Une survivante de la Shoah néerlandaise raconte ce que ses yeux bleus ont vu
Betty Bausch parcourt le monde pour témoigner de la façon dont elle a échappé aux nazis, et a perdu ses proches
La première chose que vous remarquerez à propos de Betty Bausch sont ses magnifiques yeux bleus. Ce sont ces yeux, sa nature intrépide et une bonne dose de chance qui lui ont permis de survivre à l’Holocauste en Hollande.
La deuxième chose que vous remarquerez à son propos, c’est qu’elle semble beaucoup plus jeune que ses 96 années.
L’esprit limpide et totalement mobile, elle n’hésite pas à monter sur un tabouret pour saisir une boîte de thé dans son élément de cuisine ou attraper un vieil album photo rangé sur une haute étagère quand l’auteure de ces lignes est venue lui rendre visite à son appartement à Kfar Saba pendant Pessah.
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Bausch devait voyager pour deux mois le lendemain de l’entretien, en Hollande et en Allemagne, pour raconter son expérience de l’Holocauste devant de nombreux groupes à l’occasion du 70e anniversaire de la libération des camps de concentration nazis. Malgré son âge avancé, elle effectue quatre ou cinq voyages de ce type par an.
« Je suis l’une des très rares personnes qui peut toujours en parler. Donc, quand ils veulent de moi, je dois y aller », dit-elle. « Mais j’ai renoncé à me rendre aux États-Unis pour le moment. »
Bausch, native d’Amsterdam, explique régulièrement à son auditoire comment elle a réussi à éviter la déportation vers un camp de concentration en adoptant plusieurs fausses identités et en déménageant dans la Hollande occupée par les Allemands plus de 20 fois au cours des dernières deux années et demie de guerre.
« Je n’ai jamais eu la chance de savoir si j’étais bonne à mes emplois d’ouvrière agricole, infirmière pour enfants, femme de ménage, baby-sitter, aide aux personnes âgées, femme de ménage ou assistante sociale », écrit-elle dans le mémoire de l’Holocauste, qu’elle a co-écrit avec sa jeune sœur Liesje (Elisheva) Auerbach, au sujet des différents travaux qu’elle a su occuper de manière plutôt convaincante tout au long de la guerre.
Bausch, qui avait joué dans certaines pièces au lycée, a certainement fait bon usage de ses talents d’actrice.
« Le soir avant de me coucher, je regardais dans le miroir et m’exerçait à ne montrer aucune crainte sur mon visage », raconte-t-elle.
Dans le mémoire, « Broken Silence » [silence brisé], la sœur de Bausch Liesje la décrit comme «pleine de vie et d’énergie, une forte personnalité qui a choisi sa propre voie dans la vie, sans permettre aux opinions des autres de prendre le dessus sur les siennes ».
« Son obstination et sa persévérance sont peut-être les qualités qui lui ont sauvé la vie », écrit-elle.
Bausch raconte que déjà à 16 ans, elle écoutait avec attention les discours d’Hitler à son arrivée au pouvoir.
« J’ai dit à ma famille que les nazis ne me prendraient jamais. »
« Il disait que les Juifs étaient les rats du monde et devaient être exterminés, et j’ai pris ses menaces au sérieux, même lorsque d’autres s’en moquaient, » dit-elle.
« J’ai dit à ma famille que les nazis ne me prendraient jamais. »
En effet, Bausch fut la seule membre de la famille Polak que les nazis n’ont pas déportée vers le camp de transit de Westerbork, puis vers Sobibor ou Bergen-Belsen.
Les parents de Bausch ont été assassinés à Sobibor en 1943, et sa sœur aînée, Juul, est décédée deux semaines après la libération en 1945. Son frère aîné Jaap (Jack) est sorti de Bergen-Belsen avec la peau sur les os, mais s’est rétabli et a vécu en Amérique, marié à une femme rencontrée dans les camps, jusqu’à sa mort récente à 102 ans.
