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Archéologie

Une mystérieuse liste de la Genizah du Caire aurait été rédigée par Maïmonide

Conservée à l'université de Cambridge, cette liste de mots en hébreu, en arabe et en dialecte roman donne un aperçu de la méthode de pensée du fameux philosophe juif du XIIe siècle

  • Une partie de la liste manuscrite des mots attribués à Maïmonide, provenant de l'Unité de recherche Genizah de l'université de Cambridge. (Crédit : Université de Cambridge/José Martínez Delgado)
    Une partie de la liste manuscrite des mots attribués à Maïmonide, provenant de l'Unité de recherche Genizah de l'université de Cambridge. (Crédit : Université de Cambridge/José Martínez Delgado)
  • José Martínez Delgado et d'autres chercheurs examinant des documents de la Genizah du Caire à l'Unité de recherche sur la Genizah de l'université de Cambridge. (Crédit : José Martínez Delgado)
    José Martínez Delgado et d'autres chercheurs examinant des documents de la Genizah du Caire à l'Unité de recherche sur la Genizah de l'université de Cambridge. (Crédit : José Martínez Delgado)
  • Le professeur Solomon Schechter travaillant sur le contenu de la Genizah du Caire qu'il a ramené à l'université de Cambridge, en 1898. (Crédit : Michelle Paymar)
    Le professeur Solomon Schechter travaillant sur le contenu de la Genizah du Caire qu'il a ramené à l'université de Cambridge, en 1898. (Crédit : Michelle Paymar)
  • La numérisation de fragments de la Genizah du Caire. (Crédit : Michelle Paymar)
    La numérisation de fragments de la Genizah du Caire. (Crédit : Michelle Paymar)
  • Maïmonide, à droite, enseignant à des étudiants : Guide des perplexes, Barcelone, 1347 ou 1348, de Moïse Maïmonide. (Crédit : Bibliothèque royale danoise, Copenhague/ Exposition du musée de l'université Yeshiva "Le chemin d'or : Maïmonide à travers huit siècles")
    Maïmonide, à droite, enseignant à des étudiants : Guide des perplexes, Barcelone, 1347 ou 1348, de Moïse Maïmonide. (Crédit : Bibliothèque royale danoise, Copenhague/ Exposition du musée de l'université Yeshiva "Le chemin d'or : Maïmonide à travers huit siècles")

Un Duolingo du XIIe siècle pourrions-nous dire.

Après avoir récemment redécouvert un bout de papier vieux de 900 ans, autrefois conservé à la Genizah du Caire, des chercheurs pensent que le célèbre philosophe et médecin juif du XIIe siècle Maïmonide s’était écrit une feuille de vocabulaire trilingue.

Découverte à l’Unité de recherche Genizah de l’université de Cambridge, la liste de vocabulaire comprend des mots en hébreu, en arabe et dans un dialecte roman probablement parlé dans sa ville natale de Cordoue. Le lien entre cette liste et Maïmonide, également connu sous le nom de Rambam, a été publié en mai par le service de presse de l’université.

« C’est incroyable, on a l’impression d’y être, là assis avec lui, et d’observer sa façon de travailler », a expliqué le professeur José Martínez Delgado. Le professeur de langue hébraïque de l’université de Grenade, en Espagne, avait fait le lien avec le fragment écrit par Maïmonide, pour la première fois, en août 2022.

D’autres chercheurs avaient déjà étudié le fragment, mais personne ne l’avait attribué à Maïmonide. Ce fragment contient des listes de mots dans quatre domaines : les couleurs, les saveurs et les arômes, les actions et la nourriture.

Martínez Delgado était en train d’examiner le fragment – dont l’auteur était jusqu’alors inconnu – lorsqu’il a soudainement eu une illumination.

« Sur les deux derniers mots, dans un angle, j’ai vu des boucles et je me suis dit que j’avais déjà vu ce visage », s’est souvenu Martínez Delgado. « Pour nous, philologues [qui étudions l’histoire des langues], les lettres manuscrites sont comme des visages. »

D’autres experts, dont Amir Ashur de l’université de Haïfa, ont confirmé que l’écriture appartenait probablement à Maïmonide en la comparant à quelque 60 autres fragments manuscrits signés par le Rambam.

Le trou le plus précieux du mur

La liste de vocabulaire fait partie de la collection de la Genizah du Caire de l’université, qui comprend environ 320 000 fragments de parchemins et de documents papier datant d’un millénaire de vie juive dans la métropole musulmane, à partir du IXe siècle de notre ère. Selon la tradition juive, les documents sacrés utilisés pour la prière ou l’apprentissage, en particulier ceux qui portent le nom de Dieu, doivent être éliminés d’une manière particulière, généralement en les enterrant dans un cimetière. Avant, les documents sont rassemblés et temporairement conservés dans des lieux communautaires juifs tels que les arrière-salles des synagogues.

