Une affaire de fraude remet en question l’inaptitude mentale de Malka Leifer
Un témoin affirme que l'ex-directrice d'école australienne accusée d'agressions sexuelles l'avait aidé à obtenir des dons avant d'empocher des chèques qui lui étaient destinés
Jacob Magid est le correspondant du Times of Israël aux États-Unis, basé à New York.
Une ancienne voisine de Malka Leifer, accusée d’agressions sexuelles, a déclaré dimanche que les affirmations d’inaptitudes mentales à l’extradition vers l’Australie s’inscrivait dans un complot au cours duquel elle a collecté des chèques et volait de l’argent.
Naomi Tzubari a été convoquée pour témoigner pour l’accusation afin de démontrer le niveau de compétence mentale de Leifer.
Elle a affirmé que, loin d’être incapable, comme l’affirme la défense, Leifer l’a activement aidée à collecter de l’argent auprès d’un réseau de bienfaiteurs en Australie, et avait réussi à falsifier sa signature pour lui voler des chèques.
Leifer, citoyenne israélienne, a quitté précipitamment l’Australie pour Israël en 2008, quelques jours avant que des accusations d’agression sexuelle contre elle n’émergent, dans le cadre d’un plan mis en place par les responsables de l’école Adass Israel, où elle enseignait.
Leifer a évité l’extradition en affirmant qu’elle était malade à chaque audience.
Mais la défense affirme que Leifer feint la maladie mentale afin d’éviter la réclusion et l’extradition vers l’Australie, où elle est accusée de 74 chefs d’accusations d’inconduite sexuelle sur ses anciennes élèves.
Tzubari, qui a été autorisée à transmettre son témoignage par écrit pour l’audience de dimanche au tribunal de Jérusalem, a déclaré au Times of Israël que Leifer habitait au-dessus de chez elle, dans un appartement de l’implantation d’Emmanuel, en Cisjordanie, il y a une dizaine d’années, peu après son arrivée en Israël.
Tzubari a raconté qu’il y a neuf ans, Leifer a pris contact avec elle, lorsqu’elle a remarqué que sa voisine traversait des difficultés financières.
Le témoin de l’accusation a affirmé que la sécurité sociale, lui avait refusé des allocations pour personnes handicapées alors qu’elle ne pouvait pas travailler suite à des blessures subies lors d’un attentat terroriste en 1991.
« Il y a des gens qui font des dons en Australie qui peuvent vous aider », avait déclaré Leifer à Tzubari. « Simplement, ne dis à personne que je t’ai donné [cet argent] », a raconté Tzubari.
« Je n’avais aucune raison de ne pas la croire, alors j’ai accepté [de la laisser m’aider] », a raconté la femme ultra-orthodoxe de 59 ans.
Tzubari a commencé à recevoir régulièrement des chèques à son nom au bureau du poste d’Emmanuel, et elle dépendait de ces entrées d’argent pour joindre les deux bouts.
Après quelques mois, Leifer a demandé à Tzubari de lui montrer comment elle signait son nom.
Admettant qu’elle avait trouvé cette demande étrange, Tzubari avait accédé à sa requête, supposant que Leifer ne cherchait qu’à aider.
A partir de ce moment-là, Tzubari a cessé de recevoir les chèques.
« Je lui ai demandé où étaient les dons, et elle m’a simplement dit qu’ils n’étaient pas arrivés », se souvient la mère de six enfants.
Lorsqu’elle a pris contact avec Leifer quelques mois plus tard, Tzubari a raconté que ses voisins du dessus lui ont donné quelques shekels et lui ont dit qu’il n’y aurait plus de dons.
« Je suis allée ensuite au bureau de poste et l’on ma dit que j’avais reçu pleins de chèques mais que quelqu’un avait déjà signé [pour les retirer] », a raconté Tzubari.
