long Island, est représentatif des rabbins lorsqu’il dit ne pas penser que ses fidèles viennent aux offices de Yom Kippour « pour la politique ».
« En tant que rabbin, mon rôle est de diriger et parler à une congrégation de 1 500 personnes et faire rayonner la puissance de la Torah, qui parle à notre peuple depuis des siècles », explique-t-il.
Levenson ajoute une innovation pour le 7 octobre : Yizkor est également dit à Shemini Atzeret, l’avant-dernière fête du cycle des Grandes Fêtes, et qui coïncide avec la célébration en Israël de Simhat Torah.
Il précise que sa synagogue organisera un service spécial de Yizkor la veille, afin de souligner le décalage entre cette fête habituellement joyeuse et les massacres qui y ont eu lieu en 2023.
« Cette soirée de Chemini Atzeret sera un espace pour les prières traditionnelles de Yizkor, mais plus véritablement dédié à un espace dans un cadre rituel pour se souvenir et honorer ceux qui ont perdu la vie », ajoute-t-il.
Et pour sa congrégation, cet anniversaire est à la fois communautaire et personnel : Omer Neutra, pris en otage le 7 octobre alors qu’il servait comme commandant de char près de Gaza, a fréquenté cette synagogue dès son plus jeune âge.
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