Un ex-otage savait quand les négociations échouaient car ses ravisseurs le battaient
Omer Wenkert raconte avoir "accepté la mort" le 7 octobre, ses près de 200 jours seul en cellule et comment il a refusé de se laisser humilier par les terroristes du Hamas

L’otage libéré Omer Wenkert a déclaré mardi que, bien que coupé du monde extérieur tout au long de ses 505 jours de captivité, il savait à chaque fois qu’un accord de cessez-le-feu entre Israël et le Hamas échouait ou qu’un haut responsable du Hamas était tué, parce que les terroristes s’en prenaient à lui.
« À chaque échec des négociations, ils ressentaient une frustration immense, une rage et une colère incontrôlables », a expliqué Wenkert dans une interview accordée à la chaîne N12, la première depuis sa libération à Gaza. « Sans parler des fois où leur père, des membres de leurs familles ou encore leurs hauts responsables étaient éliminés. Vous le ressentez. Vous savez exactement ce qui s’est passé. »
Dans ces moments-là, ses geôliers le battaient, lui crachaient dessus et l’obligeaient à effectuer des exercices physiques intenses.
« J’étais très faible physiquement », a-t-il confié, ajoutant que le but de ces violences était de l’« humilier ».
Lorsqu’on lui a demandé s’il s’était senti humilié lors de la cérémonie organisée par le Hamas avant sa libération, Wenkert a répondu que pour lui, « c’était une victoire. J’ai tenu bon jusqu’au bout du combat. Je n’ai pas été humilié. Je me suis battu, encore et encore, et j’ai gagné. Je souriais d’une oreille à l’autre. »
Lors de l’entretien, Wenkert a raconté en détail son temps passé en captivité, en commençant par la nuit du 7 octobre 2023, lorsqu’il s’est rendu en voiture au festival de musique Nova avec sa meilleure amie, Kim Damti.
Damti a été tuée dans l’abri antibombes d’où Wenkert a été enlevé, mais il ne l’a appris qu’à son retour en Israël.

Wenkert se souvient avoir acheté des billets pour la rave pour lui et Damti cinq minutes après minuit le 7 octobre 2023, avant d’arriver sur place quelques heures plus tard à 6h30, les sirènes d’alerte aux roquettes ont retenti, et il s’est réfugié avec Damti dans un abri antibombes.
Dans un premier temps, Wenkert pensait « qu’il s’agissait d’un groupe de trois ou quatre terroristes, et que Tsahal arriverait d’un instant à l’autre pour les neutraliser. L’idée qu’ils puissent atteindre Reim n’a même pas traversé mon esprit. La ville est à près de cinq kilomètres de la frontière. C’est alors que les tirs par balle ont commencé ».
« Je me souviens que la dernière fois que j’ai regardé ma montre, il était 7 h 29 et qu’à la seconde même, quelqu’un a crié : ‘Rentrez, rentrez, il y a des terroristes’. J’ai entendu ‘Allahu Akbar’, une grenade a explosé dans l’abri et tout le monde s’est mis à terre. Puis, l’explosion ».

Après la première grenade, Wenkert dit que les terroristes ont tenté d’incendier l’abri. « Avant cela, c’était l’hystérie, les gens hurlaient. Mais dès qu’ils ont commencé à nous brûler, tout est devenu silencieux… J’ai commencé à suffoquer, il y avait énormément de fumée. Ils ont lancé des grenades contenant une substance qui nous asphyxiait. »
« Pendant tout ce temps, c’est horrible à dire, mais j’essayais de tirer les corps des morts pour les mettre sur ma tête et protéger ma tête s’ils venaient à nouveau nous tirer dessus, ou s’ils jetaient une autre grenade … Je voulais enfoncer ma tête le plus profondément possible, mais ma tête finissait toujours par ressortir, parce que vous mettez un corps, puis une autre grenade explose, et tout bouge. »
Wenkert se souvient avoir aperçu Damti à ce moment-là. Son corps ne sera retrouvé que plusieurs jours plus tard.
« Je pense qu’elle était encore vivante à ce moment-là, mais nous ne nous sommes pas parlé. Je ne pouvais pas parler, je n’avais pas d’air. Soudain, j’ai entendu quelqu’un passer un coup de fil, et elle hurlait de toutes ses forces : « Ils nous tuent, ils nous brûlent ». Elle l’a hurlé et, c’est le moment le plus terrible que j’ai vécu dans l’abri, parce que c’est le moment où l’on comprend pleinement, avec une lucidité brutale, que c’est bien ce qui est en train de se passer. »
Wenkert se souvient que quelqu’un a dit que l’armée était arrivée. « Trois filles sont immédiatement sorties. Je pense que Kim était l’une d’entre elles… Et puis on a entendu des coups de feu, et l’une elles est revenue en disant : ‘Ce n’est pas Tsahal, ce n’est pas Tsahal, ne sortez pas.' »