Elle a ajouté que lorsqu’elle a tenté de parler avec Leifer de ce sujet, l’ancienne directrice d’école a déclaré que son mari était ami avec le propriétaire de la poste et que Tzubari ne pourrait jamais recevoir ses chèques.
Tzubari a ajouté qu’elle avait parlé de ce problème à la police mais que rien n’avait été fait.
« L’Etat m’a ignoré, et cela m’est tombé dessus en plus », a raconté Tzubari, au bord des larmes.
On ignore d’où provenaient les chèques, mais il semblerait que Leifer avait conservé un système de soutien en Australie d’où elle pouvait puiser des fonds, et était suffisamment compétente pour exploiter le système, pour elle-même et pour autrui.
Yehuda Fried, l’avocat de Leifer a déclaré au Times of Israël qu’il n’avait pas encore lu le témoignage de Tzubari et qu’il ne pouvait donc pas le commenter.
Cependant, a-t-il dit, l’état « débilitant » de sa cliente, qui, affirme-t-il, garantit sa libération de prison et la suspension des audiences d’extradition, n’est pas quelque chose de constant, mais plutôt quelque chose que Leifer « vit dans des situations stressantes ».
Sans élément déclencheur, elle peut fonctionner normalement, affirme Fried.
Les responsables de Canberra ont déposé une requête d’extradition d’Israël pour Leifer en 2012. Deux ans plus tard, Leifer a été arrêtée à Emmanuel mais assignée à résidence.
Les juges l’ont jugée mentalement inapte à comparaître et ont levé toutes les restrictions contre elle, concluant qu’elle était trop malade pour quitter son lit.
Le procureur Matan Akiva a déclaré dimanche que l’Etat avait une demi-douzaine d’autres témoins qui affirment que Leifer est consciente de ses actes et qu’elle agit normalement, et qu’elle doit donc être extradée.
L’un de ces témoins, qui est arrivé au tribunal de Jérusalem avec Tzubari est Tzafrir Tzahi, un enquêteur privé qui a suivi Leifer en décembre 2017.
L’équipe de Tzahi, qui a été employée par l’ONG Jewish Community Watch, a communiqué ses résultats à la police. Leifer a été arrêtée une nouvelle fois deux mois plus tard, en février 2018 et est en prison depuis.
« Ce que nous avons vu, c’est une femme capable de fonctionner correctement, d’aller faire ses courses, de recevoir des amis, de prendre le bus, d’être avec ses enfants. Tout », avait déclaré Tzahi au Times of Israël.
Interrogée sur les affirmations de la défense sur l’occurrence de ses épisodes psychiatriques uniquement dans des périodes stressantes, le détective privé a répondu que « j’aurais également eu du mal à fonctionner normalement si j’étais accusé d’un tel crime ».
Mercredi, une autre audience a été planifiée pour finaliser l’accord que les partis ont conclu, où les témoins de la défense soumettront également leurs témoignages par écrit plutôt que lors d’un contre-interrogatoire.
Manny Waks, militants pour les survivants d’agressions sexuelles, a déclaré qu’il appréciait les efforts mis en oeuvre par la cour pour expédier cette affaire. « D’un autre côté, c’était une énième audience vide, la 51e au total, qui fait souffrir davantage les victimes présumées de Leifer… et sème la confusion plus largement sur la nécessite de fixer encore de nouvelles audiences, sans voir de véritables progrès. »
Waks est le PDG de Kol V’Oz, une organisation israélienne qui lutte contre la pédophilie dans la communauté juive.
Cette saga interminable « continue à soulever des questions sur les procédures légales en Israël, et fait du tort à la réputation internationale d’Israël », a-t-il accusé.
Waks a mis en garde les partisans de Leifer, qui tenteraient d’influencer l’issue du procès, faisant référence au vice-ministre de la Santé Yaakov Litzman, que la police suspecte d’avoir utilisé son poste pour obtenir un avis juridique psychiatrique attestant que Leifer n’est pas apte à une extradition.