Une cuisine française casher en dehors des sentiers battus à Miami
Confit de canard, bœuf bourguignon ou risotto à la truffe et aux artichauts sont les plats proposés par la cheffe Olivia Ostrow
MIAMI (JTA) – En ce samedi soir encore un peu frais à Miami, la brasserie Ostrow est pleine à craquer.
Les serveurs – chemise blanche impeccable, cravate noire et bretelles – se faufilent entre les tables occupées par des juifs hassidiques à chapeaux noirs ou des Israéliens en veste à paillettes, sans oublier les touristes français et leurs coups de soleil qui ont eu la chance de décrocher une table à 21h45 en haute saison. Confit de canard, bœuf bourguignon ou risotto à la truffe et aux artichauts avec sa sauce au cognac sont préparés au coeur d’une cuisine ouverte sur une salle équipée de fauteuils blancs confortables et de murs en briques rehaussés d’une fresque de style Belle Époque.
C’est la petite Olivia Ostrow qui préside aux destinées de cette gestalt gastronomique. Née à Paris, la cheffe a ouvert son restaurant éponyme à l’été 2023 dans un recoin sans âme du quartier Buena Vista de Miami, très loin des zones touristiques de South Beach ou du centre-ville, et plus loin encore du quartier des restaurants casher de Surfside ou Aventura.
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En dépit de cet emplacement pour le moins atypique, le restaurant, réputé pour sa réinterprétation des classiques français avec une touche casher, connaît un succès incroyable.
« Ce choix d’une cuisine casher française authentique au milieu de nulle part, à Miami, est tout à fait « dans l’air du temps selon moi », explique Ostrow. « C’est-à-dire chaotique, unique, le reflet de mon attachement à faire ce que je veux, quitte à être toute seule à le faire. »
Cette grande habituée du secteur de la restauration, qui assortit souvent sa veste blanche de cheffe à un pantalon de cuir noir et un rouge à lèvres très rouge, a 30 ans d’expérience avec elle. Non contente d’avoir dirigé des restaurants dans sa France natale ou en Caroline du Nord, elle a également travaillé un temps avec le prodigieux restaurateur Stephen Starr, à South Beach, et a été directrice de la restauration de l’hôtel Savoy. Début 2020, elle a participé à l’émission « Grocery Games » de Guy Fieri sur Food Network, entre autres apparitions télévisées.
Au printemps 2023, elle s’est associée à Eli Dadon, l’investisseur immobilier propriétaire des murs de l’espace qui l’intéressait, pour ouvrir ce nouveau restaurant casher – une idée à lui – qui respecte le Shabbat, comme le commande la loi juive (ce qu’elle ne fait pas). Toujours prête à relever les défis, Ostrow a accepté de se lancer dans le casher.
Quelque part, il s’agit d’une étape naturelle pour elle : même si elle n’est pas juive orthodoxe, elle connaît très bien la loi alimentaire juive et tout est casher chez elle. Fière d’être juive et sioniste, elle arbore un collier en or avec une étoile de David et a un temps vécu en Israël, lorsqu’elle était âgée d’une vingtaine d’années. Elle y a travaillé pour un kibboutz du Neguev avant de vivre à Netanya, au milieu de la communauté juive française, une expérience des plus formatrices selon elle.
Désormais, son objectif, explique-t-elle, est de faire de son restaurant le tout premier établissement casher autonome à obtenir une étoile Michelin. Le légendaire guide, qui attribue des étoiles aux restaurants répondant à des critères gastronomiques exceptionnellement élevés, a commencé à publier un guide sur la Floride en 2022, uniquement centré sur les villes de Miami, Tampa et Orlando. Ces deux dernières années, 11 restaurants de Miami ont reçu une étoile, et L’Atelier de Joël Robuchon, situé dans le Miami Design District, deux étoiles, unique table gratifiée de la sorte dans tout l’État de Floride. Aucun d’entre eux n’est casher.
Jusqu’à présent, l’unique restaurant casher crédité d’une étoile Michelin est le Xerta, à Barcelone. Le menu habituel n’est pas casher mais Xerta sert des plats cuisinés dans le respect des lois alimentaires juives et dans une cuisine séparée, sous la supervision d’un rabbin Habad-Loubavitch. Il s’agit de l’unique restaurant casher étoilé au monde.
