Une loi du Mandat britannique de 1924 pourrait-elle tuer l’espace de prière égalitaire ?
Lors d'un audience très attendue à la Cour suprême, les deux parties pourront exposer leurs revendications, après le gel d'une décision du gouvernement sur le lieu le plus saint du judaïsme
Si le grand rabbinat israélien obtient ce qu’il veut, le mur Occidental de Jérusalem va prendre des airs d’entité religieuse indépendante, à l’instar du Vatican, après l’audience de jeudi à la Cour suprême, concernant la récente décision prise par le gouvernement de geler la création d’un espace de prières égalitaire.
Selon un compte-rendu soumis par le Conseil indépendant du rabbinat, basé sur le Palestine Order-in Council du mandat britannique en 1924, le mur Occidental (et vraisemblablement le rabbinat) est hors du cadre de la loi civile et la Cour suprême ne devrait donc pas être en mesure de se prononcer à son sujet.
Jeudi, la présidente de la Cour suprême a effectivement confirmé que le tribunal ne prendrait pas de décision sur la gestion quotidienne du lieu saint.
L’avocat Yizhar Hess, directeur exécutif du mouvement israélien conservateur, affilié au mouvement Masorti, a écrit une tribune dans laquelle il indique que le compte rendu du rabbinat « n’a rien en commun avec notre système de jurisprudence. »
« Le rabbinat de l’État a été tellement loin, au point d’affirmer que la Cour suprême de l’État d’Israël n’a pas l’autorité pour statuer sur les affaires ayant trait au mur Occidental. Le rabbinat prétend qu’il s’agit d’extraterritorialité, un sorte de mini-Vatican, où seul le grand rabbinat peut exercer son autorité, écrit Hess. J’imagine que la Cour va rappeler aux honorables grands rabbins que leur salaire ne leur est plus versé par George V, mais bien par l’État d’Israël. »
C’était le dernier épisode avant l’audience très attendue de jeudi sur l’incapacité du gouvernement à mettre en œuvre cet espace de prière égalitaire. Sur les nombreuses dates d’appel, au fil des années, visant à autoriser les Juifs pluralistes à accéder et prier librement au mur Occidental, tous espèrent que ce sera la dernière.
La décision de la Cour s’articule autour de deux lois : la loi de 1942 invoquée par le grand rabbinat, et la loi de 1967, la Loi de protection des lieux saints, qui, ensemble, constitue la base des deux argumentaires. La question est de savoir le crédit que la Cour accordera à chacune de ces lois.
Adoptée en janvier 2016, la décision du gouvernement d’ouvrir un espace de prière égalitaire a été saluée comme un geste miraculeux d’unité juive et de tolérance, accordant aux Juifs de toutes les affiliations confondues, leur propre espace « séparé mais égal » au mur Occidental, le lieu de culte juif le plus saint de l’État d’Israël.
Pour de nombreux Juifs non orthodoxes, le fait que cette décision ne se soit pas concrétisée a été le symbole de l’absence de liberté de culte en Israël, et a intensifié les dissensions entre Israéliens et Juifs de la Diaspora, et notamment des Etats-Unis, de manière générale.
Tous les yeux sont désormais rivés vers la Cour, dans l’espoir qu’elle réussira à sortir de schmilblick juridique de promesses et d’espoirs. Pour certains, la relation entre Israël et la Diaspora pourrait dépendre de cette réponse.
Séparés, mais toujours inégaux ?
Après son intégration à Israël après la Guerre des Six Jours en 1967, le mur Occidental a été divisé en deux sections : l’une dédiée à la prière, et la seconde à la recherche archéologique et à la conservation.
La zone de prière, en revanche, a rapidement évolué en une synagogue de facto orthodoxe, avec une division totale entre hommes et femmes, et en réservant la lecture de la Torah aux hommes exclusivement.
La lutte pour l’égalité des sexes au mur Occidental a été chapeautée il y a 30 ans par un groupe de femmes religieuses féministes, qui se sont nommées Les Femmes du Mur. La lutte a rapidement été adoptée par le mouvement Masorti, puis par les Juifs réformés.
Après 30 ans de luttes populaires et de négociations à huis-clos, en janvier 2016, le gouvernement israélien a adopté une décision, qui aurait permis la construction d’un pavillon agrandi qui hébergerait l’espace de prière égalitaire, au niveau de la section du jardin archéologique de l’Arche de Robinson au mur Occidental.
Depuis l’an 2000, parmi les impressionnants décombres de la destruction du deuxième Temple, une plateforme de prière en bois a été installée au service de ceux qui cherchent un espace de prière alternatif à la section séparée, du côté nord du pont de Mughrabi, qui mène au mont du Temple.
En 2013, sous l’impulsion de Naftali Bennett, alors ministre des Affaires religieuses, une deuxième plateforme, un genre d’estrade, a été installé à l’approches des prières du Nouvel an juif, pour accueillir le flux de pèlerins.
