Un récit sur Mauthausen lauréat du prix du livre étranger France Inter/JDD
"Pour s'en sortir, il faut une croûte de folie autour du cerveau", explique un détenu au jeune Iakovos Kambanellis
Le récit poignant d’un survivant grec du camp nazi de Mauthausen a reçu jeudi le prix du livre étranger France Inter/JDD.
« C’est Mauthausen qui m’a défini comme homme, je suis encore un homme du camp », écrit Iakovos Kambanellis (1922-2011), écrivain, dramaturge, et souvent considéré comme le père du théâtre grec contemporain.
Publié en Grèce en 1963 (la même année que « La trêve » de Primo Levi), le livre sobrement intitulé « Mauthausen » vient d’être traduit (par Solange Festal-Livanis) et publié en français chez Albin Michel.
Iakovos Kambanellis avait 21 ans quand, fuyant la Grèce occupée pour tenter de rejoindre la Suisse, il est arrêté en Autriche. Interné comme espion, il est conduit en octobre 1943 à Mauthausen, camp de concentration réservé aux prisonniers « irrécupérables et asociaux ».
Les détenus sont soumis à un régime effroyable. Travail forcé, exécutions par balle ou par pendaison, douches glacées dans le cadre des actions « bains de la mort ». La malnutrition et la maladie déciment ceux qui parviennent à survivre.
Le récit commence par la libération du camp par les soldats américains en mai 1945. Il reste 30 000 survivants dans le camp. 240 000 personnes y ont été assassinées.
Le camp de Mauthausen est « contre nature, dément, incroyable, terrifiant ». « Pour s’en sortir, il faut une croûte de folie autour du cerveau », explique un détenu au jeune Iakovos Kambanellis.
Le texte de Iakovos Kambanellis est aussi essentiel que les témoignages de Robert Antelme, Primo Levi ou Jorge Semprun. Comment raconter l’univers concentrationnaire à un monde incrédule?
Le tragique côtoie l’absurde, voire le burlesque. Un détenu croit être devenu un arbre. La déshumanisation est en marche. Pourtant, la vie, indomptable, ne renonce pas. Iakovos Kambanellis tombe amoureux d’une jeune Lituanienne ballottée d’un camp à un autre.
La libération du camp ne signifie pas la fin du cauchemar. Iakovos Kambanellis, matricule 37734, va y rester trois mois supplémentaires. Élu président du millier de Grecs survivants de Mauthausen, il ne partira qu’avec les derniers d’entre eux.
Il retrouvera une Grèce meurtrie, plongée dans une guerre civile qui durera jusqu’en 1949.
Devenu dramaturge, il attendra longtemps avant d’évoquer le camp. « Mauthausen a été écrit quand j’ai ressenti qu’étaient grandement trahies les espérances que j’avais eues après la fin de la guerre », se justifiera-t-il. Reprenant son texte en 1995, il expliquera : « Cinquante ans ont passé depuis cette époque-là sans que tout ce que 1945 nous a légué soit passé en nous ».
L’an dernier, le prix du livre étranger France Inter/JDD avait été attribué à l’Américaine Alexandria Marzano-Lesnevich pour « L’empreinte » (Sonatine).