Un squelette de femme du Ve siècle pourrait renvoyer à la 1ère mortification d’une religieuse chrétienne
Une technologie de pointe a permis à des chercheurs israéliens d'établir que les restes mélangés à du métal, découverts dans une église près de Jérusalem, appartenaient à une femme
Il y a de cela près de 1 600 ans, une mystérieuse femme s’est trouvée entravée par quatre lourds anneaux de métal autour du cou et d’autres, autour de ses bras et jambes. Des plaques de fer, sur son ventre, complétaient ce qui était une sorte de blindage.
Une fois morte, cette femme a été inhumée sous l’autel d’une église, à environ trois kilomètres au nord-ouest de la Vieille Ville de Jérusalem. Or, l’inhumation sous l’autel est réservée aux plus hauts dignitaires.
C’est ainsi que l’énigmatique squelette a été retrouvé, avec sa gangue intacte d’instruments de torture, par des archéologues de l’Autorité des antiquités d’Israël chargés des fouilles de Khirbat el-Masani prélablement à des travaux de construction près du quartier de Ramat Shlomo, à Jérusalem, en 2016-2017.
Le plus difficile à comprendre, de notre point de vue moderne, c’est que cette femme s’est sans doute infligé elle-même ces mauvais traitements : en effet, nombre de sources historiques prouvent l’existence de pratiques extrêmes, et notamment d’auto-flagellation, à l’époque byzantine. Cela passait non seulement par le port de lourdes chaînes, d’anneaux métalliques ou de pierres, mais aussi par la réclusion dans de très petites pièces confinées ou des cages ne permettant aucun mouvement, des jeûnes prolongés, l’exposer du corps aux éléments, les privations de sommeil ou l’expérience du feu.
Au début, le genre du squelette était inconnu mais les experts estimaient qu’il s’agissait d’un homme, comme les deux seuls autres cas connus d’autoflagellation extrême à l’époque, également découverts au Levant. C’est l’analyse approfondie de l’émail des dents qui a provoqué un revirement et révélé que les restes étaient féminins – et sans doute ceux d’une religieuse, estiment les chercheurs.
Selon une annonce faite lundi par l’Autorité des antiquités d’Israël, cette découverte est la toute première preuve qu’une femme se soit livrée à des rituels d’auto-discipline aussi sévères.
« Nous avons découvert deux ailes d’un monastère byzantin, la partie ouest, avec plusieurs pièces et une cour, et l’aile est, dans laquelle se trouvait l’église », explique au Times of Israel le directeur des fouilles de l’IAA, Zubair Adawi, lors d’un entretien téléphonique. « L’église présentait trois absides. Nous avons placé la bima [autel] devant l’abside centrale. Il s’agit là de la partie la plus importante de l’église. Sous terre, nous avons trouvé trois tombes creusées dans le substrat rocheux. L’une d’elles contenait un squelette cerclé d’anneaux de fer.
Il s’agit d’une découverte sans précédent pour les archéologues israéliens.
« En ma qualité d’archéologue pour l’Autorité des antiquités d’Israël, je participe à de nombreuses fouilles, mais je n’ai jamais rien vu de tel », explique Adawi. « Pour retrouver quelque chose de similaire, il faut remonter aux années 1990, lorsque le squelette d’un moine enchaîné a été découvert à Khirbet Tabaliya, entre Jérusalem et Bethléem. »

Les autres tombes, sous l’autel, contenaient les restes de femmes, d’hommes et d’enfants. Grâce aux pièces de monnaie et autres artefacts découverts sur le site, les archéologues ont estimé que le monastère avait été utilisé entre le 5e et le 7e siècle de notre ère.
Le squelette cerclé d’anneaux de fer était en très mauvais état, ce qui explique qu’il n’ait pas été possible d’en déterminer rapidement le sexe.
Des chercheurs de l’Institut Weizmann des sciences sont parvenus à isoler des protéines spécifiques de la dent, appelées protéines amélogénines, codées par les chromosomes sexuels X et Y. Les Dr Paula Kotli et David Morgenstern et la professeure Elisabetta Boaretto de Weizmann ont réussi à extraire les protéines de l’émail et, grâce à une analyse de pointe, ont établi le sexe biologique du squelette.
S’agissant de l’âge, les scientifiques ont seulement pu établir qu’elle avait vraisemblablement plus de 30 ans mais moins de 60.
Une foi torturée
Les sources historiques prouvent l’existence de pratiques extrêmes de mortification à l’époque byzantine, pratiquées par les deux sexes.
« Théodoret de Cyrrhus a décrit ces pratiques dans son livre ‘Historia Religiosa’ », commente Adawi en évoquant l’éminent théologien du Ve siècle. « Il y donne des exemples de moines portant des chaînes de fer. » Cette œuvre fait par ailleurs état de deux femmes – Marana et Cyra – qui ont vécu durant 42 ans le corps entravé par des chaînes, au niveau du cou, de la taille et des membres.
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Deux autres femmes de la période byzantine, béatifiées par plusieurs églises dont l’Église orthodoxe orientale, furent vénérées pour leurs pratiques ascétiques : il s’agit de Pélagie la Pénitente et de Marina la Syrienne. La première était une prostituée convertie au christianisme qui décida de suivre son père dans un monastère à la mort de sa mère. Toutes deux ont mené une vie d’abnégation, de jeûne et de prière, mais déguisées en hommes, signe que la vie monastique était parfois difficile d’accès pour les femmes, estiment les experts de l’IAA.
D’autres sources parlent de femmes chrétiennes du Proche-Orient qui se sont installées à Jérusalem et qui ont parfois établi des monastères.
« La mortification est bien connue grâce aux sources écrites, mais les preuves archéologiques sont rares », souligne Adawi. Outre ces deux exemples de la région de Jérusalem, un moine enchaîné a été découvert en Égypte. Mais nous savons de sources historiques que la coutume s’est rapidement répandue en Europe occidentale, y compris en Italie, en France et en Angleterre.

Le mystère qui entoure l’identité de la religieuse enchaînée ne sera peut-être jamais levé mais il est probable qu’elle ait été une importante figure de cette communauté, peut-être même une personne vénérée.
« Seules les personnalités importantes étaient inhumées sous l’autel des églises », explique Adawi. « Dans la mesure où nous y avons également découvert des restes d’hommes, il est peu probable que le monastère ait été réservé aux femmes et que celle-ci ait été la cheffe de cette communauté. Peut-être avait-elle donné de l’argent à ce monastère, peut-être avait-elle joué un autre rôle.

Les recherches sur le squelette sont désormais terminées et les résultats en ont été publiés récemment dans un article universitaire, mais Adawi estime qu’il reste encore beaucoup à faire.
« Je pense qu’il nous faut mieux comprendre le rôle des femmes dans le christianisme pendant la période byzantine », conclut-il.
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