Mais les choses sont peut-être en train de changer. En novembre dernier, le chef israélien Eyal Shani a obtenu une étoile Michelin pour son restaurant new-yorkais Shmone, qui n’est pas à proprement parler casher. Mais Shani a d’autres restaurants, eux casher et réputés, comme le Dvora ou le Malka de Tel Aviv et, depuis l’automne dernier, un deuxième avant-poste de Malka, cette fois à New York.
Selon la blogueuse culinaire casher Michelle Saka, qui publie sur Instagram sous le nom de Miami Food Yenta pour plus de 15 000 abonnés et couvre la scène culinaire casher de Miami depuis sept ans, Ostrow Brasserie est une véritable « oasis » pour la communauté des restaurants casher.
« Ce restaurant est « treif good » », dit Saka en riant, en utilisant le mot yiddish pour non-casher.
« C’est un excellent restaurant qui se trouve être casher », ajoute Saka. « Quand j’ai appris qu’Olivia ouvrait son restaurant là-bas, je me suis dit : est-ce que les gens vont y aller ? Mais nombre de mes abonnés disent aimer y aller précisément parce que c’est hors des sentiers battus. Ils ont vraiment l’impression d’être en soirée. Tout le monde n’a pas envie de croiser le professeur de ses enfants. »
Saka explique que si Miami dispose d’une importante offre de restaurants casher, liée notamment à la présence d’une forte communauté juive orthodoxe moderne et des nombreux touristes orthodoxes, Ostrow a su s’inventer son propre public, à mille lieues des restaurants casher typiques.
« C’est un vrai voyage : on y va pour la cuisine, l’ambiance. Pas parce qu’on est sur une ‘rangée de restaurants casher’ et que les gens n’ont pas eu de table ailleurs. Des filles en mini-jupes côtoient des gars en peyot. À une certaine distance, mais ça marche. »
Entre-temps, Ostrow a enrichi son offre en permettant à ses hôtes de finir la soirée sur la piste de danse – une autre facette de la vie nocturne de Miami – au son de la pop israélienne ou de vieux titres français pitchés par un DJ dans une ambiance très animée. Et depuis le début de la guerre en Israël en octobre, elle organise des collectes de fonds en plus des fêtes pour Hanoukka et le réveillon du Nouvel An.
« J’aime le fait qu’il ne s’agisse pas d’un nouveau restaurant de sushi ou d’un steakhouse – c’est agréable d’avoir enfin quelque chose de différent. Et c’est bien de viser haut. Cela n’a rien à voir avec les autres restaurants casher, dans l’ambiance comme dans la déco. Vous savez, c’est un lieu très différent : elle a une histoire très cool. Elle a tellement d’expérience », explique Elan Kornblum, éditeur et président du magazine Great Kosher Restaurants et créateur du groupe Facebook Great Kosher Restaurant Foodies, qui compte près de 100 000 membres.
Kornblum souligne qu’en tant que femme cheffe et propriétaire, Ostrow est doublement unique dans le milieu de la restauration casher.
« Il n’y a pas vraiment de restaurants appartenant à des femmes cheffes à Miami, ou même à New York d’ailleurs », analyse Kornblum. « Mais elle est totalement à la hauteur », dit-il en riant. « Elle tient le coup. Elle est forte, indépendante et intrépide. »
Ostrow est heureuse d’incarner une figure pour le moins inhabituelle dans le milieu de la restauration.
« J’en suis fière et j’espère incarner une nouvelle ère dans ce milieu », confie-t-elle. « Les femmes qui viennent au restaurant – en particulier les femmes ultra-orthodoxes – sont fières et heureuses de me voir diriger le restaurant. Elles sont avec moi. Elles se sentent reconnues. »
Mais elle rappelle que c’est avant tout sa cuisine qui fait l’attrait de son restaurant, avec sa grande cuisine ouverte. Les gastronomes ne manqueront pas ses spécialités emblématiques, comme la paupiette d’agneau – des escalopes de poulet farcies d’agneau haché et de pruneaux, enveloppées de bresaola et servies avec de la purée de pommes à la truffe -.
« Quand j’ai ouvert, un ami m’a demandé : à ton avis, comment ça va se passer ici ? Je lui ai répondu qu’il se pourrait qu’un invité extrêmement orthodoxe dîne ici et, sceptique quant à la réalité de la casheroute, demande à voir la certification. C’est exactement ce qui s’est passé », explique Ostrow avec satisfaction. « Une chose est sûre, nous sommes une authentique brasserie française. Et je n’ai pas besoin d’être entourée d’autres restaurants juifs. Je suis bien dans ma bulle. »
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