Un documentaire sur la Shoah annulé par la ville de Harish car le sujet était gay
Suite à l’annulation, pour motifs religieux, de la projection de "Dear Fredy", sur un juif homosexuel qui a aidé des enfants à Auschwitz, le film a été projeté par des citoyens
La ville de Harish, dans le nord du pays, a annulé jeudi soir la projection d’un documentaire sur la Shoah qui devait avoir lieu à l’occasion de la journée commémorative de la Shoah, parce que le sujet du film, Alfred Hirsch, un juif allemand qui a sauvé des enfants à Auschwitz, était gay.
Après avoir appris l’annulation de la projection à la suite des objections des dirigeants de la communauté ultra-orthodoxe de la ville, d’autres résidents se sont réunis pour organiser eux-mêmes la projection du célèbre documentaire.
Le réalisateur du film, Rubi Gat, dit avoir été contacté par la municipalité il y a plusieurs mois pour organiser une projection de son documentaire de 2017, Dear Fredy. Le lieu et la date avaient été fixés – jeudi 26 janvier, la veille de la Journée internationale de commémoration de la Shoah – et Rubi Gat avait même déjà donné son aval au matériel promotionnel de l’événement.
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Quand soudain, dix jours avant l’événement, la responsable du centre pour la jeunesse de Harish a appelé Gat pour lui dire que l’événement devait être annulé.
Au cours de l’appel, que Gat a enregistré, elle lui a dit que c’était dû à « un souci » au sein de la municipalité, qu’il y avait eu des « éclats de voix » entre différents fonctionnaires de la mairie.
Elle a expliqué que l’annulation de sa projection faisait partie d’une série d’annulations d’événements consacrés aux LGBTQ dans la ville à cause de l’opposition des dirigeants Haredi.
« Le programme [LGBTQ] en général est en crise parce que nous sommes une ville mixte et qu’il s’agit d’un nouveau programme et d’une nouvelle ville », a-t-elle déclaré à Gat, en faisant référence aux communautés laïques et religieuses de la ville.
Il lui a demandé explicitement si c’était à cause de la « LGBT-phobie », ce qu’elle a confirmé.
« Au début, j’étais choqué. Le lendemain, j’étais tout simplement déprimé. Mais le jour suivant, je me suis dit : ‘Ce n’est pas bien. Si je me tais maintenant, ce genre de choses va continuer à se produire’. Ils m’ont dit explicitement que c’était parce qu’il s’agissait d’un film LGBT, qu’ils devaient y réfléchir, mais que peut-être dans quelques années ils pourraient organiser une projection », a confié Gat au Times of Israel jeudi soir.
L’annulation de la projection n’étant « pas juste » à ses yeux, Gat a exposé l’affaire au grand public, en s’adressant à la Treizième chaîne, à la Douzième chaîne et au journal Haaretz.
Quand un résident de Harish, Nitzan Avivi, a appris l’annulation, il a décidé d’organiser une projection privée du documentaire. Avivi, musicien et organisateur communautaire, avait accès à un projecteur et à un système de sonorisation et a trouvé un ami qui disposait d’un espace où organiser l’événement. Il a contacté Gat, qui a dit qu’il serait ravi d’y assister, puis a fait passer le mot dans divers groupes WhatsApp qu’il gère ainsi que sur Facebook.
Au final, plus de 60 personnes se sont entassées à ShiraDance, un studio de danse local, pour regarder le film, qui a été présenté par Gat.
« C’est sans aucun doute la projection la plus émouvante que j’aie jamais faite », a déclaré Gat au public jeudi soir.
Depuis, la municipalité a tenté de justifier cette annulation, comme n’étant pas en raison du contenu LGBTQ du film, mais parce qu’il n’y avait « pas de demande » pour cette projection. Cette affirmation est néanmoins infirmée par le fait que l’événement a été annulé avant même que la ville ne commence à en faire la publicité, si bien qu’on ne voit pas comment elle aurait pu savoir à l’avance que les habitants ne s’y intéresseraient pas.
L’adjointe au maire de Harish, Idit Entov, qui a assisté à la projection jeudi soir et qui a tenté de faire revenir la ville sur sa décision d’annuler l’événement, a confirmé à Gat que, malgré ces affirmations, la décision a bel et bien été prise en raison du contenu LGBTQ du film et de l’opposition des électeurs ultra-orthodoxes de la ville.
« C’est un film incroyable, et je suis heureuse qu’il ait pu être présenté à Harish », a déclaré Mme Entov.