Au même moment, à l’initiative du Premier ministre Benjamin Netanyahu, et sous la direction de Natan Sharansky, président de l’Agence juive, les Femmes du Mur et les Juifs libéraux se sont lancés dans des négociations intensives pour proposer un compromis acceptable qui comprendrait l’accès et la liberté de culte pour tous au mur Occidental.
La décision adoptée par le gouvernement en janvier 2016, aurait considérablement agrandi et relié les deux plateformes, et aurait donné à la coalition de Juifs libéraux ce qu’elle attendait : une reconnaissance.
Concrètement, cette décision aurait permis de créer une entrée commune aux trois espaces de prières (hommes, femmes et mixte), et accordé aux mouvements non-orthodoxes « une voix » dans un conseil représentatif et un budget pour la section de l’Arche de Robinson.
En échange, le mouvement a accepté de « céder » la zone classique du mur Occidental, qui sera soumise au contrôle habituel et incontesté de la Fondation du patrimoine et du rabbin du mur Occidental, Shmuel Rabinovitch.
Mais ce projet a été gelé en juin. Cependant, l’idée d’une rénovation et d’un agrandissement de la section de l’Arche de Robinson a survécu. Ils ont donc « l’accès », sans la reconnaissance.
Que disent les lois, et qui les utilise et pourquoi ?
Présenté par une coalition de cinq organisations juives libérales, notamment les Femmes du Mur, et les mouvements israéliens conservateurs et réformés, l’appel demande l’application de la décision gouvernementale de janvier, à savoir la création d’une troisième section égalitaire, sur l’espace principal.
L’avocate Orly Erez-Likhovski, directrice du département juridique de l’IRAC, qui représente les demandeurs, a déclaré que la rénovation et l’application fragmentée du gouvernement ne suffisaient pas.
« Le gouvernement nous demande d’exercer notre liberté de religion d’une façon qui est discriminatoire, excluante et humiliante, loin de l’espace actuel et du public, derrière des barrières, sans être représentés dans l’organe gouvernant. Nous demandons à la Cour de rejeter cette position et de déclarer que tous les Juifs doivent être traités de façon respectable et équitable, sur le lieu le plus saint du Judaïsme, comme c’est prévu dans l’accord du Kotel », a déclaré Erez-Likhovski.
Les demandeurs demandent la concrétisation de la décision du gouvernement, et notamment « un espace de prière respectable et accessible, qui fera intégralement partie du [mur Occidental] sur le plan juridique (comme il sera stipulé dans les lois sur les lieux saints), sur le plan physique (entrée commune et visibilité depuis l’espace supérieur du Kotel) et publiquement », selon les revendications des Femmes du Mur.
« Comme alternative à l’application de l’accord du Kotel, un troisième espace de prière dans l’espace principal (nord) pourrait être alloué, dans lequel les fidèles des Femmes du Mur pourraient prier selon leurs coutumes, sans être harcelées ni dérangées », ont déclaré les Femmes du Mur dans un communiqué de presse.
Le grand rabbinat et d’autres organisations plus petites s’opposent à l’État, y compris le groupe dissident des Femmes du Mur, les « Femmes du Mur originales », qui ne veulent pas être reléguées à la section de l’Arche de Robinson.
Après le gel théâtral de Netanyahu en juin 2017, l’audience a été reportée d’un mois pour donner au grand rabbinat la possibilité de présenter sa position, parce qu’il affirmait que le représentant de l’État, le procureur général « ne pouvait présenter une position qui soit incohérente avec celle de l’État. »
Dans un résumé de 200 pages, le juriste du rabbinat Harel Arnon a expliqué que l’argumentaire du rabbinat est double : selon la loi de 1924, la Cour n’a aucune juridiction sur le mur Occidental, et selon une loi de 1967, si c’est tout de même le cas, le gouvernement aurait dû consulter le rabbinat avec de prendre sa décision en janvier 2016.
Rédigée à l’époque du mandat britannique, la loi de 1924 dispose que le principe de liberté de culte n’est pas soumis à la juridiction de la Cour : « Aucune cause ni question en relation avec les lieux saints, les sites ou les bâtiments religieux en Palestine ou les droits ou revendications liées aux différentes communautés religieuses en Palestine ne devraient être soumises devant une quelconque Cour en Palestine. »
La Vieille ville de Jérusalem n’a été intégrée à l’État qu’une vingtaine d’années après sa création, après la guerre de 1967, qui a permis à pléthore de nouveaux lieux saints de passer sous contrôle israélien. Rapidement, la Knesset a adopté la Loi de protection des lieux saints, qui dispose que « les lieux saints seront protégés de la profanation et de toute autre violation, et de tout ce qui serait susceptible de violer la liberté d’accès aux membres des différentes religions aux lieux qui leurs sont sacrés ou leurs sentiments à l’égard de ces lieux. »
De plus, selon la loi de 1967, le rabbinat aurait dû être consulté avant l’accord sur l’espace égalitaire, mais cela n’a pas été le cas. Cela signifierait que la décision du gouvernement est illégale est qu’elle ne peut pas être appliqué, selon l’avocat du rabbinat. « Le ministère des Affaires religieuses est chargée de l’application de cette Loi, et il pourrait, après consultation avec les représentants des religions concernées, ou dans le cadre d’une proposition de leur part, et avec l’accord du ministère de la Justice, faire des lois sur tous les questions relatives à cette application », stipule la loi.