Liesje, la plus jeune de la famille, a réussi à gagner la Palestine du mandat britannique en juillet 1944, après avoir été l’un des 220 prisonniers de Bergen-Belsen échangés pour le même nombre de femmes et d’enfants de la communauté des Templiers allemands restés au pays quand les hommes sont partis rejoindre l’effort de guerre nazi.
A Jérusalem, elle a poursuivi sa carrière entamée à l’Hôpital juif d’Amsterdam puis à Bergen-Belsen. Elle fut la première femme néerlandaise à obtenir un diplôme de l’école d’infirmières de Hadassah.
La chance lui a souri une fois de plus quand, en avril 1948, elle a manqué de justesse de faire partie du convoi de professeurs, médecins et infirmières qui a été attaqué par les forces arabes sur sa route vers le Mont Scopus. Presque tous les passagers du convoi ont été tués.
Pendant la guerre, Bausch et son mari Philippe (Flip) de Leeuw (qu’elle a épousé à 20 ans en 1939) sont restés en vie grâce à leur présence d’esprit et les nombreuses relations de de Leeuw, officier militaire réserviste dans la Résistance néerlandaise.
Dès le début, le couple, grâce à de faux papiers, a pu rester ensemble. Plus tard, cela est devenu trop difficile, Bausch n’ayant aucun mal à se faire passer pour une non-Juive, tandis que de Leeuw paraissait « trop juif ».
On pourrait supposer que les cheveux blancs de Bausch étaient autrefois blonds, mais ils étaient en fait bruns.
« Mais j’ai les yeux bleus. Mes yeux bleus m’ont sauvée »
« Je ne les ai pas teints parce que je me disais que si j’étais coincée quelque part pendant un certain temps et que mes racines repoussaient avant que je puisse les recolorer, je me ferais attraper », explique-t-elle.
« Mais j’ai les yeux bleus. Mes yeux bleus m’ont sauvée », dit-elle.
À l’été 1944, le couple a été réuni à Bilthoven et de Leeuw a rejoint la Résistance. Fort de son expérience militaire, il reçut le commandement d’une unité de combat de huit hommes.
Après une mission de sabotage qui a mal tourné en novembre de cette année, de Leeuw, Bausch et plusieurs autres ont été arrêtés.
Ils ont été interrogés au poste de police Bilthoven, puis à la prison Wolvenplein à Utrecht, où de Leeuw a été torturé. Grâce l’aide de quelques gardes sympathiques, le mari et la femme ont pu se passer des notes et accorder leurs histoires.
La leçon la plus importante de son expérience de l’Holocauste qu’elle veut transmettre aux jeunes générations est l’importance d’être là pour les autres.
Bausch a été emmenée au siège de la SD (renseignements des SS nazis) à Utrecht et interrogée par un commandant notoirement cruel.
Faisant appel à ses meilleurs talents d’actrice, elle a réussi à sortir, non seulement du bureau du commandant, mais aussi de prison quelques jours plus tard.
En lui remettant ses papiers de libération portant un sceau nazi, le garde lui a dit : « Assurez-vous de ne jamais vous impliquer de nouveau dans des activités illégales, et de ne jamais avoir de liens avec ceux qui le font. »
« Je me suis dit, si vous saviez à quel point je suis illégale », a-t-elle écrit dans ses mémoires.
Avec beaucoup de courage, Bausch est retournée un peu plus tard au siège de la SD et a demandé au personnel de remettre à de Leeuw une paire de lunettes de rechange qu’elle lui avait apportée. On lui a dit qu’il devait être tué par un peloton d’exécution, avec cinq autres jeunes hommes, le 20 novembre, dans les bois de Prattenberg à la frontière entre Rhenen et Veenendaal. Ce qui fut fait.
« La visite fut non seulement infructueuse, mais a même accentué la suspicion générale qu’éprouvait la Résistance à mon égard, » écrit-elle.