Harish, une ville relativement récente, devait au départ accueillir principalement la population ultra-orthodoxe d’Israël. Après un procès devant la Cour suprême, la ville a été contrainte de s’ouvrir aux Israéliens de tous bords, même si des tensions importantes subsistent entre ses habitants laïcs et religieux, qui remontent parfois à la surface, comme dans le cas de la dispute pour la diffusion de Dear Fredy.
Dans son introduction, Gat a déploré que son film soit devenu le centre d’une telle controverse et d’un tel débat, estimant qu’il semait la division dans la société israélienne et ne faisait que détourner l’attention de l’histoire de son sujet, Fredy Hirsch.
Dear Fredy
Le film, Dear Fredy, s’appuie sur des entretiens avec des survivants de la Shoah qui l’ont connu, des animations, des images d’archives et des photos pour raconter, en 74 minutes, la vie et la mort tragique du sujet éponyme. Le documentaire commence par son enfance en Allemagne et son engagement dans des groupes sportifs sionistes et juifs, notamment le Maccabi. Lorsque les nazis montent au pouvoir, la famille de Hirsch fuit le pays et s’installe en Bolivie. Espérant immigrer en Palestine, Fredy déménage à Prague en 1935.
Grand, mince et musclé – et avec ses cheveux toujours méticuleusement coiffés – Hirsch croyait fermement au « judaïsme du muscle », une notion sioniste selon laquelle les Juifs se reconstruiraient en tant que nouveau peuple en se musclant. En Tchécoslovaquie, il a continué à diriger les activités du Maccabi, même après l’invasion du pays par les nazis.
L’homosexualité de Hirsch était notoire, déjà à l’époque. Les personnes le connaissant à l’époque et interviewées par Gat pour le film ont dit qu’il circulait des rumeurs à son sujet et des commentaires désobligeants occasionnels comme de ne pas laisser les garçons seuls avec lui. En même temps, cela ne l’a pas empêché de diriger des camps sportifs pour juifs ou de devenir une figure bien-aimée de la communauté, selon les personnes interviewées.
En 1941, Hirsch fait partie de l’un des premiers groupes de Juifs à être déportés dans le ghetto de Theresienstadt. Là, il est devenu le responsable adjoint des enfants, pour lesquels il organisait des activités éducatives et des événements sportifs.
Hirsch, qui parlait couramment l’allemand, avait réussi à convaincre les SS d’améliorer les conditions de vie des enfants. Si cela n’a jamais été prouvé de manière définitive, le documentaire indique que Hirsch aurait également eu des relations sexuelles avec des soldats allemands homosexuels, lui donnant ainsi une plus grande influence et un accès à des informations utiles dans le ghetto. Informations qu’il utilisait pour aider les enfants à sa charge.
En 1943, Hirsch a même réussi à convaincre les nazis de le laisser organiser des Maccabiades dans le ghetto pour les enfants. Des milliers de détenus y ont assisté, leur remontant le moral.
En septembre de la même année, il a été déporté à Auschwitz avec d’autres enfants de Theresienstadt, mais ils ont néanmoins bénéficié d’un statut privilégié et ont été placés dans le « camp familial de Theresienstadt« , où ils ont pu garder leurs vêtements civils et n’ont pas été forcés de se faire raser la tête, même s’ils ont été tatoués.
Il s’est avéré par la suite que cette mesure avait été prise afin de maintenir une partie des détenus en bonne santé au cas où une délégation de la Croix-Rouge viendrait inspecter le camp.
À Auschwitz, Hirsch a également été mis en charge des enfants, où on l’a nommé superviseur du bloc des enfants. Il a réussi à convaincre le Dr Josef Mengele, le nazi sadique tristement célèbre, qui faisait d’horribles expériences médicales sur les Juifs, d’allouer des rations supplémentaires aux enfants. Il a également obtenu une deuxième baraque pour les enfants et a amélioré leurs conditions. Pour remonter le moral des enfants, il a demandé à une artiste – Dina Gottliebová – de peindre des scènes de Blanche-Neige et les sept nains sur les murs de la baraque.
Hirsch exigeait des 600 enfants qui lui avaient été confiés qu’ils respectent les normes strictes d’hygiène et de propreté du camp, exigeant qu’ils se lavent régulièrement – même dans le froid glacial – et qu’ils s’inspectent pour détecter les poux. Selon les survivants du ghetto, cette mesure a permis de sauver la vie de nombreux enfants, car elle les aidait à rester en bonne santé physique et à paraître en meilleure santé lors des « sélections » des nazis, qui envoyaient ceux qui semblaient malades ou faibles aux chambres à gaz.