Le professeur Solomon Schechter travaillant sur le contenu de la Genizah du Caire qu’il a ramené à l’université de Cambridge, en 1898. (Crédit : Michelle Paymar)

Pendant des siècles, les Juifs du Caire ont tout simplement glissé ces documents, entre autres, dans une petite pièce par un trou dans le mur de la section réservée aux femmes de la synagogue Ben Ezra – appelée genizah, du mot hébreu « stocker ». Ils comprennent des textes religieux, des contrats, des recettes, des amulettes magiques et des lettres entre hommes d’affaires impliqués dans le commerce avec l’Inde.

Le climat sec de l’Égypte a préservé ces documents pendant des centaines d’années, jusqu’à ce que la Genizah attire l’attention des chercheurs européens en 1896. Solomon Schechter, qui était alors professeur de littérature rabbinique à l’université de Cambridge (et devint plus tard chancelier du Jewish Theological Seminary de New York), a convaincu la communauté juive du Caire de lui permettre de retirer environ 200 000 documents et de les ramener en Angleterre. Ils sont aujourd’hui conservés à l’Unité de recherche Taylor-Schechter Genizah de Cambridge.

Avez-vous déjà vu ce « kouf » ?

Ce bout de papier était bien connu des chercheurs avant que Martínez Delgado ne fasse le lien avec Maïmonide. Le professeur l’avait trouvé il y a environ huit ans, alors qu’il travaillait sur un livre consacré à la vie quotidienne des Juifs andalous. Le fragment avait été placé dans une boîte avec un autre manuscrit qu’il étudiait à ce moment-là, et il avait pris note de l’étudier ultérieurement.

Avant lui, Avi Shivtiel avait publié en 2005 un article comprenant un examen du fragment, qui portait sur la manière dont les rabbins médiévaux apprenaient de nouvelles langues.

Une partie de la liste manuscrite des mots attribués à Maïmonide, provenant de l’Unité de recherche Genizah de l’université de Cambridge. (Crédit : Université de Cambridge/José Martínez Delgado)

L’année dernière, lorsque Martínez Delgado a repris ses notes et examiné à nouveau le fragment, quelque chose dans l’écriture du fragment T-S NS 38.79 a attiré son attention. Le style unique de l’écriture lui a immédiatement fait penser à l’écriture de Maïmonide.

« J’ai été choqué, car ces textes avaient déjà été publiés en 2007, et sur le blog de la Genizah, on discutait de ce fragment juste quelques semaines auparavant », a-t-il expliqué. « Je ne me suis pas fait confiance. Je me suis dit que ce n’était pas possible, que je devais être confus. Je l’ai donc envoyé à Ashur, car il a une mémoire photographique. Si vous lui montrez un manuscrit, il pourra vous donner le nom du scribe. »

Martínez Delgado a envoyé le fragment et a demandé à Ashur qui pourrait en être l’auteur, sans lui révéler son hypothèse. Ashur a immédiatement répondu qu’il pensait qu’il s’agissait de Maïmonide.

La Dr. Melonie Schmierer-Lee, de l’Unité de recherche de la Genizah, est allée plus loin en identifiant une page d’un Mishneh Torah, l’œuvre maîtresse de Maïmonide, qui semblait provenir du même carnet que la liste de vocabulaire, d’après la taille et le type de papier.

Un fragment du Mishneh Torah signé par Maïmonide qui pourrait provenir du même carnet que la liste de vocabulaire. (Crédit : Cambridge University/José Martínez Delgado)

Ce n’est pas la première fois que la propension de Martínez Delgado à identifier l’écriture fait des vagues dans le monde de la recherche juive. Il y a trois ans, il a examiné le verso d’un poème bien connu de la Genizah du Caire, l’un des seuls artefacts retrouvés dont les chercheurs savent qu’il a été écrit par une femme, l’épouse de Dunaš Ben Labraṭ. Il a fait l’objet de nombreuses expositions dans le monde entier, en tant qu’exemple des débuts de la littérature féminine au Moyen-Orient. Mais les chercheurs n’avaient pas examiné de près l’autre côté du fragment, et lorsque Martinez Delgado a commencé à l’étudier, il a reconnu un autre vieil ami célèbre : l’écriture du poète-philosophe du XIe siècle, Shlomo Ibn Gvirol.

Comment dit-on « couleur vin » ?

Martínez Delgado et d’autres chercheurs tentent de comprendre à quoi cette liste de vocabulaire aurait pu servir au Rambam. Certains chercheurs se demandent s’il s’agissait d’une aide à l’enseignement, ou peut-être en vue de rédiger un chapitre de l’un de ses livres. La théorie de Martínez Delgado est que Maïmonide l’a écrite comme un passe-temps, soit pour apprendre une nouvelle langue – d’un rabbin en visite – soit pour voir ce qu’il aurait pu retenir d’un dialecte qu’il aurait entendu dans son enfance dans sa ville natale de Cordoue.