La loi de 1924 peut-elle vraiment faire la différence ?
Bien que le recours à une loi pré-étatique, de 1924, puisse sembler ridicule pour certains, le directeur de Hiddush : For Religious Freedom and Equality, le rabbin Uri Regev, a déclaré que la position du rabbinat est « un point théorique qui, si la Cour le souhaite, peut servir de raison à la Cour pour ne pas intervenir. » Mais il a ajouté que « au regard du [mode de fonctionnement] de ces dernières années, je ne pense pas que ce sera le cas. »
Hiddush fait partie de ceux qui ont présenté l’appel de jeudi devant la Cour suprême, et travaille en coopération avec des partenaires internationaux et des donateurs pour tout ce qui a trait à la liberté de religion en Israël, notamment la liberté de mariage, qui est un souci de préoccupation majeure pour de nombreux Israéliens.
D’autres groupes qui ont présenté l’appel fondent également leur argumentaire sur ces lois. Selon l’avocate, Dr Susan Weiss, directrice du Center for Women’s Justice, « le CWJ demandera principalement à la Cour aujourd’hui d’orienter toutes les branches de l’État – notamment la police, le rabbinat, et le Commissaire du Mur – pour défendre et s’assurer des droits civiques et fondamentaux des femmes à la liberté de mouvement, de religion et de conscience, et de l’égalité de l’accès aux sites nationaux et aux services religieux. »
Pour défendre son argumentaire, Weiss affirme que le Cour a autorité sur le mur Occidental, pour assurer aux femmes l’égalité de l’accès, en vertu de la Loi sur les lieux saints de 1967.
« En général, la Loi sur les lieux saints doit être interprétée en accord avec la Loi Fondamentale : la dignité humaine et la liberté, et non pas de sorte qu’elle la transgresse », a déclaré Weiss, qui rejette la revendication du rabbinat, selon laquelle la Cour n’aurait pas autorité, en raison de la loi de 1924.
« Nous affirmons que la loi britannique est lettre morte »
« Nous affirmons que la loi britannique est lettre morte, et qu’il s’est écoulé un certain temps depuis 1924, notamment l’Holocauste, la déclaration de l’État d’Israël, en accord avec la Déclaration universelle des droits de l’Homme, et l’adoption de la Loi fondamentale de la Dignité humaine et de la Liberté en 1992 » a déclaré Weiss.
« De plus, la Cour a déjà pris une décision sur la juridiction », dit-elle.
« En gros, le rabbinat et le commissaire ne sont pas libres de piétiner nos droits sans restriction ni limite », a ajouté Weiss.
Barak Medina, professeur à l’université hébraïque de Jérusalem, et le juge et professeur des droits de l’Homme Haim Cohn ont approuvé l’argumentaire de Weiss, et se sont amusés de l’idée de vouloir donner du poids à la loi de 1924 devant la Cour.
« Ce n’est pas un hasard que la personne qui la mentionne soit un juriste parce qu’un avocat au barreau ne prendrait pas de position aussi infondée », a déclaré Medina. Qualifiant la loi de 1924 de « position recyclée », Medina a affirmé que la loi de 1967 la supplante.
Parallèlement, Medina a expliqué que lors d’audiences précédentes, il était clair que les juges estimaient qu’il y avait une violation des droits de l’homme, qui devait être rectifiée.
« Le résultat dépendra de la composition des juges […]. La question est de savoir si l’espace égalitaire sera située du côté de l’espace principal, ou séparément », estime Medina.
Les juges Miriam Naor, Hanan Melcer et Yoram Danziger présideront.
« Nous avons cédé sur des choses que nous n’aurions jamais pensé abandonner »
Hess, du mouvement Masorti, espère que l’audience de jeudi sera la dernière : « nous avons cédé sur des choses que nous n’aurions jamais pensé abandonner. »
« Afin de régler ce différend une bonne fois pour toutes, nous nous sommes mêmes convaincues d’accepter le principe décrédibilisant, peut-être même anti-démocratique de ‘séparés mais égaux’. OK, vous prenez le mur Occidental que l’on connait, et nous prendrons la section méconnue, qui n’est néanmoins pas ‘le Kotel’ et nous nous dévouerons pour son développement. Nous avons cédé sur la reconnaissance, aussi, en n’acceptant qu’un certain nombre de représentants au Conseil d’administration de l’espace mixte », a dit Hess.
Hess a écrit qu’il avait honte de certains compromis fait durant les négociations.
« Nous avons cédé sur le fait de ne pas mentionner les termes ‘abjectes’ de ‘réformé’ et ‘conservateur’, dans les arrêtés pour ce lieu saint, afin de satisfaire les ministres [ultra-orthodoxes] », dit-il.
« Et la liste est encore longue… Mais nous n’aurions jamais imaginé que le gouvernement israélien nous traiterait de la sorte. Nous n’aurions jamais pensé nous faire avoir de la sorte. »
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