Un siècle après, la Turquie bataille contre l’héritage de Sykes-Picot
"Chaque conflit dans la région a été conçu il y a un siècle", déclarait en 2014 Erdogan, toujours opposé à ces accords
Un siècle après les accords Sykes-Picot, le ressentiment d’Ankara envers ce pacte par lequel Britanniques et Français se sont partagé l’Empire ottoman reste un important moteur de sa politique étrangère sous la présidence de Recep Tayyip Erdogan.
Signés le 16 mai 1916 par les diplomates Sir Mark Sykes et François Georges-Picot alors que la défaite de l’Allemagne et de son allié ottoman se profilait, ces accords ont délimité des sphères de contrôle et d’influence françaises et britanniques qui ont largement façonné les frontières actuelles au Moyen-Orient.
Après la fondation d’une république laïque par Mustafa Kemal en 1923, l’Etat turc a tourné le dos à son passé impérial, qui a vu la Sublime Porte régner à son apogée sur un territoire s’étirant des portes de Vienne au golfe d’Aden, pour bâtir une nation moderne à l’intérieur de ses propres frontières.
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Mais depuis l’arrivée au pouvoir en 2002 du Parti de la justice et du développement (AKP, islamo-conservateur) d’Erdogan, la Turquie mène une politique étrangère ambitieuse, cherchant à renforcer son influence dans les territoires de l’ex-empire, de la Bosnie à l’Arabie saoudite.
Signe de son ambition transfrontalière, Ankara avait pour projet de créer une zone de libre-échange incluant la Syrie, le Liban, la Jordanie, puis, dans un second temps, l’Irak. L’accord a été signé en 2010, mais s’est noyé dans les Printemps arabes.
Les dirigeants turcs actuels, accusés de néo-ottomanisme par leurs détracteurs, n’ont jamais dissimulé leur mépris pour les accords Sykes-Picot qui ont, selon eux, dressé des barrières entre peuples musulmans et privé la Turquie de son influence naturelle dans la région.
A ce titre, Erdogan ne rate pas une occasion de dénoncer le « marchandage » qui a conduit Paris et Londres à « tracer des frontières avec une règle ».
« Nous nous sommes toujours opposés à Sykes-Picot, parce que Sykes-Picot a divisé notre région et a éloigné nos villes les unes des autres », a déclaré le Premier ministre Ahmet Davutoglu en mars.
‘Nouveaux Lawrence’ d’Arabie
Selon lui, certaines personnes cherchent aujourd’hui à « écrire un nouveau Sykes-Picot » en divisant la Syrie et l’Irak, alors que les Kurdes, notamment, revendiquent plus d’autonomie dans ces deux pays et en Turquie.
Les multiples crises qui ont enflammé la région ces dernières années, de la guerre en Syrie à la montée en puissance du groupe Etat islamique (EI), ont réveillé chez les Turcs les démons de Sykes-Picot.
« Chaque conflit dans la région […] a été conçu il y a un siècle », déclarait en 2014 Erdogan, qui s’en prend régulièrement aux « nouveaux Lawrence » qui cherchent à déstabiliser la région, en référence à l’officier de liaison britannique T.E Lawrence, acteur de la révolte arabe contre l’Empire ottoman.
Les accords Sykes-Picot s’inscrivent dans une « narration du ressentiment contre les ‘abus occidentaux' », explique à l’AFP Sezin Oney, professeure de sciences politiques à l’Université Bilkent.
Selon elle, « Ankara considère ces frontières comme artificielles, limitant, voire ‘volant’ ce qui appartient à l’héritage historique de la Turquie ».
Ankara a montré l’étendue de son ambition « post-ottomane » lors du conflit syrien, encourageant la chute du président Bachar al-Assad. Mais cet activisme s’est pour l’instant en grande partie retourné contre la Turquie.
Le pays, qui accueille 2,7 millions de réfugiés syriens, est aujourd’hui confronté à l’extension du conflit voisin à sa frontière, régulièrement visée par des tirs de roquettes meurtriers de l’EI, qui a commis plusieurs attentats à Istanbul et Ankara.
Une succession de commémorations récentes liées à la Première guerre mondiale ont permis aux dirigeants turcs de critiquer le pacte franco-britannique, comme lors du centenaire le 29 avril d’une victoire de l’Empire ottoman contre les forces alliées à Kut-el-Amara, dans l’Irak d’aujourd’hui.
« L’esprit de Kut-el-Amara l’emportera quoi qu’il advienne et Sykes-Picot connaîtra une défaite cinglante », a promis Davutoglu.
Le retrait prochain du gouvernement de cet ancien universitaire considéré comme l’artisan de la diplomatie turque de la dernière décennie pose la question d’un éventuel réajustement.
« Je pense qu’il y a très peu de chances », a dit à l’AFP l’ancien ambassadeur de Turquie aux Etats-Unis, Faruk Logoglu, soulignant que la politique étrangère pensée par Davutoglu avait été approuvée par Erdogan.
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