Alors que les gens mouraient régulièrement de faim et de maladie dans d’autres parties du camp familial de Theresienstadt, le bloc des enfants avait un taux de mortalité quasi nul, miracle qui a été largement attribué à Hirsch.
Mais ces efforts n’ont finalement servi à rien. Après plusieurs mois à Auschwitz, Hirsch a été informé par des résistants que les occupants du camp familial de Theresienstadt allaient être « liquidés » – gazés à mort et brûlés dans des fours crématoires – en mars 1944. Considérant leur mort comme inévitable, les résistants ont demandé à Fredy Hirsch, qui était très respecté par tous les groupes du camp, de mener une émeute et de mettre le feu aux baraquements en guise d’ultime acte de défi.
Ce qui s’est passé ensuite fait l’objet d’un débat historique intense et est laissé en suspens dans le documentaire. Horrifié à l’idée que tous les enfants dont il avait la charge allaient être assassinés, Hirsch aurait demandé un tranquillisant pour l’aider à se calmer. Peu de temps après l’avoir pris, il serait tombé dans le coma suite à une overdose dont il ne se serait jamais remis. Le lendemain, il aurait été emmené, inconscient, avec les enfants qu’il avait farouchement protégés pendant des mois et aurait été gazé à mort et brûlé.
On ignore si Hirsch a intentionnellement fait une overdose ou s’il a été empoisonné. Hirsch, ainsi que quelques autres détenus utiles aux nazis – dont les médecins du bloc et l’artiste Dina Gottliebová – devaient être épargnés. Or, si Hirsch avait déclenché une émeute dans le camp comme le souhaitait la Résistance, les nazis les auraient probablement tous tués, même ceux qui étaient censés être épargnés.
D’après le documentaire, qui s’appuie sur des témoignages de survivants, les médecins qui ont administré le tranquillisant à Hirsch auraient pu délibérément lui en donner trop afin d’empêcher l’émeute et d’épargner ainsi leur propre vie. L’autre explication proposée par le documentaire est que Hirsch ne pouvait pas supporter l’idée de voir les enfants dont il s’était occupé aller dans les chambres à gaz et qu’il a décidé de se suicider à la place.
Hirsch venait d’avoir 28 ans lorsqu’il est mort.
Alors que d’autres héros qui ont défendu les enfants, comme Janusz Korczak, ont été vénérés et cités en exemple pour leur profond courage moral après la Shoah, l’histoire de Hirsch est restée méconnue pendant des dizaines d’années, jusqu’à ce que plusieurs historiens se penchent sur son histoire. Et ce, malgré le fait que nombre des personnes qui ont été aidées ou sauvées par Hirsch dans le ghetto et à Auschwitz étaient enfants ou adolescents à l’époque, ce qui veut dire que beaucoup d’entre eux ont encore vécu des dizaines d’années après la guerre, durant lesquelles il leur aurait été facile de témoigner de ses activités.
Selon l’historien Dirk Kämper, qui a publié une biographie de Hirsch en 2015, le manque de reconnaissance de Hirsch serait dû à son homosexualité.
En 2016, un gymnase dans sa ville natale d’Aix-la-Chapelle, en Allemagne, a été nommé en son honneur. En 2021, il a été honoré par un Google Doodle, montrant une caricature de lui en train de faire de la gymnastique suédoise.
Gat a raconté avoir découvert l’existence de Hirsch en faisant des recherches sur un documentaire qu’il avait déjà réalisé auparavant. La sexualité de Hirsch est certes abordée dans le film – la nièce de Hirsch, qui apparaît dans le film, y confie que « la seule chose » que son père lui ait dite à propos de son oncle était qu’il était gay, « comme si c’était la chose la plus importante à son sujet » – mais elle est loin d’être le centre du sujet. Gat, qui est lui-même homosexuel, a déclaré que le documentaire est « une histoire d’héroïsme pendant la Shoah », et non un documentaire sur les questions LGBTQ.
Loin d’être un film marginal ou radical, Dear Fredy a régulièrement été diffusé par la chaîne publique Kan à l’occasion de Yom HaShoah, le jour de la commémoration de la Shoah en Israël, et a été présenté au cours des années à plusieurs festivals et événements documentaires dans le monde, notamment aux États-Unis, à Taiwan et en République tchèque.
Le film, qui est une combinaison d’hébreu, d’anglais, de tchèque et d’allemand, sera projeté au kibboutz Ma’anit, au nord-est de Netanya, la semaine prochaine. Gat a déclaré qu’il sera aussi projeté dans un certain nombre de villes et de villages à l’occasion de Yom HaShoah, les 17 et 18 avril.
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