Après cela, Wenkert raconte avoir vu une autre grenade tomber près de sa tête. Convaincu qu’il allait mourir, il s’est figé. Mais une jeune femme a soudain saisi l’explosif et l’a lancé hors de l’abri. Il ignore qui elle était ni si elle a survécu.
C’est alors que Wenkert a décidé de se lever et de sortir de l’abri. « Si je dois mourir, je mourrai dehors, debout… J’ai eu un moment de ce que l’on pourrait appeler ‘d’amour-propre’. Je me suis dit que j’acceptais la mort, que j’y étais prêt, que j’allais maintenant vers ce que je considérais comme une fin certaine. Je l’acceptais et je la voulais ».
En sortant de l’abri, l’un des terroristes lui a dit qu’il ne lui tirerait pas dessus. À cet instant, Wenkert a compris qu’il ne serait pas tué sur place, mais kidnappé. « Je les ai vus s’approcher. J’ai mouillé mon pantalon. »
Wenkert explique qu’il a d’abord pensé que personne ne saurait qu’il avait été kidnappé, et qu’il s’est dirigé volontairement vers une caméra de sécurité pour s’assurer qu’il y aurait des preuves qu’il avait été kidnappé vivant. Quelques instants plus tard, il a été ligoté, embarqué dans une camionnette, et, en moins de dix minutes, il était à l’intérieur de la bande de Gaza.
En entrant dans Gaza, Wenkert se souvient avoir été entouré par une foule hostile. Il a été frappé de toutes parts, y compris par de jeunes enfants. Vingt minutes plus tard, il était déjà sous terre.
Au départ il a cru être le seul otage, puis dans un tunnel il a vu d’autres otages, quatre Thaïlandais et Liam Or, qui sera libéré avant lui. Wenkert raconte qu’ils ont tous été violemment battus et qu’ils ont passé la majeure partie de leur temps dans l’obscurité totale, avec à peine de quoi se nourrir et s’hydrater.
Wenkert a déclaré qu’il avait malgré tout décidé qu’il ne laisserait pas les terroristes l’humilier. « Si vous voulez me battre, battez-moi. Si vous voulez m’insulter, insultez-moi. Si vous voulez me priver de nourriture, alors affamez-moi. Ça m’est égal. Je sais à quoi m’attendre, et j’attends que cela arrive. »
Liam Or a été libéré après 53 jours de captivité, lors du premier accord d’échange d’otages contre un cessez-le-feu. Les ravisseurs de Wenkert lui ont alors affirmé qu’il serait libéré à son tour dans les jours suivants. Mais l’accord a échoué. Au lieu d’être libéré, il a été transféré dans une cellule d’un mètre carré.

Après la libération d’Or, Wenkert a passé les 197 jours suivants totalement seul. Pour ne pas perdre pied, il s’imposait deux heures de conversation par jour – avec lui-même.
Wenkert se souvient du jour où il a réalisé que c’était son anniversaire. Ce jour-là, il a été battu par l’un de ses geôliers.
« J’ai vu la date. Ce jour-là, j’ai été frappé. C’était mon cadeau d’anniversaire. C’est ce jour-là que j’ai reçu un coup de bâton sur la tête. La porte s’est ouverte violemment, et le terroriste m’a réveillé dans un état de rage incontrôlable. Il m’a humilié, m’a frappé, m’a roué de coups avec une barre de fer. Mais j’avais pris une décision : ne jamais montrer de faiblesse devant eux. Alors, même pendant qu’il me battait, je le regardais droit dans les yeux. »
« Après son départ, je me suis dit : ‘C’est mon anniversaire’. J’ai complètement craqué et à cet instant précis, j’ai décidé que, malgré tout, j’allais me bénir pour mon anniversaire. Je me suis dit : ‘D’accord, c’est le point le plus bas que j’ai jamais atteint dans ma vie’” Mais même là, j’ai voulu marquer ce moment. »
Wenkert explique qu’il n’avait pas accès aux informations, mais qu’il devinait les événements à l’extérieur d’après la façon dont ses ravisseurs le traitaient : la mort de membres de leur famille ou l’échec des pourparlers de cessez-le-feu se traduisaient pour lui par des passages à tabac.
Finalement, trois otages – Tal Shoham, Evyatar David et Guy Gilboa-Delal – ont été placés avec lui. Ils lui ont apporté des bribes d’informations glanées au fil de leur captivité. Chacun avait un rôle dans leur petit groupe : Gilboa-Dalal était chargé de répartir la nourriture, David veillait à l’hygiène, et Shoham tenait le rôle de « guide spirituel ».
Shoham a été libéré le même jour que Wenkert ; David et Gilboa-Dalal, eux, sont restés captifs. Une vidéo du Hamas les a ensuite montrés assistant à la libération de leurs compagnons, observant la scène depuis une camionnette.

Wenkert dit qu’il ne se passe pas un moment, depuis sa libération, sans qu’il ne pense à David et Gilboa-Delal. « Je ne pense pas que le mot ‘frères’ suffise à décrire notre relation. J’ai besoin d’eux en ce moment ».
Il pense que plus que la peur de mourir, ce qui hante ses deux compagnons restés à Gaza, c’est l’angoisse d’être oubliés, laissés là pour une durée indéterminée.
Il se souvient du jour de sa propre libération, durant laquelle il a vu les deux hommes lui faire signe depuis une camionnette, pendant qu’il se trouvait sur le podium. « Ce petit sourire qu’ils m’ont adressé avant que je ne rentre chez moi… C’est la chose la plus bouleversante que j’ai gardée de cette cérémonie. »
Quant à ses ravisseurs, Wenkert ne ressent ni haine ni désir de vengeance. « Je ne pense pas à eux. Je ne veux pas leur accorder la moindre place dans mon esprit. Cela ne m’intéresse pas, cela ne me ferait pas avancer d’une quelconque manière. Et c’est ce que Tal [Shoham] nous disait toujours : ‘N’oubliez pas qu’en fin de compte, il restera prisonnier de son propre mal, de la cruauté inhumaine qu’il porte en lui. Pas seulement lui, mais tous les autres. Nous, nous retournerons vivre. Et c’est ça, notre victoire’. »

À la fin de l’entretien, Omer Wenkert confie que son plus grand rêve est de devenir père, « mais il y a encore des gens là-bas… Je leur ai dit ‘je ne me reposerai pas un instant tant que vous ne serez pas rentrés’. »