« Malgré beaucoup de bons amis à Bilthoven, j’ai fait mes adieux. Mes connaissances dans la Résistance avaient coupé tout contact, et je me suis également déconnectée… Ainsi commença la longue période de silence dans ma vie. »
Bausch a survécu à la dernière année de la guerre en se cachant dans une petite ville à l’ouest de la Hollande, mais aussi grâce à la contrebande de denrées alimentaires, de la partie orientale du pays vers la partie occidentale affamée.
Elle enfourchait sa bicyclette aux roues de bois et roulait sur des centaines de kilomètres, passant à travers les points de contrôle et évitant de se voir confisquer son vélo en montrant un permis spécial reçu des nazis après leur avoir raconté qu’en tant qu’assistante sociale, elle devait fréquemment se déplacer.
« J’étais une telle bonimenteuse que les nazis m’ont même offert un emploi. Je les ai remerciés et leur ai dit que j’en avais déjà un », rit-elle.
Si elle a grandi dans une maison très sioniste et était membre du groupe de jeunesse sioniste Mizrahi, Bausch a choisi de ne pas rejoindre sa sœur en Israël après la guerre. Elle est restée en Hollande, aidant à la reconstruction du pays par le travail obtenu au ministère néerlandais de l’Agriculture à La Haye.
Au fil des ans, Bausch, qui travaillait principalement dans un environnement d’hommes, a gravi des échelons dans le ministère, et brisé le plafond de verre. Pendant de nombreuses années, cependant, sa vie personnelle était moins rutilante.
« Les gens ne comprendraient pas ce que la guerre m’avait fait. Je ne pouvais pas en parler », dit-elle.
En 1954, elle a rencontré Dolf Bausch lors d’une conférence. Il n’était pas juif, mais avait aidé des Juifs pendant la guerre et était un informateur pour les Alliés. Il avait été envoyé dans un camp de concentration, et avait fui avec l’aide d’un SS. Après la guerre, les Néerlandais l’ont puni pour avoir témoigné en faveur de l’Allemand qui l’avait sauvé.
« Nous travaillions dans un domaine similaire, et il m’a comprise », raconte Bausch.
Après la guerre, les Néerlandais l’ont puni pour avoir témoigné en faveur de l’Allemand qui l’avait sauvé
Le couple s’est marié en 1961 et Bausch est devenue la mère des deux fils de son nouveau mari, nés d’un précédent mariage.
Ils se rendaient fréquemment en Israël et ont finalement fait leur alyah en 1981, vivant la moitié de l’année en Hollande et l’autre dans une maison qu’ils ont construite à Eilat.
Dolf a succombé à une maladie rénale à 69 ans en 1982, laissant Bausch veuve pour la deuxième fois. Elle a finalement vendu la maison à Eilat et a déménagé dans un appartement dans un village de retraite à Kfar Saba, non loin de l’endroit où habite sa sœur Liesje, 93 ans.
Elle vit de sa pension néerlandaise, des réparations allemandes administrées par la Conférence sur les réclamations matérielles juives contre l’Allemagne, et d’allocations du ministère des Finances d’Israël, qui ont récemment été fortement augmentées grâce à l’aide d’Aviv (printemps) pour les survivants de l’Holocauste, une organisation à but non lucratif qui aide survivants à accéder aux prestations qui leur sont dues.
Ayant survécu à la plupart des autres survivants adultes pendant l’Holocauste, Bausch, polyglotte, estime qu’il est de son devoir de continuer à parler aux jeunes en Israël et à l’étranger.
Elle a gardé le silence jusqu’à ce que ses petits-enfants et arrière-petits-enfants (qui vivent en Angleterre et en Belgique) l’ont aidée à s’ouvrir, et aujourd’hui, elle promet de parler tant qu’elle le peut.
La leçon la plus importante de son expérience de l’Holocauste qu’elle veut transmettre aux jeunes générations est l’importance d’être là pour les autres.
« Des personnes se sont sacrifiées pour m’aider. Vous devez être à l’écoute des besoins des autres. N’attendez pas qu’ils viennent à vous », conclut-elle.
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