Une artiste anglaise met le projecteur sur un massacre en Lituanie pendant la Shoah
Près du site où a été commise l'une des atrocités les plus photographiées du génocide, Jenny Kagan, conceptrice lumière, illumine ce passé sombre oublié par les locaux
Le massacre du garage Lietukis à Kaunas, en Lituanie, en 1941, fait partie des aktions contre les Juifs qui ont été les plus photographiées de la Shoah. Et pourtant, de nombreux habitants actuels de la ville n’en ont jamais entendu parler.
Le 27 juin 1941, un groupe de nationalistes lituaniens pro-allemands avait torturé et assassiné plus de 50 Juifs dans le garage Lietukis. Pendant le massacre, un soldat allemand avait photographié des dizaines de Lituaniens – dont des enfants – en train d’applaudir pendant qu’un homme appelé « le marchand de mort » battait les Juifs avec une barre de fer jusqu’à leur dernier souffle.
Parmi les hommes juifs assassinés ce jour-là se trouvait le grand-père de l’artiste britannique Jenny Kagan, Jurgis Stromas, qui possédait le cinéma Pasika [conte de fées] en ville. Comble de l’horreur, pendant le massacre public, le « marchand de mort » était monté sur un tas de cadavres et il avait joué l’hymne national lituanien avec un accordéon.
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« Ils ont également utilisé des tuyaux d’arrosage pour les torturer, ma mère m’a dit qu’ils avaient inséré des tuyaux dans leur bouche jusqu’à ce qu’ils se noient de l’intérieur », raconte Kagan au Times of Israel.
Malgré la notoriété de ce massacre, « les artistes, des personnalités éclairées et curieuses, trentenaires ou quadragénaires et qui vivent aujourd’hui à Kaunas, n’ont jamais entendu parler de ce qui s’est passé dans le garage », ajoute Kagan. Et elle s’est sentie obligée de les éclairer.
L’installation interactive de Kagan, Out of Darkness, occupe depuis le mois d’août un bâtiment abandonné non loin du lieu du massacre. En parcourant les galeries sonores, les visiteurs découvrent l’histoire des parents de Kagan, Joseph Kagan et Margaret Shtrom, qui ont survécu à la Shoah en se cachant dans le ghetto.
Depuis 2017, la conceptrice lumière d’origine britannique voyage entre l’Angleterre et la Lituanie pour créer des œuvres d’art liées à la communauté juive détruite de Kaunas. Out of Darkness a été installé près de sites ayant eu un lien avec la famille de Kagan, notamment aux abords de l’école de sa mère, de la maison de son grand-père et d’une synagogue abandonnée qu’elle a transformée pour la Biennale de Kaunas en 2017.
« J’ai établi avec Kaunas une relation à long-terme », indique Jenny Kagan, dont la dernière installation fait partie du festival Storytelling de la ville.
Avant la guerre, la population juive de Lituanie comptait 160 000 personnes ; 90 % d’entre elles ont été assassinées pendant la Shoah. Certains massacres ont été perpétrés par des Lituaniens sans même en avoir reçu l’ordre des nazis. Cela a notamment été le cas du massacre du garage Lietukis, d’après le musée américain de commémoration de la Shoah.
Aujourd’hui, il y a, à Kaunas, une communauté juive libérale d’environ 300 personnes, dont un rabbin et un boucher casher. En 2008, une plaque a été placée sur le site du massacre du garage Lietukis, « cachée sous un arbre, de sorte qu’il est impossible de la voir à moins de la chercher », dit Kagan.
‘Le monument, c’est le travail avec les gens’
Kagan se souvient avoir entendu ses parents parler régulièrement de ce qu’ils ont vécu pendant la Shoah durant son enfance. Elle se rappelle plus particulièrement des histoires de survie de sa mère, qui mettaient l’accent sur la « célébration du sentiment d’humanité chez les êtres humains », raconte Kagan.
« Les souvenirs de mon père qui avait vécu les mêmes expériences correspondaient à ce qu’il avait eu besoin de garder en mémoire », note Kagan. « Ils portaient davantage sur sa capacité à survivre à l’adversité, alors que les souvenirs de ma mère et ce qu’elle avait gardé en mémoire, c’était ce qu’il y avait pu avoir de chaleureux. »
« J’ai été témoin de leur détermination à ne pas refouler ce qu’ils ont vécu », ajoute Jenny Kagan, évoquant l’enfance passée avec ses parents.
Out of Darkness a été mis en scène par Kagan pour la première fois il y a six ans à Halifax, en Nouvelle-Écosse. Depuis, des voyages de recherche en Lituanie l’ont incitée à apporter des modifications importantes à l’exposition pour sa première à Kaunas, où les événements ont eu lieu.
Par exemple, l’installation de Kaunas comporte trois versions d’une « boîte » dans laquelle les parents de Kagan se sont cachés, un élément qui ne figurait pas dans l’exposition de Halifax. La plus grande version de la cachette a la taille d’une toute petite chambre, à l’intérieur de laquelle une radio diffuse le témoignage de Joseph Kagan.
« J’essaie en permanence de comprendre comment présenter [cette histoire] de manière à ce qu’elle soit reçue de manière efficace et utile », explique Kagan, qui a également co-créé une « expérience musicale immersive » appelée « Kauno Kantata » pour la Zalgirio Arena de la ville, à la fin du mois de septembre.
Tous les projets de Kagan liés à la Shoah sont des études sur la mémoire, qui comprennent la présentation de récits contradictoires et permettent parfois aux spectateurs de combler eux-mêmes des lacunes, précise-t-elle.
« Ma mère était obsédée par la mémoire et par le fait qu’elle est faillible, qu’elle est vague et qu’elle n’est pas figée », poursuit Kagan. L’artiste a aménagé une « salle de jeu » semblable à un salon pour que les visiteurs puissent goûter à cette dimension puissante du hasard qui intervient dans la survie.
Jenny Kagan déclare qu’il y a eu, chez les artistes et les universitaires de Kaunas avec lesquels elle a travaillé depuis 2017, « une volonté de se confronter » au passé juif de la ville et de le découvrir, y-compris la Shoah. Il est important, continue-t-elle, que Out of Darkness raconte l’histoire des Juifs de Kaunas au « rythme auquel les gens sont capables d’entendre ce récit ».
Par exemple, l’exposition s’ouvre sur une référence subtile au pogrom du garage Lietukis, avec une bande-son du bruit de tuyaux d’arrosage qui se frottent les uns contre les autres. La dernière salle de l’exposition présente des témoignages de Juifs torturés en public, avec les mêmes bruits de tuyaux d’arrosage remis dans leur contexte.
Kagan explique que, dans son travail réalisé à Kaunas, la préparation a été, à ses yeux, bien plus importante que l’aboutissement de son projet. La collaboration avec les responsables de la ville pour choisir le bâtiment Out of Darkness, par exemple, a permis à Kagan d’apprendre à connaître le quartier et de rencontrer des membres de la communauté qui ont visité l’exposition depuis.
« Le travail avec les gens est ce qui est le plus essentiel, l’exposition n’a été qu’un outil là-dedans », s’exclame-t-elle.
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