José Martínez Delgado, professeur de langue hébraïque au Dpartement des langues sémitiques de l’université de Grenade, en Espagne. (Crédit : José Martínez Delgado)

Au Xe siècle, les habitants de l’Andalousie, dans le sud de l’Espagne, en particulier dans les villages, parlaient de nombreux dialectes différents, qui combinaient l’espagnol et d’autres langues romanes de la région. Au fur et à mesure de la conquête de l’Espagne par les Maures, les habitants des villes ont commencé à utiliser régulièrement l’arabe pour obtenir des postes de haut niveau au sein du gouvernement local. Au XIe siècle, la plupart de ces dialectes ont disparu, l’arabe devenant la principale langue pour communiquer.

Maïmonide essayait-il, peut-être, de voir de combien de mots il se souvenait de son enfance, ou peut-être travaillait-il avec un rabbin en visite pour essayer de mettre par écrit des parties de la langue avant qu’elle ne disparaisse à jamais.

Martínez Delgado a demandé au professeur Alberto Montaner Frutos de l’université de Saragosse, spécialiste des premiers dialectes romans d’Espagne, d’explorer les listes de vocabulaire. Frutos a remarqué que Maïmonide utilisait pour les mots des pluriels différents de ceux des dialectes romans connus. Le Rambam utilisait des formes grammaticales plurielles qui pourraient provenir de l’italien, ce qui pourrait témoigner de l’influence d’un érudit italien de passage, d’une erreur ou d’un mauvais souvenir de la langue qu’il avait entendue dans son enfance.

Les listes sont organisées par sujet et composées dans un ordre clair et hiérarchique, a expliqué Martínez Delgado. La liste des couleurs, par exemple, commence par le blanc et le noir, puis passe aux couleurs de base et se termine par des couleurs descriptives, comme « couleur vin ».

« Tous ceux qui ont étudié les langues ont fait ces glossaires avec les traductions. Même moi j’ai gardé ces carnets », a déclaré Martínez Delgado, qui a appris l’hébreu pendant qu’il terminait sa maîtrise à l’université hébraïque de 1997 à 2000.

Toujours pratiquer la recherche en toute sécurité

Martínez Delgado adore ces fragments qui permettent de découvrir Maïmonide en tant que personne, et non pas seulement en tant que sage admiré. Un autre de ses fragments préférés de la Genizah est un poème signé de la main du Rambam.

Maïmonide. (Crédit : Wikimedia commons)

« C’est un très mauvais poème, car il n’était pas poète, mais c’est ce qui était à la mode », a-t-il déclaré.

Les fragments ont été écrits sur du papier bon marché, qui est aujourd’hui laminé – recouvert d’une pellicule plastique afin de les protéger.

« Nous travaillons toujours avec ces choses enveloppées dans du plastique, c’est comme un préservatif, comme un prophylactique pour le fragment », a déclaré Martínez Delgado.

Il a ajouté que, surtout pour les fragments de Maïmonide, l’enveloppe en plastique est importante car de nombreuses personnes veulent embrasser les fragments, ce qui contribuerait à leur détérioration. Bien qu’il apprécie les mesures de sécurité, il regrette de ne pas pouvoir faire l’expérience des fragments de manière plus viscérale.

« Il me manquait vraiment de connaître l’odeur du fragment », a-t-il déclaré. « Mais un jour, un chercheur a ouvert une boîte contenant un tas de fragments [de la Genizah qui n’avaient pas été laminés] et m’a laissé les sentir, et je me suis rendu compte que l’odeur était abominable. »

Martínez Delgado est catholique, mais il s’est intéressé à Maïmonide et aux Juifs d’Andalousie parce qu’il a lui-même grandi à Cordoue, la ville natale du Rambam, en Espagne, et qu’il était fasciné par l’histoire religieuse de sa ville natale.

Il aime également la communauté très unie des chercheurs de la Genizah. Auparavant, ils se connaissaient tous très bien, passant des heures à examiner les fragments anciens à la bibliothèque de l’université de Cambridge.

José Martínez Delgado et d’autres chercheurs examinant des documents de la Genizah du Caire à l’Unité de recherche sur la Genizah de l’université de Cambridge. (Crédit : José Martínez Delgado)

Aujourd’hui, la grande majorité de la Genizah est numérisée, ce qui permet aux chercheurs d’y accéder depuis leur domicile. Pourtant, la Genizah du Caire attire un petit groupe de chercheurs dévoués qui collaborent souvent à la recherche.

« C’est un paradis pour les chercheurs, car nous ne sommes pas très nombreux, mais tout le monde est spécialiste d’un sujet », a expliqué Martínez Delgado. « Si vous avez une question, l’autre personne arrêtera son travail pour vous aider, c’est un vrai paradis. »

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