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Washington accentue la pression sur Bagdad, ses finances et son énergie

Les Etats-Unis octroient à l'Irak une exemption pour que le pays, très lié économiquement à l'Iran, ne subisse pas les sanctions imposées par Washington à Téhéran

L'ambassade américaine à Bagdad, en Irak, en 2014. (Crédit : Domaine public/Ambassade américaine)
L'ambassade américaine à Bagdad, en Irak, en 2014. (Crédit : Domaine public/Ambassade américaine)

Washington exige depuis des mois que Bagdad réduise sa dépendance énergétique à l’Iran voisin. Exaspéré par la lenteur du processus, il a accentué sa pression et menace une économie déjà fragile sur laquelle il a de nombreux leviers.

Les Etats-Unis octroient à l’Irak une exemption pour que le pays, très lié économiquement à l’Iran, ne subisse pas les sanctions imposées par Washington à Téhéran.

Mais au lieu de renouveler cette exemption pour trois ou quatre mois comme d’habitude, Washington ne l’a fait que pour 45 jours, donnant ainsi « le coup d’envoi d’une mort à petit feu » de l’économie irakienne, affirme à l’AFP l’économiste Ahmed Tabaqchali.

Ces exemptions permettent à l’Irak de continuer à s’approvisionner en énergie. « Plus ces exemptions sont courtes, plus il est dangereux de laisser la situation dégénérer », poursuit-il.

Car le contexte est tendu : le Premier ministre désigné pour remplacer un chef de gouvernement – emporté par une révolte populaire inédite – peine à former son cabinet, et les tensions entre Washington et Téhéran ont déjà dégénéré en violences meurtrières sur le sol irakien.

Les deux ennemis ont des cartes de choix en main : l’Iran continue de renforcer son emprise politique en Irak, alors que Washington garde en main l’économie du pays.

Chaque mois, c’est la Réserve fédérale américaine, la Fed, qui pourvoit en dollars la Banque centrale irakienne. Elle envoie entre un et deux milliards de dollars, puisés dans les revenus du pétrole irakien stockés aux Etats-Unis.

Or, en janvier, cet envoi a été retardé de plus d’une semaine pour « des raisons politiques », assurent à l’AFP deux hauts responsables irakiens.

« On est sur le fil du rasoir », s’inquiète l’un d’eux.

Car si Washington envisage l’option de fermer le robinet à dollars depuis des mois, le vote du Parlement irakien appelant Bagdad à expulser les 5 200 soldats américains du pays pourrait accélérer les choses.

En février, l’avion de la Fed et ses dollars sont bien arrivés dans les temps, mais pour plusieurs responsables irakiens, les suivants risquent d’être moins chargés.

L’économie irakienne et sa monnaie plongerait alors, car les revenus du pétrole représentent 90 % des recettes publiques.

Et si Washington décidait de ne plus renouveler son exemption, Bagdad n’aurait que deux options : faire face à des pénuries massives, ou continuer d’importer de l’énergie iranienne et s’exposer à des sanctions collatérales américaines.

Une option qui semble de plus en plus réaliste alors qu’une vingtaine d’attaques à la roquette – la dernière remontant à jeudi – ont visé des Américains en Irak, faisant un mort.

Le secrétaire d’Etat américain Mike Pompeo – seul à avoir le dernier mot sur les exemptions selon un haut diplomate américain – a déjà « crié sur » le Premier ministre démissionnaire Adel Abdel Mahdi, lui assurant « qu’il pouvait oublier toute négociation sur un renouvellement de l’exemption si les attaques continuaient », confie à l’AFP un haut responsable irakien.

Preuve de la tension, vendredi à Munich, M. Pompeo – ainsi que les secrétaires américains de la Défense et de l’Energie – ont rencontré le Premier ministre du Kurdistan irakien Masrour Barzani, mais pas le ministre des Affaires étrangères des autorités fédérales irakiennes Mohammed Ali al-Hakim.

Un point en particulier exaspère Washington : Bagdad « n’arrête pas de rejeter des contrats avec (les entreprises américaines) General Electric et ExxonMobil », affirme un haut responsable américain à l’AFP. Les Irakiens « préfèrent être dépendants des Iraniens et laisser à Téhéran la haute main sur leur économie et infrastructure. »

Selon l’outil de suivi financier fDi Markets, les investissements directs des Etats-Unis en Irak entre 2003 et 2019 ont atteint 11,6 milliards de dollars.

À Washington, les avis sont partagés, indiquent responsables américains et irakiens. La Maison Blanche veut augmenter la pression tandis que d’autres préfèrent rester flexibles.

Mais les tenants de la fermeté deviennent « dominants », regrettent-ils, un responsable irakien dénonçant des « négociateurs brutaux ».

Washington ne doit « pas acculer l’Irak », plaide auprès de l’AFP le ministre irakien de l’Electricité, Louaï al-Khatib.

« Je fais confiance aux Etats-Unis pour ne pas se servir de ces exemptions comme d’une arme qui pourrait détruire nos services publics », assure-t-il encore.

L’Irak, où les coupures d’électricité durent parfois 20 heures par jour, a récemment signé des accords avec la Jordanie et les pays du Golfe pour des raccordements transfrontaliers et de possibles achats de gaz à des opérateurs au Kurdistan irakien.

Et trois semaines avant l’expiration de la dernière exemption américaine, le gouvernement a donné son feu vert à six contrats en vue d’utiliser du gaz irakien pour générer de l’électricité.

« Ces annonces sont une réponse à la pression américaine grandissante », décrypte M. Tabaqchali. « Elles montrent que le gouvernement irakien a paniqué. »

Pour Ramzy Mardini, du United States Institute for Peace, Washington va de plus en plus recourir à « des menaces économiques car ils n’ont pas d’autres leviers d’influence ».

« Cette approche pourrait protéger les intérêts américains sur le court terme mais les relations bilatérales en sortiront durablement entachées de méfiance et d’animosité », prévient-il.

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